Afrique: Ibrahima Kane de l'Osiwa sur la situation au Niger - « Accepter les coups d'État, c'est accepter que le désordre continue dans nos pays »

6 Août 2023
interview

Le spécialiste des questions africaines à l'Open Society Initiative For West Africa (Osiwa) Ibrahima Kane, interrogé sur la situation au Niger, estime que les choses ne sont pas totalement actées et qu'il y a des possibilités d'un retour à l'ordre constitutionnel. Pour lui, accepter les coups d'État, c'est accepter que le désordre continue dans les pays africains. Ainsi, il est en phase avec les initiatives de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao) pour le rétablissement du Président Mohamed Bazoum dans ses pouvoirs.

Le 26 juillet dernier, des militaires ont annoncé la destitution du Président du Niger, Mohamed Bazoum. Un autre coup d'État en Afrique de l'Ouest. Comment appréciez-vous la situation en cours dans ce pays ?

La situation est quand même assez instable dans la mesure où même le Président Mahamadou Issoufou expliquait, dimanche, que les discussions avancent et qu'il est possible que le Président Bazoum soit restauré dans ses droits. Cela veut dire que jusqu'à présent, les choses ne sont pas totalement actées et qu'il y a des possibilités d'un retour à l'ordre constitutionnel. Cela montre aussi que ce coup d'État a été mal préparé et qu'il n'était pas très bien élaboré. En réalité, les gens murmuraient que c'était dû à un mauvais coup de sang de la part du chef de la Garde présidentielle, le Général Abdourahamane Tchiani. D'une manière générale, accepter les coups d'État, c'est accepter que le désordre continue dans nos pays africains. On a tellement vu de coups d'État et aucun d'eux n'a apporté de résultats tangibles dans la vie de ces pays, donc on ne peut pas se permettre encore d'installer le désordre, surtout dans un État qui est en guerre contre le terrorisme. Ce, d'autant plus que l'élection du Président Mohamed Bazoum a été saluée par tout le monde comme une avancée démocratique. Les arguments des putschistes, comme quoi les choses n'avancent pas sur le plan miliaire ou économique, ne peuvent pas justifier leur acte. Sur le plan sécuritaire, c'est aux militaires qui sont sur le terrain de faire le travail. Dire que la situation économique n'évolue pas aussi, il faut savoir que nous sommes dans une sous-région où les pays vivent les mêmes crises, les mêmes préoccupations, les mêmes difficultés. Est-ce que le Niger peut être une sorte de havre de paix dans une sous-région africaine où le contexte est très difficile ? Je ne pense pas.

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Et vous pensez que le Président Bazoum a une chance de retrouver le pouvoir ?

Je pense que oui. En tout cas, les militaires, d'une manière ou d'une autre, vont devoir partir. Tout le problème est de savoir quel pouvoir le Président Bazoum va retrouver. Quand on fait l'objet de ce genre de coup et qu'on retrouve le pouvoir, généralement, on est diminué du point de vue politique et stratégique. Parmi d'autres mesures, il va devoir réformer assez rapidement le service de sécurité. Et s'il n'y a pas d'accompagnement de la Cedeao et des pays amis du Niger, cela risque de se retourner contre lui parce que les populations ne lui feront aucun cadeau. C'est vraiment le danger qui le guette, c'est-à-dire un affaiblissement du pouvoir, en plus des difficultés dans la réorganisation de l'appareil d'État.

Dans cette dynamique, la Cedeao et l'Uemoa, après l'Ua, entre autres, ont annoncé des sanctions contre le Niger. La Cedeao a donné un ultimatum d'une semaine à la junte. Comment analysez-vous ces décisions ?

C'est un peu dans la continuité du dernier Sommet de la Cedeao, du 3 juillet, pendant lequel le Président en exercice, Bola Tinubu, disait qu'on doit tout faire pour renforcer la démocratie dans la région et combattre, de manière la plus ferme, toute tentative de remise en cause des principes démocratiques. C'est dans cette lancée que la Cedeao a appliqué ces principes à la situation du Niger. Ce que je constate, c'est qu'ils ont pris des sanctions économiques assez sévères contre le Niger. Elles sont d'application immédiate, comme la rupture de toutes les transactions commerciales avec ce pays. Cela risque de faire beaucoup de dégâts pour le pays puisqu'on est à la fin du mois. Ce qui me conforte dans l'idée que les choses vont s'appliquer, c'est que le Niger dépend presque totalement du Nigeria pour son électricité et ses ressources pétrolières. C'est un pays continental qui n'a pas de port. De ce point de vue, un embargo peut constituer un vrai problème pour les militaires qui pourraient avoir des problèmes pour contourner cela à l'heure actuelle. Toutes ces sanctions peuvent aussi, si rien n'est fait rapidement, avoir un impact négatif sur la lutte contre le terrorisme. Les militaires doivent réfléchir sur leur priorité. Est-ce que c'est la lutte pour le pouvoir qui prévaut sur la lutte pour la sécurité, la paix et la stabilité du pays ? Je trouve que les sanctions sont très sévères et que les objectifs peuvent être rapidement atteints.

On a constaté actuellement que beaucoup de pays du Sahel et de l'Afrique de l'Ouest sont contrôlés par des juntes militaires (Guinée, Mali, Burkina Faso et Niger en cours). Quel pourrait être l'impact de cela sur la lutte contre le djihadisme dans le Sahel ?

Le premier niveau d'explication, c'est quand tu observes tous ces États dans lesquels il y a des coups d'État, ce sont des pays qui ont fait l'expérience de régimes militaires. Le Burkina Faso en est, peut-être, à son sixième putsch, le Niger à son quatrième et le Mali à son cinquième. Il y a une trace des militaires dans l'appareil d'État qui n'a pas été vraiment bien réglée. Il faut nécessairement essayer de voir dans quelle mesure on peut trouver une place importante aux militaires ; ce qui fera qu'ils ne seront plus tentés par ces coups d'État pour exercer directement le pouvoir. La deuxième chose, comme les exemples du Burkina Faso et du Mali l'ont montré, quand les militaires prennent le pouvoir, le règlement des crises auxquelles ils sont confrontés n'est pas assuré d'avance. Au Burkina Faso, par exemple, le coup d'État est intervenu pendant que la moitié du pays était contrôlée par les troupes djihadistes. Maintenant les ¾ du pays sont contrôlés par ces derniers.

La Cedeao, lors de la réunion du 3 juillet, avait décidé de prendre en main la question de la paix et de la sécurité dans la région. Je pense que les deux doivent aller de pair, c'est-à-dire un retour à la démocratie accompagné d'une action concertée, et à un niveau très élevé, avec les États-majors. Je pense que tous les États-majors des pays de la Cedeao doivent se serrer les coudes pour vraiment aider les autres pays à s'en sortir. La paix et la sécurité de ces pays conditionnent aussi la nôtre. Puisque la Cedeao est déterminée à mettre un terme à ce genre de coups militaires, c'est à elle maintenant d'accélérer la cadence pour aider ces pays du Sahel à prendre en charge la question de la paix et de la sécurité. Les États ont montré une limite et il faut une action collective pour gagner cette guerre contre le terrorisme. Le Président de la Commission de la Cedeao a annoncé immédiatement que les Chefs d'État-major vont se réunir. Je pense que s'ils peuvent être en mesure de restaurer l'ordre constitutionnel au Niger, ils doivent être en mesure de continuer et de faire en sorte que ces pays arrivent à gagner la guerre contre le terrorisme. Aujourd'hui, l'action qui a été engagée par le Président du Nigeria met en jeu la crédibilité de la Cedeao dans tous les sens. Si elle réussit, cela va lui donner un poids énorme dans la région et lui permettre de résoudre ultérieurement beaucoup d'autres questions. Mais, si cette action échoue, cela veut dire que le combat est perdu par la Cedeao. Je pense que la Cedeao va ainsi tout faire pour que Bazoum retrouve la plénitude de son pouvoir.

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