Niger: 'L'intervention militaire de la CEDEAO n'est pas un bluff mais serait la pire des solutions'

Niamey — " Je ne pense pas qu'il s'agisse d'un bluff ", affirme Rahmane Idrissa, chercheur nigérien à l'Université de Leiden, à propos d'une éventuelle intervention militaire de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) au Niger pour libérer le Président Mohamed Bazoum et renverser la junte putschiste qui s'est emparée du pouvoir.

Le président nigérian Bola Tinubu figure parmi les plus grands partisans de l'intervention militaire de la CEDEAO/ECOWAS. "Je ne crois pas du tout que Tinubu soit un simple outil de la politique occidentale, comme certains le soupçonnent. Tout au plus peut-on parler d'une convergence de vues (plutôt que d'intérêts) entre Abuja et les capitales occidentales, en particulier Paris et Washington", déclare Idrissa.

"Tinubu se soucie de restaurer l'image de la CEDEAO/ECOWAS, pour des raisons également 'panafricaines' et sans doute pour rehausser le prestige du Nigeria", explique l'universitaire. "Cependant, il a proféré ses menaces prématurément et sans avoir pris le temps de comprendre ce qui se passe au Niger et dans les pays francophones d'Afrique de l'Ouest. Par conséquent, il est maintenant conscient que l'intervention n'est pas une bonne idée".

En effet, explique Idrissa, "l'influence de Paris et de Washington, qui insistent sur une restauration totale de Bazoum, est néfaste. Une réintégration est politiquement inconcevable, surtout si elle rétablit aussi l'emprise du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS-Tarayya), le parti du président. La réalité a certes changé, par la force, mais la force ne peut pas la ramener. L'idéal serait de revenir à une tradition nigérienne : le putsch participe à la réinvention et au renouvellement du processus politique, comme un ordinateur que l'on redémarre", estime Idrissa.

"Le PNDS ne serait pas exclu d'un tel processus, mais sans conserver la position dominante dont il a abusé jusqu'à présent", poursuit l'universitaire. Je doute que la junte de Niamey rejette un accord au nom duquel les sanctions seraient levées en échange de l'activation d'un tel processus politique, avec des garanties données au Nigeria, peut-être par le biais d'observateurs de la CEDEAO/CEDEAO (en particulier des Nigérians) établis à Niamey - ce serait une façon pour Tinubu de "sauver la face".

Il reste "l'obsession des puissances occidentales pour la Russie". Malgré la russophilie des idéologues nationalistes, la Russie n'est pas un facteur important dans l'équation nigérienne", affirme Idrissa. Les visites de Salifou Modi (l'un des putschistes) à Bamako ne doivent pas donner cette impression". "L'idée de ces visites est de créer les conditions d'une sécurité collective avec le Mali (puis le Burkina Faso), mais en aucun cas de "wagnériser" le Niger", précise M. Idrissa, en référence à la société militaire privée russe Wagner qui "assiste" les juntes putschistes du Mali et du Burkina Faso. "Modi travaillait déjà sur cette idée à l'époque de Bazoum, et ses visites à Bamako ne signifient pas nécessairement qu'il était un planificateur du putsch.

"Il est trop tôt pour dire exactement comment le putsch a commencé, mais le fait est qu'il a créé des opportunités qui n'existaient pas auparavant. L'idéal serait de pouvoir exploiter rationnellement ces opportunités et de faire baisser la température des positions politiques, non seulement à Niamey et à Abuja, mais aussi à Paris et à Washington", déclare Idrissa, qui conclut : "L'idéal se produit rarement, mais le contraire de cet idéal (sanctions prolongées au mieux, intervention armée au pire) est trop sinistre pour être acceptable"."

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