Afrique: Russie-Afrique - Un sommet, des enjeux, des appréhensions

Le sommet Russie-Afrique réuni les 27 et 28 juillet à Saint-Pétersbourg est le deuxième d'une série commencée en 2019 à Sotchi, qui entend se perpétuer sous la forme d'un cadre permanent de concertation.

Au terme de la rencontre les participants ont annoncé qu'une fois tous les trois ans, un pays choisi d'accord-partie pourra accueillir ces assises dédiées à la consolidation du partenariat stratégique entre l'Afrique et la Fédération de Russie. Quels enseignements tirer de ces assises et quelles peuvent en être les répercussions sur les relations entre l'Afrique et le reste du monde ? Décryptage.

D'abord l'agenda protocolaire

Quarante-neuf délégations officielles africaines conduites par des chefs d'Etat et de gouvernement- une vingtaine au total- ou par des représentants à divers degrés de responsabilités ont fait le déplacement de la deuxième ville de Russie. En termes de présences, le quorum a donc largement été atteint.

Une note est parue particulière : la réception à Saint-Pétersbourg des chefs d'Etat de transition du Mali, le colonel Assimi Goïta, et du Burkina Faso, le capitaine Ibrahim Traoré. Sachant qu'ils sont arrivés au pouvoir dans les circonstances condamnées par l'Union africaine (UA), l'invitation des deux jeunes officiers à prendre part au sommet prêtait un peu à équivoque.

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Certains observateurs ont parlé de « trou » dans la photo de famille de fin du sommet se demandant si ce couac, s'il en était un, n'expliquait pas la gêne de tous les chefs d'Etat présents à poser avec les dirigeants des deux régimes transitoires dont la relation avec l'UA, représentée à Saint-Pétersbourg par son président en exercice, le chef de l'Etat comorien, Azali Assoumani et le président de sa commission, Moussa Faki Mahamat, reste tiède jusque-là.

« Camarades présidents ! »

Comme si cela ne suffisait pas, lors de leurs prises de parole respectives, les deux voisins ouest-africains, le verbe hautement révolutionnaire, ont essayé d'exposer qu'ils ne marchent pas sur les pas des « anciens », peut-être ceux avec qui ils s'étaient retrouvés autour de la table-ronde pour échanger avec leur hôte de marque, le président Vladimir Poutine.

En treillis, à l'entame de son propos, le Burkinabé a fait du « Camarades présidents » comme formule de politesse, et moyennant une excuse routinière pour prévenir du ton de son adresse, accusait les « anciens » de ne pas beaucoup faire pour sortir l'Afrique des griffes de ceux qui la lacèrent depuis toujours. Même si les « anciens » présents n'en ont pas voulu à ces « jeunes » (ça n'était pas l'objet du sommet), leurs propos leur ont sans doute révélé l'état d'esprit de la génération qu'ils représentent ou disent représenter.

Sur cette question des présences, l'on suppose que pour le président russe, dans la mesure où la non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats reste un principe de politique extérieure de son pays, convier les dirigeants malien et burkinabé du moment ne posait pas problème. Ces temps-ci, ceci expliquant cela, Moscou, Bamako et Ouagadougou coopèrent intensément en matière de défense.

Assurément cette rencontre avec ses pairs a apporté au chef du Kremlin de l'air frais au moment où la crise ukrainienne s'éternise. Le président russe s'est rendu disponible en s'entretenant avec toutes les délégations venues à Saint-Pétersbourg. Il ne s'en est pas moins félicité d'autant plus qu'en dehors du parterre de ses homologues chefs d'Etat, les dirigeants des ensembles régionaux d'intégration étaient aussi présents.

Les sujets de fond

L'explication protocolaire donnée plus haut n'a pas du tout entamé la pertinence des échanges entre la Russie et l'Afrique au cours de ce sommet. Les domaines de coopération inscrits au programme des discussions montrent à la fois l'étendue des besoins exprimés par le continent pour son développement et l'ambition affichée par la Fédération de Russie de s'affranchir des pesanteurs du passé et figurer désormais comme un acteur majeur dans l'accomplissement de ces demandes africaines.

Le 28 juillet, lors de la cérémonie plénière de clôture, Vladimir Poutine n'a pas lésiné sur les engagements de son pays à l'égard du continent : « Nous mettrons en place un mécanisme de suivi de notre partenariat stratégique, nos ministres des Affaires étrangères se concerteront régulièrement, il y aura aussi des rencontres entre la partie russe et les autorités de l'Union africaine. A travers le plan d'action 2023-2026 nous allons booster nos rapports en matière économique. Il s'agit dans les accords commerciaux de promouvoir l'utilisation des monnaies nationales, y compris le rouble ».

Le dirigeant russe invite à lever les barrières pour rapprocher l'Afrique de l'Union économique eurasiatique en créant des zones de libre-échange. A ce titre, en dehors des céréales livrées à titre de don ou sous la forme de contrats, d'autres produits russes de « bonne réputation » seraient exportés vers l'Afrique : automobiles, machines-outils, produits chimiques et engrais, sans compter le développement des entités de production de l'énergie électrique, des systèmes d'information et de communication, des systèmes bancaires, la création des écoles russes sur le continent. Une enveloppe avoisinant 1, 2 milliard de roubles accompagnera ces projets.

La réponse de l'Afrique a été portée par le président de l'UA, pour qui « Quand la Russie gagne, l'Afrique gagne ». Azali Assumani a rappelé le bénéfice tiré par les pays africains au long de l'histoire du continent grâce à l'assistance de la Russie. Il a indiqué par ailleurs que beaucoup de pays sur le continent sont candidats pour accueillir le prochain sommet Russie-Afrique dans trois ans.

Légitimation

L'intérêt des grandes puissances pour l'Afrique n'est plus à démontrer. Ostracisée par l'Occident, la Russie voudrait-elle en quelque sorte « se fondre » dans l'Afrique ? En retard dans plusieurs domaines notamment l'absence d'infrastructures de base, de technologies de pointe, la difficile transformation de ses nombreuses potentialités naturelles sur place, l'Afrique est évidemment en quête de partenariats gagnant-gagnant.

C'est à cette demande pressante d'investissements diversifiés, à laquelle s'ajoutent les problèmes d'instabilité et de lutte contre le terrorisme avec des moyens adéquats que la « candidature » de la Russie semble prendre de l'avance, y compris dans les régions du continent où sa présence en tant qu'opérateur économique était moins visible. A présent, elle veut voir ses sociétés publiques et privées gagner des marchés en Afrique : les hydrocarbures, l'agriculture, le sport, la culture, les arts, l'éducation, la santé, la recherche scientifique, les médias sont ciblés.

Un discours que l'on pourrait qualifier d'idéologique accompagne ce déploiement d'énergies que Moscou veut inscrire dans la durée, celui selon lequel la Russie n'a pas été partie prenante à l'aventure coloniale et à ses méfaits. Cette rhétorique suffira-t-elle à convaincre de la bonne foi de ceux qui la tiennent ? Il faut attendre de voir les résultats sur le terrain.

Il faudra également observer comment les autres géants, notamment asiatiques et moyen-orientaux intéressés par l'Afrique, ainsi que les partenaires historiques réagiront aux avances de la Russie. En tout état de cause, tous suivre avec la plus grande attention la mise en marche du nouveau train des relations russo-africaines.

Comme cela ne se cache plus d'être dit, si certaines puissances ont multiplié des initiatives pour faire échouer le sommet de Saint-Pétersbourg sans suite, la crainte que l'Afrique ne soit exposée à d'autres pressions plus exténuantes et fasse les frais des conflits géostratégiques n'est pas exclue. Aujourd'hui comme hier, se pose encore et toujours la question de l'indépendance du continent. A ses dirigeants de savoir en mesurer le poids des responsabilités.

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