Tunisie: Ahmed Hachani nommé Chef de gouvernement - Les chantiers du nouveau locataire de La Kasbah !

3 Août 2023

« Le temps des sit-in et des revendications corporatistes est révolu. Aujourd'hui nous défendons la cause d'une patrie, nous entamons une nouvelle ère sur la base des valeurs du travail et de la création de richesse», martèle Kaïs Saïed.

L'information est tombée comme un couperet. Coup de tonnerre à La Kasbah : Najla Bouden limogée, son successeur est inconnu du bataillon. La présidence de la République, optant pour l'effet surprise, une fois de plus, a annoncé tard dans la nuit de mardi, le départ de Najla Bouden, immédiatement remplacée par Ahmed Hachani. Visiblement, le Président de la République aspire à une meilleure efficience gouvernementale qui devra consolider un nouveau projet.

D'une manière inopinée, la rupture est consommée entre Najla Bouden et Kaïs Saïed, son rendement y est pour quelque chose ? Alors que le Chef de l'Etat a, à maintes reprises, appelé à une meilleure efficience gouvernementale, notamment dans la gestion de certains dossiers sensibles. Les messages n'ont-ils pas été interceptés comme il se doit par La Kasbah ? Raison qui expliquerait ce départ expéditif quoique attendu ? Un nouveau rebondissement d'envergure non expliqué par Carthage et qui intervient dans un contexte de crise sociale aggravée par les pénuries qui touchent les produits alimentaires de base.

L'ancienne Cheffe du gouvernement, dont le rendement ne fait pas consensus, a vu son équipe changer successivement, ses ministres partir l'un après l'autre sur ordre du Président de la République. La goutte d'eau qui a fait déborder le vase serait sans doute la crise du pain dont la gestion a été sévèrement critiquée par le Chef de l'Etat. D'ailleurs, durant leur dernière entrevue, Kaïs Saïed, visiblement en colère, a adressé un dernier avertissement à la Cheffe du gouvernement, mais c'était trop tard, les dés sont jetés.

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Najla Bouden a été aussitôt remplacée par un ancien haut cadre de la Banque centrale, Ahmed Hachani, inconnu du grand public et de la scène nationale et politique. Le nouveau Chef du gouvernement a fait ses études à la faculté de Droit et des sciences économiques de Tunis où il a obtenu une maîtrise en droit public en 1983. Le même établissement où Kaïs Saïed enseignait le droit constitutionnel. Trois fois major de promotion et juriste de formation, il a ensuite occupé le poste de directeur général à la Banque centrale de Tunisie, avant de partir à la retraite. Le nouveau chef du gouvernement, qui se dit partisan d'un Etat laïque, de la démocratie, et de l'égalité des droits entre femmes et hommes, a immédiatement prêté serment devant le Chef de l'Etat.

« Le temps des sit-in est révolu »

Au cours de la prestation de serment qui a été organisée, le soir même, au Palais de Carthage, Kaïs Saïed a évoqué les énormes défis à relever. « Je suis certain que vous allez oeuvrer à préserver les institutions de l'Etat et créer l'harmonie nécessaire pour leur fonctionnement, car il n'y a qu'un seul Etat », a insisté le Président de la République.

Hier, le Président de la République a présidé, au palais du gouvernement de la Kasbah, la cérémonie d'investiture et de passation de pouvoir du nouveau chef du gouvernement Ahmed Hachani. Lors de cette cérémonie, il a félicité la désormais ex-Cheffe du gouvernement, Najla Bouden. Le Président a énuméré les priorités du nouveau chef de la Kasbah, insistant sur le rôle social et économique de l'Etat, la nécessité de renforcer la culture et les valeurs travail. Il a également appelé à assainir l'administration des agents recrutés « illégalement » durant la dernière décennie. « Le temps des sit-in et des revendications corporatistes est révolu, a-t-il averti. Aujourd'hui, nous défendons la cause d'une patrie, nous entamons une nouvelle ère sur la base des valeurs du travail et de la création des richesses », martèle-t-il

Najla Bouden, quel bilan ?

En tout état de cause, les raisons du limogeage de Najla Bouden n'ont pas été dévoilées publiquement. Cependant, une question est pour l'heure dans tous les esprits, un remaniement se prépare-t-il ou bien la même composition sera-t-elle maintenue ? Peu probable !

La Constitution de 2022 dispose dans son article 101 que «le président de la République nomme le chef du gouvernement, ainsi que les autres membres du gouvernement, sur proposition de son chef».

Désignée cheffe du gouvernement le 11 octobre 2021, Najla Bouden vient de boucler un mandat au rendement peu brillant, selon les observateurs. Silencieuse et discrète, Bouden ne s'est pas particulièrement illustrée, du moins sur le plan communicationnel. Elle est restée dans l'ombre du président qui a dû intervenir pour débloquer des situations. Les exemples sont légion.

Même le dossier des médias publics a été géré directement par le Président de la République qui a effectué, rappelons-le, une visite historique dans les locaux de La Presse pour apporter son soutien au journal et à son personnel. Ensuite à la Kasbah pour appeler à sauver La Presse et Dar Essabah « qui font partie de notre histoire », a-t-il encore fait valoir.

Crise du pain, incendies, crise migratoire, accès à l'eau, phosphate, Kaïs Saïed multipliait les interventions. Malgré cela, le bilan de Bouden a été durablement impacté par des pénuries récurrentes qui ont nui considérablement au climat social. Et il semblerait que c'est la crise du pain qui a précipité son départ.

Le bilan de la première femme à être cheffe de gouvernement dans le monde arabe a été scruté de près et à sa décharge, son mandat a été troublé par des crises graves. Mme Bouden aura surtout brillé par sa discrétion et une communication minimaliste, outre un échec sur le plan économique, qu'elle assume avec ses principaux ministres. Un échec aggravé par des négociations qui n'ont pas abouti avec le Fonds monétaire international (FMI).

Avec les syndicats, les relations n'étaient guère meilleures, notamment avec l'Union générale tunisienne du travail. La fameuse circulaire 20 qui interdisait aux fonctionnaires toute négociation avec les syndicats sans l'aval préalable du gouvernement a envenimé une situation déjà explosive.

Réactions politiques

Signalons que cette nomination nocturne du nouveau Chef du gouvernement a entraîné une avalanche de réactions. Les uns déplorent le manque d'expérience politique et économique du nouveau locataire de la Kasbah. Pour sa part, l'opposant et président du Front de salut national, Ahmed Nejib Chebbi, s'est dit « étonné » face à ce nouveau rebondissement. Selon lui, ni le programme de Najla Bouden ni celui de son successeur ne sont connus, alors que « l'échec de Bouden s'explique par son rôle de coordinatrice du gouvernement que d'un vrai chef de gouvernement ».

Le député et rapporteur de la commission de législation générale, Dhafer Sghiri, visiblement désappointé, a expliqué que les élus ignoraient ce changement à la tête de l'exécutif. Il a indiqué qu'ils ont appris la nouvelle comme tous les Tunisiens, par le biais des réseaux sociaux et le communiqué de la présidence. En tout état de cause, les prochains jours semblent réserver leur lot de surprises.

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