Ile Maurice: Suicide - Quand des jeunes commettent l'irréparable

interview

Stress, problèmes trop lourds à porter ? Peine de coeur ? Pression scolaire ? Mal-être, vague à l'âme ? Depuis l'année dernière, des cas où des jeunes ont mis fin à leurs jours ont été rapportés. Qu'est-ce qui les pousse à un tel extrême ? Quid de l'encadrement psychologique ?

Durant la semaine écoulée, une élève du Mauritius College s'est jetée du deuxième étage de l'établissement. Si son état de santé s'est fort heureusement stabilisé, d'autres jeunes ont commis l'irréparable, souvent sans que leur entourage ne sache pourquoi. Que se passe-t-il dans la tête de nos ados ? Ne devraient-ils pas davantage être encadrés psychologiquement ? Qu'est-ce qui peut bien les pousser à prendre une telle décision ? Autant de questions qui préoccupent.

Si le phénomène n'est pas chose récente, on explique que la société a évolué et que maintenant les jeunes sont plus exposés qu'avant. Avec les réseaux sociaux, par exemple, la frontière entre l'être et le paraître est réduite à une peau de chagrin. Les pressions sociales, scolaires, sont des fardeaux parfois lourds à porter. Munsoo Kurrimbaccus, membre de l'Union of Private Secondary Education Employees, souligne que les enfants sont désormais plus exposés à des informations non filtrées sur leurs téléphones, ce qui engendre un mal-être. Il y a le harcèlement, par exemple, les critiques, les commentaires négatifs, la comparaison avec les autres, autant de choses qui représentent de véritables dangers. «D'ailleurs les études ont démontré que les jeunes sont plus stressés qu'avant par manque de loisirs, d'activités. Il n'est pas facile d'être un jeune en temps actuel mais à Maurice, il n'y a pas assez de rechercher pour chiffrer les cas de suicide chez les élèves.» Il n'y a également pas de mécanisme pour identifier les problèmes qui surgissent dans le système scolaire. «Nous savons tous que le système demeure extrêmement compétitif et que la réforme n'a pas abordé réforme les problèmes sociaux et les pressions que subissent les jeunes. Il faut être réalistes, les enseignants ne sont pas formés pour encadrer les enfants qui ont un problème émotionnel ou familial.» Toujours selon Munsoo Kurrimbaccus, il y a un manque de psychologues dans les écoles, ce qui aurait pu résoudre en partie le problème.

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Un avis partagé par Mahend Gungapersand, député travailliste et ancien recteur qui est en charge du dossier éducation au sein de son parti. Les psychologues qui travaillent avec les élèves à travers le pays ne sont pas suffisants. «Il aurait fallu en avoir un par école en permanence pour accompagner non seulement les élèves mais aussi les enseignants et le corps non-enseignant.» Pour lui, le suivi doit également être fait avec l'élève du pré-primaire au secondaire. D'autres membres de l'union des recteurs parlent eux de cas isolés. «Il ne faut pas dramatiser et créer la panique. L'élève du Mauritius College avait des problèmes familiaux. Il faut aujourd'hui ne pas centrer l'attention sur elle et lui donner du temps de s'en remettre.»

Nous avons également approché quelques élèves qui expliquent que les relations amoureuses sont parfois la cause des actes de désespoir. «C'est l'âge où certains découvrent l'amour, la trahison, le coeur brisé et tout le monde ne gère pas la situation de la même façon», disent-ils. Par exemple, sur les réseaux sociaux, quelques-uns partagent leur peine de coeur et cela est tourné en dérision sur la Toile. «Sa ki afekté zot lerla... Et ils hésitent à raconter leur souffrance, leur problème, zot gard tou andan, parfwa paran pa konpran. Lerla moral down...»

Doris Dardanne: «Le suicide est la quatrième cause de décès chez les 14-19 ans»

Elle est la présidente de Befrienders Mauritius, organisation non gouvernementale qui offre de l'aide aux personnes qui ont des pensées suicidaires et qui propose un accompagnement à ceux qui ont déjà fait une tentative de suicide. Pour Doris Dardanne, parler de son mal-être, communiquer et partager, pourrait sauver des vies.

Qu'est-ce qui peut pousser une jeune à commettre l'irréparable ?

Il faut savoir qu'avant de passer à l'acte, il y a la pensée. On rumine pendant un certain temps déjà avant de passer à l'acte. Il s'agit d'une situation douloureuse qui vous pousse très souvent à bout. Et plusieurs facteurs peuvent contribuer à cela. Comme des problèmes familiaux, scolaires, le harcèlement et bien autres. Maintenant, avec les réseaux sociaux, il y a le harcèlement en ligne. Bien souvent le jeune n'a personne à qui se confier et n'ose pas se tourner vers ses parents. Il ne sait pas vers qui se tourner et la souffrance augmente. La situation ne s'améliore pas et le mal-être prend le dessus.

Comment prévenir ces cas ?

Par la communication. C'est d'ailleurs la vocation de Befrienders. Il est important de ne pas garder ce que l'on ressent à l'intérieur. Il y a aussi la qualité d'écoute qui entre en jeu et qui est très important. Il faut que les parents, notamment, soient à l'écoute, qu'ils puissent mettre à l'aise le jeune et ne pas le juger. Si la situation n'évolue pas positivement, il faut chercher l'aide d'un professionnel dans le domaine, que ce soit un psychologue ou un thérapeute. Il ne faut pas être dans le déni ou encore avoir des préjugés comme le fait que les psys sont réservés aux fous par exemple. C'est faux. Tout le monde peut chercher de l'aide auprès d'un professionnel. Que ce soit les parents ou les enfants. Mais les statistiques mondiales le montrent, le suicide est la quatrième cause de décès chez les jeunes de 14 à 19 ans.

Les jeunes, collégiens, étudiants, élèves, vous contactent-ils souvent ?

A Befrienders nous opérons dans l'anonymat bien que les jeunes préfèrent communiquer avec nous par WhatsApp. Des fois, ils ne sont pas à l'aise de parler avec nous au téléphone, de peur que quelqu'un les entende. Mais c'est vrai que bien souvent, au fil de la conversation, on découvre qu'il y a pas mal de jeunes étudiants qui nous contactent. La raison principale étant qu'ils ont peur de faire face à leurs parents. Il y en a parmi qui ont déjà fait des tentatives de suicide qui heureusement ont échoué et d'autres qui s'automutilent; des cas de plus en plus fréquents.

Comment reconnaître les premiers signes chez un adolescent qui veut s'ôter la vie ?

Le comportement de la personne qui change. Comme un enfant qui aimait le sport et qui était extraverti qui se renferme petit à petit, d'autres dont les résultats, la performance à l'école, commencent à chuter. Puis physiquement aussi, l'enfant ou l'ado n'est plus le même. Peut-être qu'il ne fait plus attention à son image. Ses paroles aussi. Si un enfant vous demande à quoi ça sert de vivre, que ses parents ne l'aiment plus, il ne faut pas prendre cela à la légère. Nous avons lancé en ce sens des campagnes de sensibilisation dans les écoles, les entreprises, pour que les gens autour puissent détecter si quelqu'un ne va pas bien et aussi pour savoir comment l'aider.

Comment justement venir en aide à quelqu'un avec des pensées suicidaires ?

Revenons à ce que je vous disais plus tôt, à la communication, à l'écoute. Dire à la personne que je suis là pour toi, que la porte de l'écoute est ouverte et inviter la personne à se confier à vous. Pendant que la personne se confie, il faut absolument éviter de l'interrompre, il faut lui donner le temps de s'exprimer à sa façon et lui demander ce qu'elle est prête à faire pour aller mieux. Comme se confier à ses parents ou aller vers des professionnels.

Après une tentative de suicide, comment faire le suivi avec un jeune ?

Le suivi est essentiel. Une personne qui a déjà fait une tentative de suicide risque fort probablement de recommencer dès qu'elle ne se sent pas bien. Il faut toujours l'accompagner et apprendre à reconnaître les signes de dépression. La personne en question, elle, ne doit pas hésiter à chercher de l'aide, à parler à des personnes de confiance. Je veux aussi ajouter que Befrienders organise le 16 septembre prochain une journée portes ouvertes au collège St Mary's à Rose-Hill. Elle vise à sensibiliser le public mais des professionnels seront également présents pour tous.

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