Après plus de vingt ans aux Nations Unies, notamment au Fonds des Nations Unies pour la population (Unfpa) où il a occupé de hautes responsabilités, Mabingué Ngom a pris sa retraite en juillet 2022. Certes une page se referme pour cet homme fécond en réflexion sur les sujets de développement, mais le grand livre de sa vie qu’il est en train d’écrire est, lui, loin, de son épilogue.
Il ne faut surtout pas se fier à son air juvénile. Mabingué Ngom ne fait pas son âge. Il a blanchi sous le harnais…des Nations Unies qu’il vient de quitter après plus de vingt ans de bons et loyaux services aux plus hautes sphères. La fraîcheur physique et mentale de ce jeune retraité n’a pris aucune ride. Disert, l’homme est captivant. Son mémoire vif exhibe des souvenirs dans les moindres détails. On ne sort pas indemne d’un échange avec lui. Son parcours inspire et force le respect. Ceux qui le côtoient reconnaissent en lui ce côté charmant, ouvert, courtois. « Dès le premier contact, il vous parle comme s’il vous connaissait depuis toujours », témoigne un confrère journaliste qui l’a connu dans le cadre de ses activités professionnelles.
De nombreux hauts-fonctionnaires dans les plus hautes sphères des Nations-Unies, le Sénégal en a connus. On peut citer feu Jacques Diouf, ancien Directeur général de la Fao ou plus loin Amadou Makhtar Mbow ex-patron de l’Unesco. Mais ces dernières années, parmi les compatriotes qui se sont le plus illustrés dans cette grosse machine onusienne, on ne peut ne pas citer Mabingué Ngom. Déjà, par son nom, le natif de Dakhar-Bango, à Saint-Louis, en 1958, est une identité remarquable. L’ancien Directeur régional du Fonds des Nations Unies pour pour la population (Unfpa) aime, d’ailleurs, à ce propos, raconter cette anecdote : « Avec le Ministre d’Etat Jean Collin, à chaque fois qu’on lui envoyait mes ordres de mission, il barrait le N, pensant que c’était une erreur de frappe. Parce que ce qui est courant, c’est ‘’Mabigué’. Un jour, il m’appelle pour me dire ‘’jeune homme pourquoi vous ne pouvez pas écrire votre nom correctement’’. J’ai dû lui expliquer pour qu’il comprenne. Je dois ajouter que mon père a toujours tenu à ce que le N soit mis parce qu’il m’avait donné le nom de son père ». On était au milieu des années 1980 et Mabingué est chargé de programme au Ministère du Plan. Ce poste venait de sanctionner un brillant parcours universitaire à l’université de Dakar dans un contexte où le chômage des jeunes diplômés faisait rage. C’était l’époque du mouvement des « maîtrisards ». « Je n’ai jamais chômé », rappelle-t-il. C’est que, très tôt, Mabingué Ngom s’est battu pour se faire une autonomie financière sur les conseils d’un père militaire qui a eu à servir au Sinaï dans le cadre des Forces d’interposition des Nations Unies au sud du Liban (Unifil). « Quand j’ai atteint 18 ans, mon père, qui m’appelait Vieux, m’a dit ‘’maintenant, il faut que tu t’occupes de ta mère’’. Voilà comment j’ai commencé à donner des cours de français au Cdeps de Pikine alors que j’étais en classe de Première, je gagnais entre 4000 et 4500 FCfa qui me permettaient de payer la bonne de ma mère », confie-t-il. Il a continué dans cette dynamique une fois à la Faculté de Droit et de Sciences économiques en 1979 puis à l’Institut africain de développement économique et de planification (Idep) où il obtint son 3e Cycle. Etudes-petits boulots, le message du père toujours en aiguillon dans sa tête. Et ce, même s’il fallait, parfois, sécher les cours. En homme organisé, il a toujours su trouver le bon équilibre entre ses études et les petites opportunités de travail qu’il dénichait par-ci par-là. Un réflexe de travailler dans un circuit parallèle qui lui a permis de se procurer des revenus pour s’occuper de sa mère d’abord et ensuite payer la scolarité de ses frères et de ses sœurs. « Je suis l’aîné d’une famille de vingt enfants. J’ai trop tôt donc porté cette responsabilité », rappelle-t-il. Ce n’est pas que son père était désargenté, au contraire, « il me donnait de l’argent de poche, parfois même beaucoup trop », mais il fait partie de ces géniteurs qui estiment, souligne Mabingué Ngom, qu’il faut façonner l’enfant tant d’un point de vue efforts, sacrifices et éthique.
Filière porteuse
A la Fac, quand l’écrasante majorité de ses camarades choisissaient des filières à la mode, lui a opté pour Analyse et planification économique. Ce choix lui a ouvert ensuite les portes de l’Idep, l’une des rares écoles africaines rattachées aux Nations Unies qui forment les planificateurs du développement. Le temps de terminer sa première année et d’obtenir son diplôme postuniversitaire en Planification du développement vers la mi 1985, il a été recruté dans la fonction publique. Pour dire que Mabingué Ngom a eu le nez creux. Il est d’abord affecté au Ministère de l’Emploi puis, un an après, il est allé au Ministère du Plan, ce qui est plus conforme à sa formation universitaire et postuniversitaire. Là-bas, lui, qui a toujours eu une vocation enseignante, a l’occasion de la nourrir davantage. Mais cette fois-ci pas sous le boisseau. En tant que fonctionnaire, on lui confie des cours à l’Ecole nationale d’économie appliquée jusqu’à la fin des années 1990, y compris quand il a rejoint le Cabinet du Ministre de l’Economie et des Finances et du Plan sous Moustapha Diagne. Pendant sa carrière dans ce département, il a occupé les postes de Chef de Division Synthèse et études, Programmation et financement, Suivi des investissements, et était l’une des pièces maitresses de la gestion des investissements publics et de la préparation du programme triennal d’investissements publics.
En 1993, Mabingué Ngom bénéficie d’une bourse d’études à Glasgow, en Ecosse. De retour au Sénégal, toujours soif de connaissances, il s’envole pour les Etats-Unis, en 1996, grâce à la bourse Humphrey dans le cadre du Full bright, en Arizona. Après y avoir achevé ses cours préparatoires, il débarque à Washington, à American University, pour un programme de neuf mois. Parallèlement, il s’inscrit à un Master en Politique publique qu’il a payé avec les revenus que lui procuraient ses consultations en finance publique que des amis à la Banque Mondiale lui confiaient. Après deux ans aux Etats-Unis, il rentre à Dakar et trouve un poste de Conseiller technique au Cabinet du Ministre du Plan en 1998. Mais pas pour longtemps. En juin de la même année, son meilleur ami tombe sur un appel à candidatures pour un poste de Conseiller au programme à l’Ippf (Fédération internationale pour la planification familiale), basé à l’époque à Lomé et lui envoie la coupure du journal. Après un temps d’hésitation, il postule et obtient le poste. C’est le début de la carrière internationale de Mabingué Ngom. Il déménage au Togo avec sa petite famille. Ensuite il rejoint Nairobi où il est resté jusqu’en décembre 2002. Auparavant, au mois d’avril ou mai de cette année-là, le même ami lui envoie une autre coupure de journal qui parle d’une nouvelle structure qui cherche des profils. Voilà comment Mabingué Ngom s’est retrouvé au Global Fund (Fonds mondial), à Genève, où il fut le premier manager pour l’Afrique. Il y restera de 2003 à 2008.
En juin de cette année-là, Mabingué Ngom fait son entrée à l’Unfpa comme Directeur des Programmes, « une tâche énorme pour une organisation présente dans 105 pays et qui a six bureaux régionaux. Nous étions la seule agence qui avait l’humanitaire et le développement côte à côte. C’est pourquoi, je dis souvent que j’étais directeur des programmes et directeur des urgences, ce qui fait que je faisais partie des neuf personnes qui géraient les urgences au niveau mondial », dit-il. Après sept ans et demi comme directeur des programmes, il est affecté à Dakar, en 2015, en pleine épidémie d’Ebola dans la sous-région. Cette nomination a quelque chose d’atypique en ce sens qu’il est rare de voir un haut fonctionnaire des Nations Unies être affecté dans son propre pays. Mais il se trouve que Dakar abrite le siège régional de l’Unfpa qui coiffe 23 pays, de la Mauritanie à la Centrafrique en passant par Sao Tomé, la Guinée Equatoriale…Il n’y a pas des risques de conflit d’intérêt ? « Ils sont faibles », rétorque Mabingué Ngom, soulignant que c’est « une question de personnalité ». « Il y a des gens, même au diable, ne vont jamais assumer leurs responsabilités », argue-t-il. Il rappelle qu’avec le Bureau pour le Sénégal avec un représentant, il était « protégé ». Mabingué semble avoir bien aimé retrouver la chaleur du pays où il revenait après quinze ans d’absence même si, avance-t-il, quelque part, vec 23 pays à gérer, il était moins présent aux côtés de sa famille que quand il était hors du Sénégal. « J’étais à Dakar, mais j’étais plus présent dans la région », confie-t-il.
Passion pour les questions humanitaires
En 2021, Mabingué Ngom quitte son poste de Dakar. On lui confie une nouvelle mission : mettre en place, à Addis Abeba, le Bureau de représentation de l’Unfpa auprès de l’Union africaine en qualité de Conseiller spécial du Directeur exécutif. Tâche à laquelle il s’est acquitté tout en profitant de son séjour dans la capitale de l’Union africaine pour développer sa passion pour les questions humanitaires dans un contexte où l’Union africaine a décidé de mettre en place une agence humanitaire (Ahua). En effet, Mabingué est reconnu pour sa passion pour l’amélioration de l’efficacité de l’action humanitaire, domaine dans lequel il a introduit des changements majeurs tant au niveau global qu’à l’échelle continentale. « Les questions humanitaires pour moi, c’est une passion avant d’être une obligation professionnelle. Je ne pense pas qu’il soit possible, pour un africain averti, pour quelqu’un qui a fait une carrière internationale d’une trentaine d’années, qui a vu ce que les crises humanitaires peuvent engendrer, de ne pas trouver un intérêt dans ce chantier au moment où 75 % de l’action humanitaire se passe en Afrique », explique-t-il. C’est donc se sentant investi de cette mission que Mabingué Ngom trempe sa plume dans l’encre, à chaque fois que de besoin, pour parler des enjeux de cette problématique et de l’urgence de mettre en place cette agence. Il a écrit des dizaines d’articles parus dans des publications de grande audience à travers le monde sur la question. Comme il le fit par le passé et continue de le faire sur le sujet du dividende démographique, un concept qu’il n’a certes pas créé, mais qu’il a largement contribué à promouvoir lorsqu’il était Directeur régional de l’Unfpa. D’ailleurs, certains l’appellent « M. Dividende démographique », comme il s’amuse à le souligner. Le concept de dividende démographique, Mabingué Ngom a pesé de tout son poids pour l’opérationnaliser au Sénégal à travers l’initiative « Fass émergent » lancée en 2017 et qui fut identifiée comme un des meilleurs projets en la matière par les Nations Unies et qui a fait l’objet d’un livre préfacé par le Président Macky Sall. Il est très rare de voir un haut fonctionnaire international qui inspire tant de considération au niveau de la jeunesse africaine. C’est ainsi qu’il a été plusieurs fois nominé parmi les Africains les plus influents et a reçu de nombreuses distinctions internationales dont le African Peace Award. « Fass Emergent est l’une de mes plus grandes satisfactions. J’ai toujours eu ce réflexe d’accomplir des choses, de faire bouger les lignes en interne et comme en externe. Le terrain m’a toujours apporté énormément de satisfaction. Je quitte aujourd’hui, mais je ne quitte jamais le domaine de la réflexion stratégique, du partage, de la génération des connaissances ».