Madagascar: La société civile alerte sur la recrudescence du trafic d'espèces sauvages

interview

Madacasgar connaît une recrudescence inquiétante du trafic d'espèces sauvages. C'est ce qu'a constaté l'Alliance Voahary Gasy, une plateforme qui regroupe les organisations de la société civile oeuvrant pour la protection de la biodiversité malgache dans toute l'île.

À Madagascar, la biodiversité endémique à 80%. L'Alliance Voahary Gasy appelle à d'autant plus de vigilance alors que le pays entre dans une période électorale, un moment où les trafics de ressources naturelles s'intensifient. Zo Maharavo est le coordonnateur national de l'Alliance Voahary Gasy.

Votre plateforme alerte sur une recrudescence du trafic des espèces sauvages à Madagascar ces derniers mois. Quelles sont les causes de cette intensification ?

L'Alliance Voahary Gasy a des observateurs éparpillés un peu dans toute l'île et d'après nos opérations de renseignement, on a constaté depuis la fin de l'année 2022 et jusqu'à maintenant qu'il y a une recrudescence vraiment alarmante sur les questions de trafics d'espèces sauvages à Madagascar, en particulier les espèces faunistiques. Cela se répète à l'approche de chaque grand évènement dans le pays. On sait qu'il y a les élections qui approchent et l'on remarque ces variations en matière de trafic à Madagascar. Donc, on a une forte suspicion que l'approche de la période électorale fait qu'il y a cette recrudescence actuellement.

Quels types d'espèces sont victimes de ces trafics ?

Les tortues radiata sont les plus trafiquées mais il y a aussi eu des lémuriens à la fin de l'année 2022. Il suffit juste de taper « tortue » sur les réseaux sociaux et vous allez voir qu'il y a beaucoup d'offres. C'est généralisé. Pour le moment, on dirait que c'est un trafic qui reste domestique. Mais quand on voit la quantité qui circule, quand on fait des saisies de 400 tortues, ça laisse à penser que ce ne sont pas des tortues destinées au commerce illicite domestique. On soupçonne que les trafiquants cherchent des points de sorties pour ces tortues. On se rapproche très facilement des milliers d'individus saisis ces six derniers mois.

Comment s'organise leur exploitation ?

Ces tortues radiata ou tortues étoilées sont présentes dans le sud de Madagascar. C'est leur aire naturelle de développement. Pourtant, les saisies se font au nord. Depuis 2019, après une étude menée avec Global Initiative, on connaît la route de ce trafic. On sait qu'il y a un point de sortie à Majunga, notamment au niveau du port et que ça part jusqu'aux Comores. Donc on soupçonne que cette route soit encore exploitée actuellement. Il y a aussi une petite quantité qui circule pour les utilisations domestiques ici à Madagascar parce que les gens pensent que les tortues ont une certaine vertu pour leur santé par exemple.

Qui est derrière ce commerce illégal ?

C'est un réseau extrêmement bien organisé. Il est organisé de telle manière qu'il y a des commanditaires qui envoient des intermédiaires. Ces intermédiaires discutent avec les locaux qui sont à proximité des aires de développement de ces tortues pour en faire la collecte. Donc c'est extrêmement difficile de savoir exactement qui sont les vrais commanditaires derrière. C'est encore le talon d'Achille de ce que nous faisons actuellement. Mais on soupçonne du trafic d'influence derrière, de la corruption aussi.

Madagascar dispose de l'arsenal juridique pour lutter contre ce trafic. Pourquoi ne parvient-on pas à y mettre un terme ou à le diminuer ?

Même des intermédiaires appréhendés en flagrant délit sont encore libérés. C'est actuellement le cas pour l'affaire des 412 tortues saisies à Tuléar, il y a deux mois. Il y a une grande difficulté concernant l'application des lois. L'Alliance Voahary Gasy a fait de la justice environnementale son fer de lance. On fait de l'éducation juridique au niveau des communautés et nous appuyons aussi les échanges au niveau des ministères clés pour que les lois soient appliquées. On remercie déjà les efforts qui sont fait même si c'est encore trop peu. Il y a la politique de tolérance zéro pour le ministère de l'Environnement et la politique pénale pour le ministère de la Justice. Mais pour bien faire appliquer les lois, il faut des moyens. Techniquement, il n'y a pas de décentralisation des lois. Il n'y a pas assez de ressources allouées pour les ministères qui doivent appliquer les lois. Les agents forestiers sont sous-payés. Les tribunaux manquent de personnel. Les analyses historiques que nous avons effectuées, par exemple, sur les lois de finances, sur le budget des ministères clés n'a jamais dépassé les 1%.

À moins de trois mois de l'élection présidentielle, sur quoi souhaitez-vous interpeller ?

À l'endroit de ceux qui vont se présenter à l'élection: arrêtez de faire des promesses qui nuisent à la biodiversité. C'est important aussi de dire aux électeurs, que quand ils vont voter, il faut voir dans les programmes de ces candidats ce qu'ils proposent sur les questions environnementales. On interpelle aussi les trafiquants eux-mêmes: vous êtes Malgaches, qu'allez-vous léguer à vos enfants et vos petits-enfants ? Ne salissez pas vos noms.

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