Les « droits à polluer » issus de la conservation ou de la reforestation de près de 1 million d'hectares de forêts permettraient aux Emirats arabes unis de tenir leurs engagements climatiques.
Le Liberia s'apprête à accorder des droits exclusifs sur 1 million d'hectares de forêts, soit environ 10 % de la superficie du pays, à une société privée émiratie qui devra commercialiser les crédits-carbone obtenus à partir de projets de conservation ou de reforestation. Un protocole d'accord entre le ministère des Finances libérien et la société Blue Carbon LLC a été conclu en mars et le contrat définitif, portant sur une durée de trente ans, serait en passe d'être signé. Blue Carbon LLC est aussi en pourparlers avec la Zambie et la Tanzanie. Les émirats pétroliers seront l'hôte controversé de la conférence annuelle des Nations unies sur le climat (COP28), fin novembre. Les parties envisagent de rendre public, à l'occasion de ce rendez-vous planétaire, un accord entre le gouvernement du Liberia et celui des EAU portant sur le transfert de « droits à polluer », comme le prévoit l'accord de Paris sur le climat, pour permettre aux Etats de tenir les objectifs qu'ils se sont engagés à atteindre afin de contenir la hausse moyenne des températures mondiales au-dessous de 2 °C, voire 1,5 °C.
Une annonce certainement destinée à convaincre de la volonté des EAU de s'investir davantage dans la transition énergétique, alors que les engagements pris jusqu'à présent sont jugés largement insuffisants, voire « irréalisables », compte tenu des projets d'accroissement de la production d'énergies fossiles, selon une étude de Climate Action Tracker. Au Libéria, ce contrat négocié dans le secret soulève des inquiétudes. Plusieurs organisations de la société civile se sont alarmées de la violation des droits des populations vivant dans les neuf territoires ciblés par le projet. Sur le million d'hectares convoités, moins de 400 000 sont classés en aires protégées. « S'arroger des droits sur du carbone pour le commercialiser aurait des conséquences directes pour les populations en les privant de décider de l'utilisation de leurs terres. Le gouvernement doit avoir conscience qu'il se mettrait en infraction des lois sur les droits fonciers s'il considérait qu'il peut vendre le carbone de forêts qui ne lui appartiennent pas », prévient la Coordination indépendante de la surveillance des forêts.
Le parti d'opposition du Peuple libérien a appelé à la suspension des négociations avec Blue Carbon jusqu'à ce que les populations affectées soient « identifiées, informées des potentiels impacts économiques et sociaux et que leur consentement [soit] obtenu ». Environ un tiers de la population du Liberia vit en zone forestière. Après plusieurs années de difficiles négociations, une loi sur les droits fonciers - considérée comme très progressiste dans la région - a été adoptée en 2018. Elle facilite la reconnaissance des droits de propriété des communautés villageoises et est censée les protéger de futurs accaparements, alors que près de 40 % de la superficie du pays sont occupés par de grandes concessions minières ou agricoles. Si le contrat entre Blue Carbon et les autorités mentionne le nécessaire « consentement libre, informé et préalable » des communautés, conformément aux recommandations des institutions internationales, il ne se donne que « trois mois » pour l'obtenir, ce qui est peu pour mener des processus de consultation complexes.