Âgé de 81 ans, Dev Virahsawmy, ancien politicien, écrivain et linguiste, s'engage dans une nouvelle lutte : la légalisation de l'huile de cannabis. En tant que patient souffrant du syndrome post-polio, il aspire à apaiser «légalement» ses douleurs. Entrevue à coeur ouvert...
Vous l'avez mentionné à maintes reprises, vous avez contracté la polio à l'âge de trois ans seulement. Pourriez-vous nous relater votre parcours ?
En 1945, à l'âge de trois ans, lors de la première vague de l'épidémie de Polio à Maurice, également connue à l'époque sous le nom de paralysie infantile, j'ai été touché et cela a affecté ma partie gauche, incluant ma jambe, mon visage, mais surtout ma main. Comme vous l'avez remarqué, j'ai un problème à l'oeil gauche. Je ne peux pas voir de cet oeil et je n'entends pas de l'oreille gauche. Il est bien connu que le virus ne quitte jamais le corps du patient. Il reste avec nous et nous affaiblit progressivement à mesure que nous vieillissons, ce qui peut entraîner le syndrome post-polio. À partir de mes 75 ans, j'ai commencé à ressentir des douleurs étranges dans tout mon corps. Je ne pouvais plus rester debout longtemps ni marcher.
Je me suis rendu en Inde où j'ai suivi plusieurs séances de massage pour soulager mes douleurs, ainsi que des séries de tests. C'est là qu'on a découvert que j'avais également une jambe plus courte que l'autre, une séquelle de la polio. Cela a également eu des conséquences sur ma colonne vertébrale. Aujourd'hui, je vis avec une douleur constante, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Je dois prendre du Doliprane quatre fois par jour, soit toutes les six heures, chaque jour... Malheureusement, il n'y a pas de remède pour cela. Actuellement, je me déplace difficilement en utilisant une ceinture lombaire. J'essaie de faire un peu d'exercice pour ne pas affaiblir davantage ma jambe.
Comme vous l'avez dit vous-même, il n'y a pas de remède à cela, mais peut-on envisager de soulager la douleur ? Comment ?
L'huile de cannabis est une option, en tant qu'anti-douleur naturel. J'ai personnellement participé à une campagne pour sa légalisation à Maurice. Cette initiative est devenue réalité en novembre dernier, mais elle n'a pas été pleinement libéralisée. Cela signifie qu'il faut passer par un comité pour y avoir accès. Je trouve cela déconcertant, car cela peut donner lieu à l'enrichissement de certains médecins. Par exemple, je connais des médecins qui pourraient vous fournir légalement cette huile, mais après dix consultations privées. Cette situation donne un pouvoir excessif aux fonctionnaires.
À mon avis, il y a deux lobbys qui s'opposent à sa libéralisation. Tout d'abord, les médecins, car si l'huile est libéralisée et facilement accessible, il ne sera pas nécessaire d'obtenir une prescription médicale. Deuxièmement, les grandes sociétés pharmaceutiques, car l'huile de cannabis pourrait réduire la nécessité de médicaments tels que le Doliprane ou le Panadol. Cette huile pourrait potentiellement aider les 250 000 Mauriciens souffrant de plus de 15 affections différentes.
Avez-vous déjà essayé cette huile de cannabis ?
Je vais être honnête avec vous. Beaucoup de personnes m'ont proposé de l'essayer, mais j'ai refusé. Si je trouvais un soulagement personnel, cela me suffirait. Cependant, mon objectif est de mener ce combat pour le bien de tous. Je souhaite que chacun puisse l'obtenir librement. Pour cela, il faut la mobilisation de tous : l'opinion publique, les médecins, les politiciens, les travailleurs sociaux et la presse.
Certains évoquent des risques d'abus suite à la libéralisation. Qu'en pensez-vous ?
Des abus ? De quelle manière ? Il ne faut pas confondre avec l'usage récréatif du cannabis. Pourquoi les toxicomanes voudraient-ils acheter de l'huile de cannabis ? De plus, il aurait été possible d'utiliser le cannabis industriel pour plusieurs usages. Nous aurions pu avoir trois récoltes par an, ce qui aurait fourni de l'huile, du bois pour l'énergie, et du matériau pour produire des cordes, des textiles ou des chaussures, comme c'est le cas à l'étranger. L'idée que les toxicomanes l'utiliseraient pour fabriquer de la drogue synthétique est exagérée.
Vous avez également mentionné le 'linet roupi dan lizie' dans une lettre ouverte aux autorités. Qui visez-vous principalement ?
«Linet roupi dan lizie» fait référence à la priorité donnée à l'argent au détriment de la santé (au lieu du vitre, il y a des roupies). Cela concerne ces lobbys que j'ai mentionnés précédemment. C'est la décision du gouvernement de confier à un petit groupe de personnes le pouvoir de décider qui peut accéder à cette huile. Dans ma situation, par exemple, je ne peux pas me permettre d'attendre dans un hôpital pour obtenir de l'huile. Les patients atteints de cancer ou de Parkinson sont dans la même situation. Pourquoi devrions-nous dépendre d'une prescription médicale dans de telles circonstances ? Pendant ce temps, nous continuons de souffrir. À mon avis, ces personnes manquent d'empathie et sont «dominer». Nous ne devons pas jouer leur jeu. Je n'ai jamais fait de demande pour obtenir de l'huile, car je veux que cela soit accessible librement.
Avez-vous engagé une discussion sur ce sujet avec les autorités ?
Oui, j'ai entamé une discussion à ce sujet à travers plusieurs lettres adressées à Kailesh Jagutpal, et j'ai même eu une rencontre avec le Premier ministre. Mé perdi létan sa. Ils sont dominés par le lobby financier...
Bio data express
Dev Virahsawmy est né en 1942 et a été atteint de la polio en 1945. Il affirme n'avoir jamais baissé les bras face à la maladie et a essayé tant bien que mal de mener une vie normale. «Mé ti difisil...» Alors étudiant au collège St. Joseph, il a joué au football pendant plusieurs années en tant que gardien de but, malgré les graves séquelles à sa main causées par la polio. Il s'est également adonné au volleyball au cours de sa scolarité. Par la suite, il s'est découvert un intérêt pour la musique et la peinture, avant de partir poursuivre ses études supérieures à l'université d'Édimbourg, en Écosse, où il a étudié la langue, la littérature anglaise et française, entre autres. Il a ensuite obtenu un diplôme de troisième cycle en linguistique. C'est à ce moment-là qu'il a consacré sa thèse à la langue créole mauricienne.
Après son retour au pays, bien que sa famille soit «full travailliste», il a rejoint le monde de la politique et est devenu député pour le MMM dans la circonscription no5 en 1970. En 1972, il a été emprisonné pendant un an, puis s'est rapproché du MSM, peu avant 1983. «J'ai contribué à la construction du parti de SAJ, puis j'ai pris mes distances quelques années plus tard.» Il s'est ensuite consacré à sa carrière d'écrivain, produisant plus de 2000 poèmes, 40 pièces de théâtre, un roman et bien d'autres oeuvres d'art. «En 1987, j'ai même apporté mon aide à Gaëtan Duval pour l'organisation du premier festival de la mer...»