Six mois après l'inculpation des présumés auteurs de l'assassinat de l'animateur radio, Reporters sans frontières (RSF) s'interroge sur la volonté réelle des autorités à établir la vérité sur cette situation.
Pendant que l'opinion nationale et internationale s'interroge sur l'ouverture du procès après six mois de détention provisoire, dans le but d'établir la vérité sur l'assassinat de Martinez Zogo, Reporters sans frontières fait des déclarations qui amène l'opinion à douter de la volonté manifeste de définir les responsabilités dans cette situation qui a défrayé la chronique au Cameroun.
«Des pièces du dossier absentes, inaccessibles ou soustraites ?»
Selon RSF qui déclare avoir pu échanger avec plusieurs membres du commando des services secrets camerounais impliqués dans cette mort horrible, l'examen du dossier semble être plus compliqué. « Si certains éléments permettent d'éclaircir les circonstances de cette affaire, il semble que d'autres aient "disparu" au cours de l'instruction. Le doute commence à s'installer sur la volonté réelle des autorités d'établir la vérité. Les conclusions des deux autopsies réalisées sur le corps sont glaçantes. Alors que l'identité du corps est mise en doute dans une partie de la presse de manière intensive par les soutiens de l'homme d'affaires, les tests Adn effectués avec des prélèvements sur la soeur et le fils du journaliste sont formels. Il s'agit bien de Martinez Zogo.
La deuxième autopsie révèle également un détail crucial: la présence d'acide, notamment sur le visage », peut-on lire sur le site de RSF. S'il est établi aujourd'hui dans l'enquête que l'objectif de cette opération n'était pas de tuer le journaliste, deux versions s'affrontent à en croire RSF. « Celle de Justin Danwe qui rapporte que l'ordre a été donné au téléphone par le garde des Sceaux, Laurent Esso, un pilier du régime camerounais, à AB, l'un de ses proches, de "terminer le travail". D'ailleurs, plusieurs sources ayant eu accès au dossier judiciaire déplorent l'absence d'éléments relatifs à l'exploitation des appels et messages envoyés par l'homme d'affaires. Et celle d'une source sécuritaire très proche du dossier qui penche plutôt pour un passage à tabac qui aurait dégénéré. Selon cette source, un homme, l'adjudant-chef "Djoda" aurait joué un rôle particulier dans l'issue funeste de cette soirée du 17 janvier 2023. C'est ce militaire qui aurait coupé l'oreille du journaliste. Avec la douleur, Martinez Zogo se débat violemment. Le passage à tabac a-t-il dégénéré à partir de cet instant ? Le journaliste a-t-il été assassiné ? », s'interrogent nos confrères.
Plus de six mois après les faits, la charge officielle retenue contre la quinzaine de suspects incarcérés, dont Jean Pierre Amougou Belinga en prison principale de Yaoundé Kondengui depuis mars dernier, est celle de « filature, enlèvement et complicité de torture ». Un choix qui « sent "l'arrangement" selon une source sécuritaire. "Inexplicable", ajoute une autre qui a eu accès au dossier. De nombreuses personnes proches du dossier commencent désormais à douter de la sincérité de l'instruction en cours. Certains pointent l'absence de certains éléments, qui ont disparu ou qui n'ont pas été transmis. Les données téléphoniques, en particulier, n'avaient pas été versées au dossier plusieurs semaines après le début de l'enquête. Et rien n'indique qu'elles s'y trouvent actuellement. Il est pourtant impensable que ces relevés téléphoniques indispensables à la manifestation de la vérité n'aient pas été réalisés.
Une autre déplore de son côté des "tentatives pour faire disparaître les images de vidéosurveillance de l'immeuble Ekang" du 17 janvier. "Qu'est-ce qu'ils cachent ? Qui veut-on protéger ? Moi je pense qu'on cherche à enterrer l'affaire", se désole l'une des soeurs du journaliste », écrit RSF. L'on peut également noter de cette nouvelle sortie de RSF q' « au moins 13 membres de la Direction générale du renseignement extérieur (DGRE) ont participé à l'opération ayant entraîné la mort du journaliste camerounais Martinez Zogo le 17 janvier dernier. RSF a pu s'entretenir avec trois d'entre eux, dont le leader présumé du commando, Justin Danwe. Le directeur des opérations de la DGRE que RSF a rencontré à deux reprises à la prison centrale de Yaoundé au cours des derniers mois maintient sa version initiale. Le lieutenant-colonel dit avoir agi sur ordre de l'homme d'affaires Jean-Pierre Amougou Belinga, pour monter une opération visant à intimider Martinez Zogo. Au moment de son enlèvement, le journaliste d'Amplitude FM était à l'origine de nombreuses révélations sur des scandales financiers éclaboussant une partie du pouvoir », révèle Reporters sans frontières.
« Un mystérieux deuxième commando »
Dans la suite de ces révélations, « les 18 et 19 janvier, après avoir été vu dans l'immeuble Ekang le soir du meurtre selon le témoignage de Justin Danwe, AB est informé de l'issue de l'opération. Une vidéo des actes de torture lui est transmise. Que faire du cadavre ? Qui décide et quels sont les échanges à ce sujet ? Après deux jours d'hésitations et d'atermoiements, le corps du journaliste emballé dans du papier aluminium est finalement transporté nuitamment, dans un terrain vague, à l'abri des regards, pour tenter de le faire disparaître avec de l'acide. Selon plusieurs sources proches du dossier judiciaire rencontrées par RSF ces dernières semaines, c'est à ce moment-là qu'un second commando, lui aussi composé de membres de la DGRE, se rend sur les lieux pour mettre fin à cette entreprise de dissimulation. Surpris, le premier groupe prend la fuite avant d'avoir achevé son forfait. Le second déposera le cadavre du journaliste sur un chemin de terre en faisant en sorte qu'il puisse être retrouvé. Qui étaient les membres de ce second commando ?
Comment ont-ils su ce qu'il se passait ? Pourquoi ont-ils laissé le corps à la vue de tous ? » Explique nos confrères sur leur site et d'ajouter que « dans cette pagaille, l'escadron de la mort qui a pris la fuite décide de restituer la Toyota Prado grise empruntée pour l'opération à son propriétaire. Ce dernier, que RSF a pu rencontrer, découvre à l'intérieur de sa voiture une veste militaire et des tâches de sang laissés par les occupants. Nous sommes le 22 janvier. Le corps du journaliste sera découvert le même jour. L'homme comprend que sa voiture a servi pour ce qui va devenir l'affaire Martinez Zogo ».