Nairobi — Les États-Unis devraient inciter le Conseil de sécurité de l'ONU à prendre des mesures concrètes, lors de leur présidence de cet organisme en août
Des images satellite montrent des destructions massives par le feu dans la ville de Sirba, dans l'État du Darfour occidental au Soudan, fin juillet 2023, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Il s'agit de la septième localité (ville ou village) ayant été complètement incendiée ou presque entièrement détruite au Darfour occidental, depuis le mois d'avril.
Le 1er août, les États-Unis ont assumé la présidence tournante du Conseil de sécurité de des Nations Unies, pour une durée d'un mois ; c'est l'occasion pour les États-Unis de veiller à ce que le Conseil prenne des mesures énergiques pour endiguer les atrocités au Darfour, y compris en imposant des sanctions ciblées contre les responsables des exactions. C'est aussi l'occasion d'indiquer clairement que le Conseil, chargé des questions de paix et de sécurité dans le monde, a un rôle vital à jouer pour mettre fin aux attaques contre les civils au Darfour et ailleurs au Soudan.
« La communauté internationale ne doit pas rester passive alors qu'une ville après l'autre est incendiée au Darfour occidental, forçant des dizaines de milliers de civils à fuir pour sauver leur vie », a déclaré Tirana Hassan, directrice exécutive de Human Rights Watch. « Le gouvernement américain devrait passer de la parole aux actes, et veiller à ce que le Conseil de sécurité de l'ONU agisse enfin pour protéger les civils soudanais et demander des comptes aux responsables des atrocités. »
Le conflit entre les Forces armées soudanaises (Sudan Armed Forces, SAF) et les Forces de soutien rapide (Rapid Support Forces, RSF) a éclaté le 15 avril à Khartoum, la capitale du Soudan, avant de se propager à l'État du Darfour occidental. De nombreuses attaques ont été menées de manière délibérée contre des civils, la plupart par les forces RSF et par des milices arabes alliées ciblant notamment des communautés de l'ethnie Massalit.
À la suite d'attaques à grande échelle contre la ville de Misterei fin mai et contre la capitale régionale, El Geneina, de fin avril à mi-juin, la violence dans ces villes s'est calmée, la population massalit en ayant été en grande partie chassée. Cependant, les attaques contre d'autres villes et villages du Darfour occidental se sont poursuivies sans relâche.
Les données de détection d'incendie fournies par le système FIRMS (Fire Information for Resource Management System) de l'agence spatiale américaine NASA ont montré des incendies actifs à Sirba les 27 et 28 juillet. Chaque quartier résidentiel de cette ville a été touché, comme le montrent les images satellite haute résolution du 29 juillet examinées par Human Rights Watch.
L'Association du barreau du Darfour a rapporté que les attaques à Sirba ont commencé le 24 juillet et ont duré plusieurs jours ; les assaillants ont tué au moins 200 personnes, dont des dirigeants locaux, et ont pillé des maisons avant de les incendier.
Selon l'analyse effectuée par Human Rights Watch, sept villes et villages ont été incendiés dans l'État du Darfour occidental depuis le mois avril : Habilla Kanari, Mejmere, Misterei, Molle, Murnei, Gokor et Sirba. Cela s'ajoute aux incendies perpétrés dans des dizaines de camps de déplacés internes et certains quartiers de la capitale de l'État, El Geneina. Le Laboratoire de recherche humanitaire (Humanitarian Research Lab) de l'Université de Yale a signalé le 2 août qu'au moins 27 villes des cinq États de la région du Darfour avaient été détruites.
Human Rights Watch a mené des entretiens avec six survivants d'attaques menées à la mi-juin par les forces RSF et des milices alliées contre Murnei, dans la localité de Kereinik au Darfour occidental, à la suite de pressions exercées sur la communauté pour qu'elle remette des armes qui, selon les RSF, y étaient conservées. Les RSF et les milices alliées ont attaqué Murnei, tuant des habitants alors qu'ils fuyaient et procédant à des pillages généralisés. Les assaillants ont ensuite incendié la ville le 27 juin.
Le Darfour occidental est l'épicentre de cycles de violence contre les communautés non arabes depuis 2019. Human Rights Watch a précédemment documenté de graves abus infligés aux civils dans la ville de Sirba et dans la région de Murnei, lors des opérations de contre-insurrection dirigées par l'ex-président soudanais Omar Al-Béchir dans la région du Darfour, vers le début des années 2000.
Des incendies actifs ont été visibles à Murnei pendant cinq jours consécutifs, du 27 juin au 1er juillet 2023. Des images satellite haute résolution du 30 juin montrent des zones résidentielles incendiées et des panaches de fumée s'élevant au-dessus de la ville.
Les actes de pillage et de destruction perpétrés lors des attaques au Darfour occidental ont non seulement forcé les habitants à fuir, mais leur ont également laissé peu de ressources pour survivre. L'ONU a signalé le 23 juillet que plus de 17 000 personnes avaient dû fuir Murnei. Le 2 août, un organisme surveillant les questions de sécurité alimentaire (Integrated Food Security Phase Classification, IPC) a signalé que plus de 60 % des habitants du Darfour occidental sont confrontés à des niveaux d'insécurité alimentaire de crise ou d'urgence.
Depuis avril, plus de 300 000 personnes soudanaises sont arrivées au Tchad, dont beaucoup en provenance du Darfour occidental. Fin juillet, l'ONU enregistrait une baisse significative du nombre de personnes déplacées se trouvant encore au Darfour occidental, attribuant cette diminution « à une hausse du nombre de personnes déplacées à l'intérieur [du Soudan] qui sont [ensuite] entrées au Tchad ».
L'ambassadrice des États-Unis à l'ONU, Linda Thomas-Greenfield, a déclaré dans une récente interview : « Le Conseil de sécurité a la responsabilité de s'occuper de la paix et de la sécurité dans le monde. Ce qui se passe au Soudan devrait être à l'ordre du jour. »
Les membres du Conseil de sécurité devraient identifier et condamner publiquement les pays qui ne respectent pas l'embargo sur le transfert d'armes au Darfour ; ils devraient aussi imposer des sanctions ciblées visant les responsables d'exactions graves, y compris des violences sexuelles, ainsi que les individues qui entravent un accès humanitaire sûr et sans entrave dans tout le Darfour. Les membres du Conseil de sécurité devraient aussi soutenir activement l'enquête menée par le Bureau du procureur de la Cour pénale internationale, au sujet des récentes atrocités au Darfour.
Étant donné la responsabilité du Conseil dans le retrait prématuré des forces de maintien de la paix du Darfour fin 2020, le Conseil devrait envisager d'y renforcer la protection des civils. Le Conseil devrait demander au Secrétaire général de l'ONU de faire rapport dans les 45 jours sur les options que la mission actuelle de l'ONU au Soudan, l'UNITAMS, pourrait concrétiser afin de protéger les civils, et sur les autres options que l'ONU pourrait déployer.
Enfin, le Conseil devrait inviter des survivant-e-s du Darfour, ainsi que des membres de communautés qui ont été à ce jour exclus des décisions essentielles les concernant, à prendre part à ses discussions.
Communiqué complet en anglais : en ligne ici.