En attendant une éventuelle décision de la Haute Cour Constitutionnelle sur la question, la nationalité française du président de la République Andry Rajoelina continue de nourrir les débats.
Catalyseur de réflexions juridiques, la revue MCI se prononce sur le sujet dans un article écrit par Raphaël Jakoba qui estime que la perte de la nationalité malgache n'est pas automatique.
Jus sanguinis
Connu pour ses analyses, tenant compte avant tout de l'aspect juridique, le manager associé du cabinet MIC de constater que le fait incontestable dans cette affaire est la publication d'un décret accordant la nationalité française au président Rajoelina. « Un décret signé par le premier ministre français, Manuel Valls, et le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, au Journal Officiel français le 21 novembre 2014 », souligne-t-il dans son article, en se posant la question de savoir si le président de la République est toujours de nationalité malgache, notamment au moment où il prétend de nouveau briguer un second mandat.
Autrement dit, « Lorsqu'il avait acquis la nationalité française en 2014, avait-il perdu la nationalité malagasy ? » Pour y répondre, Raphaël Jakoba souligne que contrairement au droit français qui repose sur le principe de jus soli (nationalité par la naissance sur le sol français), le législateur malgache a adopté une autre approche : le principe de jus sanguinis ; c'est-à-dire qu'à partir du moment où la personne a du sang malgache dans les veines, elle est malgache biologiquement et par conséquent juridiquement.
Ce principe de jus sanguinis est ce lien biologique entre l'enfant et le père et la mère, disposé à l'article 90 du Code de la nationalité. « Cependant, ce lien peut être rompu soit par la perte soit par la déchéance de la nationalité. Et le noeud du problème est là ! Car le texte est lacunaire sur les modalités de cette perte. S'agit-il d'une perte automatique de plein droit ou une perte soumise à des conditions particulières ? »
Procédure
Le manager associé de MCI met en avant deux hypothèses. Une première approche est de dire que dès l'obtention du décret de nationalité étrangère, la personne perd automatiquement sa nationalité d'origine. L'approche opposée est que, quand bien même il existe un décret de nationalité étrangère, il faut que l'intéressé entame une procédure pour perdre et être déchu de la nationalité malgache. Selon la Revue MCI, pour comprendre l'esprit et la lettre du Code de la nationalité, il faut une approche holistique et combiner les articles 42, 45, 55 et 56 avant de former une quelconque conclusion.
Ces articles donnent les conditions de perte de la nationalité. A savoir : une démarche volontaire, l'acquisition d'une nationalité autre que la nationalité malgache et enfin une autorisation du gouvernement malgache. A la lumière de ces dispositions, la perte de la nationalité malgache n'est donc pas automatique. La Revue MCI estime ainsi que le législateur a voulu mettre en place cette procédure et que c'est dans le sens du principe de l'effet utile de la loi.
Conséquences fâcheuses
Par ailleurs, l'acquisition de la nationalité française par le président de la République appelle un certain nombre de commentaires : « Tout d'abord, la dichotomie entre la loi et la pratique en ce que les principes juridiques énoncés dans le Code de nationalité n'ont jamais été effectivement mis en oeuvre. C'est la problématique majeure de l'ineffectivité des lois à Madagascar. Ensuite, c'est parce que monsieur Rajoelina est président de la République que la question se pose avec beaucoup d'acuité. Cependant, n'oublions pas que des milliers de Malgaches sont binationaux depuis l'indépendance. Des dirigeants de ce pays comme le Général de Brigade Ramanantsoa - et il n'est pas le seul - furent binationaux. Or, la perte de la nationalité malgache n'a jamais été soulevée. Doit-on dire que cette règle est tombée en désuétude ? Des milliers de Malgaches circulent avec deux passeports, français et malgache, au su et au vu de l'Administration malgache et, bien entendu, française ». Raphaël Jakoba détecte également d'autres conséquences fâcheuses : « Sur le plan foncier, qu'advient-il de toutes les propriétés immobilières détenues par les binationaux si tant est qu'ils ne soient plus considérés comme Malgaches, seuls en principe pouvant être propriétaires fonciers à Madagascar? Dans la même hypothèse, sur le plan de la vie publique, qu'en est-il de la validité des élections auxquelles ont participé les binationaux ? En réalité, les dispositions du Code de nationalité sont « tombées en désuétude », ne sont plus sanctionnées et n'ont plus la reconnaissance à valeur contra legem. Une acceptation implicite de non-application a été actée. Si nous devions appliquer l'esprit et la lettre des dispositions du Code de la nationalité, de nombreux Malgaches ne seraient plus Malgaches. En réalité, plus que juridique, l'acquisition par le président de la nationalité est d'une dimension plutôt éthique. Cependant, la question de l'éthique de même que la problématique politique ne sont pas dans le champ de réflexion de la Revue MCI ».