Ancien chargé de mission au secrétariat général de la présidence de la République, l'enseignante de sociologie a été déclarée coupable de complicité de destruction et vol. En compagnie de l'auteur directs des faits décriés, elle doit également verser des dommages et intérêts au plaignant.
M. Abbo Bakari Mohamadou, connu sous l'appellation de Wadjiri de Tignère, un jeune commerçant basé à Yaoundé, vient de voir aboutir l'une des procédures judiciaires intentées à Mme Djuidje Marie, ancien haut-cadre de la présidence de la République. Par décision rendue le 19 juin 2023, le Tribunal de première instance (TPI) de Yaoundé centre administratif a conclu que M. Ayafor Divine Nosus, principal mis en cause dans l'affaire, est coupable des faits de destruction et blessures légères initialement qualifiés de trouble de jouissance et vol. Mme Djuidje Marie, pour sa part, a été déclarée coupable des infractions de complicité de destruction et de vol. Elle a été condamnée à 9 mois d'emprisonnement ferme, au paiement de 200 mille francs d'amende et 275 mille francs de frais de justice. La sanction de M. Ayafor Divine Nosus est plus lourde : un an de prison avec sursis pendant 3 ans et une amende de 100 mille francs.
Les deux condamnés doivent par ailleurs payer solidairement à M. Abbo Bakari Mohamadou la somme de 5 millions de francs qui représentent la réparation du tort subi par ce dernier. Le tribunal a décerné un mandat d'arrêt et un mandat d'incarcération contre Mme Djuidje Marie. Cette décision sanctionne la première procédure engagée contre cette dernière pendant que la seconde procédure relative à la dénonciation calomnieuse et la rétention sans droit de la chose d'autrui se poursuit et se déroule à huis-clos devant la même juridiction.
Enquête policière infructueuse
Pour bien comprendre cette affaire, il faut remonter à un peu plus de 6 ans. Selon la plainte de M. Abbo Bakari datée du 25 janvier 2017, il ressort que depuis le 12 septembre 2013 ce dernier avait pris en location, au quartier Tongolo à Yaoundé, un studio auprès de M. Bogne Mouafo représenté par Gabriel Fondjou. Le locataire avait été surpris qu'en 2014, un certain Fidèle Picou Keumegne se présente pour exiger, sans mandat, que les frais de loyers lui soient désormais versés. Face à la détermination du jeune commerçant à ne traiter qu'avec la personne avec qui un contrat de bail le liait, M. Keumegne avait, d'après le plaignant, entrepris de nuire ce dernier. Il aurait alors fait à l'encontre de M. Abbo Bakari, une dénonciation anonyme à la Division régionale de la police judiciaire. La note de dénonciation accusait M. Abbo Bakari de mener des activités terroristes en faisant allusion à la secte Boko Haram. Ladite note laissait entendre que le commerçant avait des liens avec le défunt président Libyen, Mouammar Kadhafi, l'ancien rebelle Angolais, Jonas Savimbi «et d'autres leaders d'origine arabe».
Dans le cadre d'une enquête policière ouverte en urgence compte tenu du danger que représentait la secte Boko Haram à l'époque, M. Abbo Bakari avait été interpellé et gardé à vue. Les investigations menées par la police judiciaire n'avaient trouvé aucun indice de nature à corroborer la dénonciation anonyme. Le suspect avait été remis en liberté. La même enquête, faut-il le rappeler, avait révélé que l'instigatrice de la dénonciation en question n'était autre que Mme Djuidje Marie en service à l'époque au secrétariat général de la présidence de la République. Au regard de la situation, le Wadjiri de Tignère décidait de déposer une plainte contre l'enseignante pour dénonciation calomnieuse devant le TPI de Yaoundé. Une procédure judiciaire concernant ces faits, est pendante devant cette juridiction.
Par ailleurs, le 2 octobre 2017, Mme Djuidje Marie s'était retrouvée dans le périmètre du domicile du commerçant, semble-t-il, pour assurer le renouvellement de la peinture dudit local. Cette initiative qui se faisait sans l'aval du locataire avait finalement dégénéré en violence. Une vidéo tournée par ce dernier avait montré la dame en train d'exercer à l'aide d'un morceau de bois des violences sur le locataire, qui avait perdu sa paire de lunettes médicales et subi des fractures sur trois de ses côtes, d'après divers examens radiologiques réalisés notamment le 24 octobre 2010. Dans la même lancée, des certificats médicaux établis par un homme de l'art accordaient 35, puis 50 jours d'incapacité à M. Abo Bakari. Ce sont ces faits qui avaient fait l'objet des plaintes déposées par le commerçant contre Mme Djuidje Marie devant le Tribunal militaire de Yaoundé et le TPI de Yaoundé centre administratif.
Pour avoir parlé de ce sujet pour la première fois dans son édition du N° 264 du 26 septembre 2018, Kalara s'était attiré les foudres de l'enseignante de sociologie. Une semaine après, elle avait saisi le Conseil national de la communication (CNC) d'une plainte estimant que l'article publié par le journal «ne reflétait aucunement la réalité ni sur le fond ni sur la forme, il se contentait d'aligner des accusations sans preuve ». Dans une manière de règlement des comptes internes au CNC, dont le promoteur de Kalara était membre à cette époque, un avertissement lui avait été décerné de même au journal. Mais celui-ci avait persisté dans la couverture des procès opposant les deux adversaires.
C'est ainsi que le journal avait rendu compte des nouveaux développements judiciaires de la bataille judiciaire entre le commerçant et l'enseignante. Le premier accusait la seconde d'avoir pris possession de son domicile en remplaçant la serrure et en confisquant les nombreux effets qui s'y trouvaient, entre autres, la somme d'un peu plus de 198 millions de francs que le commerçant avait dit avoir laissée dans sa chambre. Ce dernier avait alors servi une sommation de libérer les lieux et de restituer ses effets à laquelle l'enseignante avait opposé un silence mais, pour tourner les choses en sa faveur, avait plutôt sollicité et obtenu pour le compte de son fils, Eric Bogne Mouafo, une ordonnance gracieuse du TPI de Yaoundé CA autorisant ce dernier à faire procéder à l'ouverture des portes du studio litigieux par un huissier de justice. L'officier ministériel devait dresser un procès-verbal d'inventaire des effets mobiliers trouvés sur les lieux et constituer M. Bogne Mouafo gardien desdits effets.
Huis-clos à problèmes
Seulement, il en sera autrement, puisque l'huissier de justice, après avoir effectué le travail, avait curieusement confié la garde des biens de M. Abo Bakari à Mme Djuidje Marie, qui n'était ni la personne désignée dans l'ordonnance du tribunal encore moins la bailleresse du commerçant. Choqué par la tournure que prenait les choses, le locataire avait engagé une autre procédure judiciaire contre la dame pour destruction et rétention sans droit de la chose d'autrui. Au terme de l'information judiciaire, le juge d'instruction avait estimé que les charges étaient suffisantes contre l'enseignante pour avoir détruit la paire de lunettes, la porte et retenu sans droit les effets évalués à plus de 193 millions de francs appartenant à M. Abo Bakari. Raison pour laquelle elle avait été renvoyée en jugement pour répondre de ces autres faits de destruction et rétention sans droit de la chose d'autrui.
Alors que le tribunal s'apprêtait à ouvrir les débats sur les deux procédures de la dénonciation calomnieuse et de la destruction et rétention sans droit de la chose d'autrui, l'avocate de Mme Djuidje Marie avait sollicité et obtenu la jonction desdites procédures. Elle avait également demandé que les débats de l'affaire jointe se déroulent à huis-clos, c'est-à-dire en l'absence du public, en estimant que l'infraction de dénonciation calomnieuse retenue contre sa cliente touchait le secret de la défense nationale et le débat public allait contribuer à sa divulgation. Cette précaution visait, d'après elle, à éviter toute récupération politique au regard du contexte sociopolitique que traversait le Cameroun.
Or, cette curieuse demande était contraire aux usages judiciaires en la matière et la loi qui ne prévoit pas l'embargo atour des débats en matière pénale que dans les cas touchant à l'ordre public, à la sureté de l'Etat et aux bonnes moeurs. Le fait pour Kalara d'avoir publié un article relatif à cette demande de huis-clos, en expliquant qu'il s'agissait en fait d'une volonté de «camoufler» le procès, lui avait attiré de nouveau les foudres de Mme Djuidje. Le 15 avril 2021, une plainte avec constitution de partie civile était déposée contre l'auteur de l'article et le directeur de de la publication devant le TPI de Yaoundé CA pour diffamation. Ce procès intenté contre Kalara n'a connu aucune issue.
Le 15 juillet 2021, cette juridiction avait ordonné le huis-clos pour l'examen des plaintes contre l'enseignante. Les débats dans cette affaire se poursuivent. En attendant le verdict de cet autre dossier, le tribunal s'est prononcé sur la procédure relative à la destruction et au vol en condamnant la mise en cause à 9 mois de prison ferme. Cette première décision est à l'image du combat, décrit dans la Bible, entre David et Goliath. Le petit commerçant vient de triompher de l'ancien haut-cadre de la présidence de la République. En attendant la suite...