Il y a bien une ou plusieurs raison(s) qui explique(nt) que les démocraties ont compris qu'on ne peut pas laisser les forces armées décider de leur action, raison pour laquelle ils doivent se soumettre au contrôle exercé par des civils, qui sont mis au pouvoir après des élections. Mais l'ordre établi se renverse en Afrique de l'Ouest sur le terrain fertile des luttes anticoloniales et anti-néo-coloniales.
Ainsi à Niamey, au Niger, des milliers d'habitants se rassemblent pour soutenir les militaires auteurs du coup d'Etat. À Ouagadougou, au Burkina Faso, le capitaine Ibrahim Traoré, reçu récemment en treillis et avec honneur par Vladimir Poutine, tente de faire adopter une nouvelle Constitution, qui renversera l'ordre selon lequel les forces armées doivent répondre à des civils. Dans son dernier rapport sur les développements récents en matière de droits humains, le chef des droits humains de l'ONU s'est dit anxieux de la situation sécuritaire au Mali, qui est particulièrement «alarmante dans la partie centrale du pays et dans la zone frontalière entre le Burkina Faso, le Mali et le Niger». «Dans cette zone, de nombreux groupes armés profitent de l'hostilité intercommunautaire et de l'absence des autorités étatiques pour étendre leur influence et mener des attaques contre les civils», a déclaré, il y a quelques jours, le haut-commissaire Volker Türk, devant le Conseil des droits de l'homme.
La réforme du secteur de sécurité demeure un impératif catégorique pour divers pays libérés d'une dictature militaire ou civile, ou en situation de post-conflit. Elle ouvre des opportunités nouvelles aux forces émergentes qui luttent pour la démocratie, le démantèlement de l'appareil sécuritaire répressif étant un préalable.
L'objectif est la refonte systématique de l'institution militaire, tant de l'intérieur que dans ses rapports avec la société. Il importe pour cela d'élaborer des stratégies de déconstruction et de réorganisation de relations civilo-militaires tendues.
Selon une enquête de terrain menée en Afrique de l'Ouest, plusieurs mesures s'avèrent impératives :
- Redimensionner des armées pléthoriques par une politique judicieuse et équitable en matière de démobilisation.
- Établir une plate-forme de dialogue entre la hiérarchie militaire et les leaders d'opinion, et les engager dans un partenariat volontariste pour l'unité de la nation, la paix et le développement. «Il s'agit en d'autres termes, de briser la glace entre d'une part la grande muette se repliant sur elle-même au nom du sempiternel secret-défense, et, d'autre part les civils», explique le professeur guinéen Mouctar Thierno Bah.
- Veiller à ce que l'armée et la police soient traitées de manière convenable. Il faut être équitable, en évitant la surenchère veillant à ne frustrer ni les militaires ni les civils, pour garantir la paix sociale.
La restructuration de l'armée en Afrique aujourd'hui, doit intégrer deux paramètres sans lesquels sa vocation à être le pilier et le bouclier de la démocratie serait illusoire.
Il y a tout d'abord la dimension genre dont le poids se manifeste de plus en plus dans les sphères politique et socio-économique de l'Afrique. L'institution militaire ne saurait donc éluder cette problématique. Un rappel historique montre parfois une implication directe des femmes dans les armées traditionnelles. Un exemple célèbre est celui des «Amazones du Dahomey» du royaume d'Abomey au XIXe siècle. Contraintes à la chasteté durant leur temps de service, elles furent le fer de lance de l'armée du roi Guézo qui régna de 1818 à 1858 ; leurs unités, fortement structurées, avaient à leur tête des femmes officiers portant des titres identiques à ceux de leurs homologues hommes.
De nombreux exemples sont documentés, dans diverses régions de l'Afrique, attestant que la femme n'est pas invisible dans la sphère militaire, à l'époque précoloniale. Par contre, durant toute la période coloniale, on ne compte en Afrique aucune femme impliquée comme actrice directe dans les armées. Les guerres de libération nationale ont vu une participation plus importante des femmes dans les armées ; principalement dans l'intendance et le renseignement, mais aussi dans des combats décisifs.
L'intégration des femmes dans les armées nationales en Afrique fut lente, du fait des préjugés phallocratiques désuets. Depuis deux décennies cependant, les femmes sont recrutées en plus grand nombre et elles commencent à occuper des positions élevées dans la hiérarchie militaire...
(Avec la contribution du professeur Mouctar Thierno Bah)