Congo-Kinshasa: Khalil Al Americani (Vodacom RDC) - «Baisser davantage les tarifs des télécoms va être difficile»

interview

Selon le patron de la filiale congolaise du groupe sud-africain, couvrir 100% de la population du pays va prendre du temps et ne permet pas à Vodacom de réduire ses prix dans l'immédiat.

Plus de vingt ans après son entrée en RDC, Vodacom, numéro un du marché, ne couvre avec son réseau que 60% de la population congolaise. Servir l'ensemble de la population prendra encore plusieurs années, avoue d'ailleurs Khalil Al Americani, le directeur général de la filiale locale.

Interrogé par RFI dans le cadre de son passage dans l'émission Éco d'ici Éco d'ailleurs, il explique les défis auxquels il doit faire face dans le onzième pays le plus grand du monde en termes de superficie. En retard dans ce domaine, le secteur des télécoms enregistre néanmoins dans son ensemble un chiffre d'affaires annuel de plus de deux milliards de dollars. Une manne pour l'État, qui depuis un an souhaite renforcer la contribution des opérateurs au budget national, au grand dam de Vodacom, Orange, Airtel et Africell qui craignent de voir leurs bénéfices, mais aussi leur capacité d'investissement s'amenuiser.

Selon les derniers chiffres disponibles, il y avait un peu moins de 50 millions de puces de téléphones mobiles actives en RDC, quand le pays compte environ 100 millions d'habitants. Avoir un portable en RDC, cela reste un luxe ?

Khalil Al Americani: Cela reste un luxe parce que les réseaux ne sont pas disponibles partout et donc une grande partie de la population demeure non couverte par les réseaux télécoms.

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Pour quelles raisons ?

D'abord en raison de la taille de la RDC, qui fait plus de quatre fois la France. C'est le 11e pays le plus grand du monde, qui en plus est enclavé. Il n'a que 37 kilomètres de côtes.

La connectivité du pays est-elle insuffisante ?

Le câble sous-marin, qui dessert la RDC arrive par l'ouest du pays. Depuis ce point, il faut pouvoir connecter le reste du pays, Lubumbashi au sud et puis toute la zone de l'est. C'est pour cela que les réseaux des opérateurs sont reliés à des câbles qui traversent la Zambie, qui vont jusqu'en Afrique du Sud et d'autres qui partent vers l'est. Il y a un double défi: améliorer la connectivité du pays et à l'intérieur de celui-ci, celle des différentes régions, notamment dans les zones rurales.

Combien vous investissez par an pour mieux connecter le pays ?

Cette année, un peu plus de 100 millions de dollars et 1,8 milliard de dollars depuis le démarrage de nos activités dans le pays en 2002.

Quel pourcentage de la population couvrez-vous ?

60% de la population aujourd'hui et le but est de pouvoir augmenter ce chiffre par exemple grâce à des sites en zone rurale alimentés en énergie solaire pour pouvoir pallier les difficultés d'accès à l'énergie.

La plupart des tours télécoms qui composent votre réseau restent alimentés par des groupes électrogènes ?

Absolument. En fonction du type de tours, on utilise parfois un groupe électrogène, parfois deux, auxquels on ajoute des batteries pour le stockage. Mais nous exploitons aussi depuis une dizaine d'années des sites qui fonctionnent grâce à l'énergie solaire. Au total, notre réseau comporte près de 900 sites 2G ou 3G.

Quand pensez-vous pouvoir servir 100% de la population ?

Cela va prendre encore quelques années. Couvrir 100% de la population ne fait pas actuellement partie de nos obligations, parce que techniquement, c'est extrêmement difficile à réaliser.

Pour développer l'usage du téléphone portable et d'Internet, il faut aussi que les prix soient accessibles. Le sont-ils ?

Ils ont été divisés par quatre aux cours des dernières années, notamment en raison de la concurrence entre les quatre opérateurs télécoms présents en RDC. Mais notre capacité à baisser nos prix est limitée par le coût de nos opérations. Certaines localités sont encore connectées uniquement par satellite et c'est très onéreux.

Pouvez-vous encore baisser vos tarifs ?

Cela va être difficile étant donné l'importance à la fois de nos coûts opérationnels et de nos contraintes. En cas de coupure de fibre optique, nous sommes parfois obligés de faire le tour du continent pour pouvoir connecter le reste du réseau. Ce sont des choses qui malheureusement arrivent assez souvent.

Quelle proportion de la population a accès à Internet aujourd'hui en RDC ?

Aujourd'hui, 56% de la population a accès aux réseaux GSM, un petit peu moins de 30% à internet et environ 19% utilise les services financiers mobiles. L'industrie télécom en est encore à ses débuts en RDC. Malgré nos vingt ans de présence dans le pays, je pars du principe qu'on est encore au tout début de l'industrie des télécommunications et des usages de la technologie en RDC.

L'année dernière, l'État a réclamé aux opérateurs télécoms 500 millions d'arriérés de taxes. La négociation est toujours en cours ?

Oui et tous les opérateurs sont heureux de l'amélioration ces derniers mois de la discussion avec les autorités. Le régulateur a mis en place un système de contrôle des flux - minutes de communication et volumes de données - que nous traitons. Nous travaillons avec les ministères des Finances et de l'Économie pour pouvoir finaliser au mieux ces dossiers fiscaux. Nous sommes assez optimistes.

D'un point de vue fiscal, est-ce que vous pouvez davantage contribuer au budget de l'État ?

La croissance de notre industrie - deux milliards de chiffre d'affaires annuel - va automatiquement augmenter notre contribution fiscale.

Les opérateurs télécoms sont aussi devenus des acteurs du système financier. Avec votre plateforme M-Pesa, vos clients peuvent faire des transferts d'argent, payer leurs factures.

L'usage de M-Pesa croît d'environ 30 % par an. Mais nous sommes encore loin d'avoir atteint son plein potentiel. Moins de 20 % du pays utilise les plateformes de « mobile money ». Les opérateurs proposent des services de plus en plus diversifiés. Nos clients peuvent obtenir un microcrédit, payer une facture, épargner. À terme, nous pourrons éventuellement aussi collecter les taxes pour le gouvernement.

Est-ce que votre montée en puissance dans le secteur financier illustre l'échec des banques ?

Absolument pas. Nos services sont très complémentaires. D'ailleurs, il est possible de faire des transferts d'un compte bancaire vers un compte M-Pesa, et vice versa. Notre objectif est que tous les commerçants aient accès à notre plateforme de paiement pour faciliter les achats de leurs clients. Les banques ne sont pas près de pouvoir le faire.

Orange a créé Orange Bank Africa. Est-ce que Vodacom ambitionne aussi de d'obtenir une licence bancaire ?

Cela fait partie des choses que l'on considère. Mais notre objectif est pour l'heure encore de faire grandir notre nombre d'utilisateurs et d'intégrer les commerçants dans notre écosystème. Apporter des services financiers aux petites et moyennes entreprises représente sans doute notre plus grand levier de croissance. Cela permettra aussi de formaliser toute une partie de l'économie congolaise.

La notion d'intelligence artificielle a pris une dimension beaucoup plus concrète pour le grand public depuis quelques mois avec la mise à disposition d'applications comme ChatGPT. Est-ce qu'en RDC, Vodacom utilise déjà cette technologie ?

Effectivement, nous l'intégrons de façon très contrôlée pour traiter de grandes quantités de données, par exemple pour faire des prédictions de trafic et anticiper des pannes avant qu'elles ne surviennent.

Et nous sommes en train de travailler sur une plateforme qui va nous permettre d'évaluer de manière automatique le potentiel d'emprunt de nos clients. Nous le faisons déjà avec nos partenaires pour des sommes d'environ cinq dollars afin de permettre à nos clients d'acheter des crédits téléphoniques. À termes, cela permettra aussi de financer l'achat de smartphones. Moins de 30 % de nos abonnés en possèdent. Démocratiser l'accès des Congolais à ses terminaux transformera profondément les usages.

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