Afrique: Le continent et ses guerres intestines

analyse

Puisqu'il ne peut se rendre en Afrique sans courir le risque de se faire arrêter, Vladimir Poutine a fait venir le continent à Saint-Pétersbourg. Le 2e sommet Russie-Afrique a pris fin vendredi. Contrairement à la première édition (tenue en 2019 à Sotchi), moins d'une vingtaine de chefs d'État et de gouvernement ont répondu favorablement à l'appel du dirigeant russe qui pousse pour l'émergence d'un nouvel ordre mondial qui serait «multipolaire».

La déclaration commune, adoptée à Saint-Pétersbourg, souligne le désir d'une coopération accrue dans les domaines de l'approvisionnement alimentaire, l'énergie et l'aide au développement. Elle appelle à «créer un ordre mondial multipolaire plus juste, équilibré et durable, s'opposant fermement à toute forme de confrontation internationale sur le continent africain». Fustigeant l'Occident pour son lourd passé colonial, Moscou a promis son aide aux pays africains «pour obtenir réparation pour les dégâts économiques et humanitaires causés par les politiques coloniales», y compris «la restitution des biens culturels» pillés.

Le sommet Russie-Afrique se tiendra désormais tous les trois ans. Un «mécanisme de partenariat et de dialogue» sera créé pour les «questions de sécurité», y compris pour la lutte contre le terrorisme, la sécurité alimentaire et le changement climatique. Le dollar américain sera aussi de moins en moins utilisé : «Il est également question de passer systématiquement aux monnaies nationales, y compris le rouble, dans les règlements financiers des transactions commerciales» entre la Russie et l'Afrique, a insisté Vladimir Poutine.

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Le sommet a mis au jour les tensions entre dirigeants africains par rapport aux relations civilo-militaires et à la guerre en Ukraine. Le capitaine Ibrahim Traoré, qui a pris le pouvoir au Burkina Faso après un coup d'Etat, a choisi de «laver son linge sale en famille». Son pays étant suspendu de la Cédéao et de l'Union africaine depuis janvier 2022, il a profité de la plateforme russe pour montrer les divergences sur le continent. «Les questions que nos générations se posent sont les suivantes : il s'agit de comprendre comment, avec tant de richesses sur notre sol, l'Afrique est aujourd'hui le continent le plus pauvre. Et comment se fait-il que nos chefs d'État traversent le monde à mendier ? Il faut que nous, chefs d'État africains, arrêtions de nous comporter en marionnettes qui dansent à chaque fois que les impérialistes tirent sur les ficelles.»

Ce qui a provoqué un malaise. Le président sénégalais, Macky Sall, a vite répondu au capitaine Traoré : «Les chefs d'État ne sont pas venus ici pour mendier. Nous n'allons pas ailleurs pour tendre la main. Nous travaillons pour un partenariat d'égale dignité entre les peuples. C'est le même discours qu'on tient à Dakar, ici à Saint-Pétersbourg, ou à Washington. Et ce combat transcende les générations.» Le capitaine Traoré apparaît en treillis à la droite de Vladimir Poutine sur la photo officielle. Une photo que les présidents du Sénégal, du Congo et de la Guinée-Bissau ont boycottée !

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Depuis l'éclatement de la guerre en Ukraine, l'Afrique joue un rôle encore plus stratégique dans le concert des nations. La division du monde entre l'Occident et les BRICS pousse le continent à conforter son statut de continent assisté à celui de partenaire convoité par les puissants. L'initiative russe doit être mise sur la toile de fond d'une compétition internationale pour accélérer les échanges de biens et services avec l'Afrique. Les États-Unis, la Chine, l'Europe, l'Inde, le Japon, les pays arabes - ils veulent tous intensifier les échanges avec les Africains et évoquent des projets de développement, de paix et sécurité humaine. Ce faisant, ils permettent de se focaliser sur les besoins de l'Afrique en matière de développement, et poussent tout un chacun, multinationale, pays comme simple entreprise, à développer sa stratégie africaine.

Mais l'Afrique n'est pas un bloc qu'on peut conquérir comme on ferait un business plan sur papier. C'est un concept purement géographique qui renvoie à de multiples régions hétéroclites et à des peuples hétérogènes. Les médias internationaux présentent surtout deux facettes du continent. Côté pile : une série de discours techniques sur cette terre d'opportunités économiques et commerciales ; ce vaste continent peuplé surtout de jeunes à l'opposé de l'Europe et qui connaît des taux de croissance macro-économique parmi les plus forts du monde ; cette partie du globe si riche en matières premières qui attire les multinationales pétrolières et minières. Et côté face : toute la détresse humaine d'un continent qu'on a durablement pillé, et qu'on continue de piller, 60 ans après les indépendances africaines.

Les sommets Europe-Afrique, États-Unis-Afrique, Inde-Afrique, Chine-Afrique, Japon-Afrique, et aujourd'hui Russie-Afrique, soulignent, tous, le changement de paradigme. Au lieu d'une approche bilatérale, les initiatives, relatives au commerce et au développement, ambitionnent d'impacter le continent dans son ensemble. En d'autres mots, moins d'aide et davantage de commerce et d'investissements.

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J'ai eu la chance, dans une précédente vie, de voyager et de travailler dans plus d'une douzaine de pays en Afrique. Ces voyages m'ont permis de voir à quel point le continent diffère d'une sous-région à une autre, d'une ville à une autre. Je l'ai déjà écrit : toute généralisation à propos de son environnement dynamique serait simpliste, voire inappropriée. De même, les crises politiques et les conflits qu'on recense sont caractérisés par une diversité aussi grande que l'Afrique elle-même.

On a tendance à focaliser sur des pays, à ramener les conflits africains à des échelles nationales. Or un vaste éventail de ces menaces sont d'ordre transnational et sont certainement interconnectées. Aussi, comme on le sait, l'histoire, qui n'a pas été tendre envers les pays d'Afrique, a laissé des cicatrices béantes, aujourd'hui des vulnérabilités.

Tout cela complique les stratégies qu'un petit pays comme Maurice par exemple (qui n'a aucune expertise dans le domaine sécuritaire) aimerait développer.

Par exemple, l'Afrique est aussi et surtout une plaque tournante en termes de trafic de drogue, d'armes à feu, de personnes... et les relations entre civils et militaires sont cruciales pour la stabilité de la plupart des pays africains. Dans le temps, l'armée servait à protéger les régimes en place au lieu du territoire. Les exemples de dysfonctionnement abondent. Il y a des millions d'armes à feu en libre circulation sur le continent. La plupart sont des armes de petit calibre aux mains des mouvements rebelles, souvent pas répertoriés.

Pour résoudre les conflits africains, il faudrait des stratégies multidimensionnelles, surtout celles qui sont limitées par les règles du droit, et qui sont mises en oeuvre par les dirigeants africains eux-mêmes et soutenues sans relâche par les partenaires internationaux.

Le drame de l'Afrique, c'est que le continent a encore besoin des autres pour se retrouver entre voisins. Aujourd'hui c'est la Russie qui convie la grand-messe alors que l'Union africaine, elle, s'enlise dans ses guerres intestines.

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