L'incapacité de l'économie nationale à créer des emplois persiste et signe
Nouvelle hausse du chômage. Il atteint 12,4% (+1,2 point) au niveau national contre 11,2% auparavant. En détail, le taux de chômage passe de 15,5% à 16,3% (+0,8 point) en milieu urbain et de 4,2% à 5,7% en milieu rural (+1,5 point). Il est plus élevé parmi les jeunes âgés de 15 à 24 ans (33,6%), les diplômés (19,2%) et les femmes (17%), indique une nouvelle note d'information du Haut-Commissariat au plan (HCP) relative à la situation du marché du travail au deuxième trimestre de 2023.
Hausse d'un cran
En détail, le HCP révèle qu'entre le deuxième trimestre de 2022 et celui de 2023, le nombre de chômeurs a augmenté de 156.000 personnes, passant de 1.387.000 à 1.543.000 chômeurs, ce qui correspond à une hausse de 11%, résultant d'une augmentation de 92.000 chômeurs en milieu urbain et de 64.000 en milieu rural.
La hausse du chômage a concerné l'ensemble des catégories de la population. Il a augmenté de 1,1 point pour les hommes, passant de 9,9% à 11%, et de 1,9 point pour les femmes, passant de 15,1% à 17%. Il a également enregistré une hausse de 1,2 point parmi les diplômés, passant de 18% à 19,2%, et de 0,9 point parmi les non diplômés, passant de 3,6% à 4,5%.
L'augmentation du taux de chômage a concerné également toutes les tranches d'âge. Elle est plus prononcée parmi les jeunes âgés de 15 à 24 ans (+3,4 points), passant de 30,2% à 33,6%, et parmi les personnes âgées de 25 à 34 ans (+1,1 point), passant de 18,7% à 19,8%.
A rappeler que le dernier rapport de Bank Al-Maghrib sur l'exercice 2022 présenté dernièrement à Sa Majesté le Roi, a souligné que la problématique du chômage des jeunes revêt « une importance particulière au regard du poids des jeunes âgés de 15 à 24 ans qui représentent 16,3% de la population totale, soit 6 millions de personnes. S'il est prévisible qu'une grande partie de cette tranche d'âge (57,3%) soit encore scolarisée, il n'en demeure pas moins que près de 1,5 million de jeunes ne sont ni à l'école, ni en emploi, ni en formation et constituent ce qui est communément appelé des NEET».
Cinq régions, ajoute la note du HCP, concentrent près de sept chômeurs sur dix (69,4%) au niveau national. La région de Casablanca-Settat vient en première position avec 25,7%, suivie de Rabat-Salé-Kénitra (12,8%), de Fès-Meknès (12,3%), de l'Oriental (10,5%) et de Tanger-Tétouan-Al Hoceima (8,1%). Mais les taux de chômage les plus élevés sont enregistrés au niveau des régions du Sud (23,8%) et de la région de l'Oriental (20,3%). Avec une acuité moindre, deux autres régions dépassent la moyenne nationale (12,4%); à savoir Casablanca-Settat (14,3%) et Fès-Meknès (13,2%).
En revanche, les régions de Marrakech-Safi, de Tanger-Tétouan-Al Hoceïma et de Drâa-Tafilalet enregistrent les taux les plus bas, avec respectivement 6,7%, 8,5% et 10,1%.
Augmentation du sous-emploi
Sur un autre registre, le HCP explique que le volume du sous-emploi a aussi augmenté, durant la même période, passant de 939.000 à 983.000 personnes, de 500.000 à 549.000 dans les villes et de 439.000 à 443.000 à la campagne. Le taux de sous-emploi est ainsi passé, au niveau national, de 8,5% à 9%, de 7,7% à 8,4% en milieu urbain et de 9,6% à 9,9% en milieu rural. A rappeler que le taux de sous-emploi renvoie au rapport de la population sous-employée âgée de 15 ans et plus à la population active occupée du même âge.
Le taux de sous-emploi des hommes (10,1%) est deux fois plus élevé que celui des femmes (5%). En milieu urbain, il est de 8,7% pour les hommes contre 7,2% pour les femmes et en milieu rural, il est presque 6 fois plus élevé parmi les hommes avec 12,3% que parmi les femmes (2,1%).
Perte d'emploi
Le HCP indique, en outre, qu'entre le deuxième trimestre de 2022 et la même période de 2023, l'économie nationale a perdu 86.000 postes d'emploi, résultat d'une perte de 198.000 postes d'emploi non rémunérés et d'une création de 112.000 emploi rémunérés. Cela est dû à la perte de 206.000 postes en milieu rural et à la création de 121.000 en milieu urbain, contre une création de 133.000 postes d'emploi au deuxième trimestre de 2022.
Le secteur des "Services" a créé 103.000 postes, celui de l'"Industrie y compris l'artisanat" 46.000 postes, celui des BTP 30.000 postes, alors que l'"Agriculture, forêt et pêche" en a perdu 266.000.
Par ailleurs, avec une hausse de 156.000 personnes, résultant d'une augmentation de 92.000 en milieu urbain et de 64.000 en milieu rural, le volume global des chômeurs a atteint 1.543.000 personnes, au niveau national.
Problème endémique et structurel
Que signifient ces résultats ? « Que nous sommes toujours devant un fléau endémique et structurel souvent traité comme un phénomène banal alors qu'il s'agit d'un problème qui interroge la dynamique de notre économie nationale et la participation du secteur privé à créer de l'emploi », soulignent plusieurs spécialistes. En effet, ajoutent-ils, la création d'emploi a été directement ou indirectement du ressort de l'Etat grâce à son appui, ses subventions, ses programmes ou stratégies. Et cela dure depuis les années 90 notamment en ce qui concerne l'emploi pour les diplômés.
Pour nombre d'analystes, les chiffres du HCP restent, cependant, partiels et reflètent imparfaitement la réalité et l'ampleur de ce phénomène, puisque plusieurs paramètres ne sont pas pris en considération comme le chômage déguisé, l'emploi partiel, l'emploi précaire, indépendant et informel...
Hicham Attouch, professeur d'économie à l'Université Mohammed V, nous avait expliqué dans l'une de nos précédentes éditions que l'emploi au Maroc demeure « une question épineuse qui exige une vraie politique claire fixant les caractéristiques des postes, les secteurs cibles et les droits et les obligations ». Et cela nécessite, selon lui, l'implication de plusieurs acteurs pour débattre des grandes questions et orientations. « Le patronat n'a pas la baguette magique pour résoudre un problème structurel.
D'autant plus que l'implication du secteur privé dans la création d'emplois n'est pas une nouvelle recette puisqu'elle a été expérimentée dans les années 80 après la mise en place du Plan d'ajustement structurel et qui s'est soldé par un échec. Le secteur privé a démontré depuis longtemps son incapacité à absorber le chômage. La croissance de l'économie marocaine a été également incapable de créer de l'emploi en nombre suffisant», nous avait-il précisé. Et de poursuivre : « D'autant plus que la création d'emplois n'est pas mécanique. Mettre en place des investissements ou des subventions ne débouchera pas automatiquement sur la création de nouveaux postes. Ce n'est pas évident notamment dans le contexte actuel marqué par la digitalisation et les conséquences de la crise liée à la pandémie de Covid-19 ».
Le dernier rapport de Bank Al-Maghrib soutient, de son côté, que la persistance du problème du chômage, notamment celui des jeunes dans notre pays, révèle l'échec de nombreux plans et stratégies dédiés à l'emploi et remet en question leur efficacité et leur rendement ainsi que leur évaluation. Pour les rédacteurs de ce rapport, le chômage des jeunes constitue une forme d'exclusion qui affaiblit la cohésion et la stabilité sociales.
A ce propos, ils estiment que « la priorité serait de se focaliser sur une politique d'éducation permettant d'améliorer la rétention scolaire des jeunes et le rendement externe du système », tout en rappelant que malgré « les efforts consentis, notamment sur le plan budgétaire, l'abandon scolaire persiste à des niveaux élevés avec plus de 300 mille élèves en moyenne qui quittent prématurément l'école chaque année ».