Soudan: La guerre du Darfour vue à travers le procès d'Ali Kushayb - L'armement des Janjawids [2/3]

Depuis avril 2023, le Soudan connaît une nouvelle explosion de violence, opposant les Forces de soutien rapide (FSR) du général Hemedti à l'armée régulière du général et chef de l'État, Abdel Fattah al-Burhan.

Les FSR ont succédé aux milices Janjawids qui, au service du régime d'Omar el-Béchir, avaient semé la terreur au Darfour lors de la guerre de 2003-2004. Ali Mohamed Abd-el-Rahman [aussi connu sous le nom d'Ali Kushayb, NDLR], ancien chef du groupe paramilitaire, est actuellement jugé par la Cour pénale internationale (CPI) à La Haye pour crimes contre l'humanité et crimes de guerre. Mais comment le pouvoir soudanais a-t-il financé et armé les Janjawids lors de la guerre civile du début des années 2000 ?

Pour lutter contre l'insurrection, le pouvoir soudanais avait dû recruter dans les tribus arabes du Darfour. Celles qui acceptent alors de combattre la rébellion aux côtés du gouvernement reçoivent des armes et de l'argent. C'est ce qu'a raconté l'un des témoins, placé sous le programme de protection de la Cour. Il a déposé sous pseudonyme et sa voix a été déformée.

« Le gouvernement a fourni des véhicules, des armes, des munitions, des armes lourdes aux Janjawids pour qu'ils puissent lancer leurs attaques. Je sais qu'il y avait un hélicoptère qui apportait les armes et les munitions entre Bindisi et Mukjar. »

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Un autre témoin a clairement pointé la responsabilité du ministre de l'Intérieur de l'époque, Mohammed Hussein, et du ministre d'État Ahmed Haroun, tous deux inculpés depuis 15 ans par la CPI mais en fuite.

C'est bien le régime qui arme les Janjawids. Un arsenal évoqué par l'une des procureures, Melissa Simms. Elle parle ici des milices : « Elles se sont rendues dans les zones en question en utilisant des véhicules de type Land Cruiser avec des Dushka installées sur ces véhicules, certains assaillants avec des kalachnikovs, des armes blanches ».

Des distributions d'armes dans une école

Un autre témoin, lui aussi protégé, et qui a vécu l'attaque des miliciens sur la ville de Kodoom en août 2003, a raconté comment l'armement était alors distribué dans la province nord du Darfour : « La distribution des armes s'est faite de façon progressive à toutes les tribus arabes qui résidaient dans la région de Al-Genaïna. En fait, là-bas, c'était essentiellement la tribu Rizeigat ».

Juste avant l'attaque sur Kodoom, dont plusieurs témoins parlent avec effroi, les armes étaient remises aux miliciens. Un homme se rappelle de cette distribution dans une école : « Il y avait une école à Mukjar. Il y avait un dépôt de munitions et d'armes dans cette école-là. Et Al-Dayf Asima, qui était un des chefs, avait un cahier, il appelait les noms, l'un après l'autre, et chacun venait prendre des munitions et une arme. Une fois, je suis allé les voir pour recevoir de l'argent et ils étaient en train de distribuer des armes. À trois reprises au moins, j'ai pu constater qu'ils distribuaient des armes et des munitions à Mukjar ».

Une normalité jamais retrouvée

Si le pouvoir arme les Janjawids, il n'a pas toujours les moyens de payer la solde des paramilitaires. C'est ce que raconte le chercheur et témoin expert du procureur, Alex de Waal : « Souvent, le gouvernement était à court de fonds, et donc la principale récompense qu'ils avaient à offrir, c'était cette autorisation de piller, de voler, de prendre des territoires, de commettre des crimes sexuels, et cetera ».

Selon le chercheur, ces méthodes ont prévalu durant des décennies, d'une guerre à l'autre. À un prix désastreux pour la population... et curieusement pour le gouvernement aussi. Car selon Alex de Waal, la défaite des rebelles n'a pas permis de retrouver la normalité d'avant-guerre.

« Nous aimons penser que si la guerre civile et si les rebelles sont défaits sur le champ de bataille, il y aura un retour à la normalité. Mais ce n'est pas le cas. La terre est alors dirigée par la milice qui a été habilitée par le gouvernement, et le défi auquel le gouvernement sera alors confronté sera de savoir que faire avec cette milice qui a été armée, organisée. Généralement, le gouvernement essaie de les payer d'une façon ou d'une autre et cela créé un autre cycle de problèmes. »

Vingt ans plus tard, le Soudan traverse un nouveau cycle de violence. Les chefs des Forces de soutien rapide, dont leur commandant Hemedti, comptaient hier parmi les Janjawids.

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