DOUALA — Seulement 68% des Camerounais utilisent effectivement les moustiquaires imprégnées à longue durée d'action (MILDA) qui leur sont remises dans le cadre de la lutte préventive contre le paludisme.
Telle est l'information contenue dans un dossier de presse distribué le 25 avril 2023 par le ministère de la Santé publique du Cameroun à travers le Programme national de lutte contre le paludisme (PNLP), à l'occasion de la journée mondiale de lutte contre le paludisme.
Le document ne fournit aucune précision sur cette information. Mais, dans un entretien avec SciDev.Net, Raymond Tabué, chef de l'Unité de lutte intégrée contre les vecteurs au PNLP, affirme que les supervisions ont révélé que ce refus s'explique par des considérations d'ordre socio-anthropologique.
"Les moustiquaires emprisonnent la chaleur. Même s'il s'agit d'une différence de 1 à 2 degrés Celsius, cela pourrait suffire à vous mettre mal à l'aise la nuit, surtout lorsque vous dormez dans un climat chaud"Margaret Reilly McDonnell, United to Beat Malaria
Par exemple, dit-il, « dans la partie septentrionale du pays, la moustiquaire qui est généralement de couleur blanche, est associée au linceul. Du coup, un certain nombre de personnes sont réticentes à son utilisation ».
« Tandis que dans les zones en guerre où les gens se déplacent beaucoup, la moustiquaire de forme rectangulaire n'est plus très adaptée, les gens auraient préféré qu'elle soit de forme conique », ajoute l'intéressé.
Parmi les autres explications, il y a des raisons esthétiques : « dans les quartiers huppés, rares sont les maisons qui disposent d'une moustiquaire installée. Parce que l'installation de la moustiquaire est susceptible d'entraîner la dégradation des murs ou des plafonds de leur chambre », explique Raymond Tabué qui précise au passage que cette catégorie de personnes préfère mettre des grillages aux fenêtres de leurs habitations.
Du côté des populations, certaines personnes évoquent l'inconfort qu'elles éprouvent en utilisant la moustiquaire. C'est le cas de Marcelline Nounkeu, une grand-mère de la localité de Bandja dans l'Ouest du Cameroun.
Cette dernière confie à SciDev.Net que « quand je dormais sous la moustiquaire, j'avais trop chaud et c'était comme si je ne respirais pas bien. En plus je me réveillais le matin avec des irritations et des démangeaisons sur la peau. C'est pour cela que je ne l'utilise plus ».
Ce que ressent cette grand-mère ne semble pas surprendre Margaret Reilly McDonnell, directrice exécutive de « United to Beat Malaria », une organisation de la Fondation des Nations Unies dédiée à la lutte contre le paludisme.
« Les moustiquaires emprisonnent la chaleur. Même s'il s'agit d'une différence de 1 à 2 degrés Celsius, cela pourrait suffire à vous mettre mal à l'aise la nuit, surtout lorsque vous dormez dans un climat chaud », soutient-elle.
Enquête
Ces raisons sont confirmées par une enquête intitulée « Survey on the Determinants of Behaviors Related to Malaria : Cameroon (March 2020) » portant sur le portement des populations camerounaise face au paludisme.
Cette enquête qui a été menée dans deux provinces du pays (Nord et Extrême-Nord) révèle par exemple que « 44,8 % des gens ont convenu qu'ils n'aimaient pas dormir sous une moustiquaire quand il faisait chaud » et que « 39,1 % ont affirmé que l'insecticide contenu dans les moustiquaires les rendait mal à l'aise. »
Réalisée dans le cadre du projet « Breakthrough Action », une initiative mondiale dirigée par le « Johns Hopkins Center for Communication Programs » aux Etats-Unis, cette enquête indique aussi qu'entre 22% et 42% de personnes interrogées pensent que l'utilisation de la moustiquaire pouvait être gênante pour un couple, surtout si celui-ci veut faire un enfant.
Cette non-utilisation ou cette mauvaise utilisation de la moustiquaire n'est pas sans conséquence : « La moustiquaire a longtemps été la stratégie de prévention du paludisme en première ligne au Cameroun. Ainsi, une mauvaise utilisation des moustiquaires peut avoir un impact considérable sur les cas de paludisme et les décès dans le pays », rappelle Margaret Reilly McDonnell.
Seulement, relève Raymond Tabué, « les résultats de cette enquête ne peuvent pas être transposés dans tout le pays parce que les comportements varient d'une région à une autre ; et même à l'intérieur d'une région, les comportements varient d'un groupement à un autre ».
C'est pour cela, dit-il, qu'une enquête similaire devrait être menée dans toutes les régions du pays afin de comprendre l'ensemble des motivations de ceux qui n'utilisent pas les moustiquaires afin d'entreprendre des actions en vue d'arriver à un changement des comportements.
En effet, Margaret Reilly McDonnell souligne que « comme nous l'a rappelé le COVID-19, le comportement humain occupe une place importante en termes de prévention des maladies. Il ne suffit pas de proposer simplement un vaccin ou de fournir une moustiquaire. L'éducation et la communication pour le changement de comportement sont essentielles »
Communication
C'est ainsi que le PNLP fait savoir qu'il maintient une politique de communication avant, pendant et après les campagnes de distribution des moustiquaires.
Dans un entretien avec SciDev.Net, Raymond Tabué fait savoir que la communication avant la campagne vise à amener les populations à accepter les moustiquaires et à leur indiquer le moyen d'en entrer en possession.
Pendant la campagne, il s'agit de leur expliquer comment utiliser la moustiquaire : « Parce que si beaucoup se plaignent de l'irritabilité de la moustiquaire, c'est parce qu'ils ne suivent pas les messages véhiculés pendant la distribution. Est-ce qu'ils l'ont installée 24h à l'ombre avant son utilisation comme on a demandé ? Beaucoup ne le font pas », explique l'expert.
Après la campagne, on va utiliser les agents de santé communautaires pour passer dans les ménages et voir si les moustiquaires offertes sont installées et sont effectivement utilisées.
« Car, nos mamans se demandent souvent pourquoi changer la moustiquaire qu'elles ont déjà, préférant donc garder celle qu'elles viennent de recevoir. Ignorant que l'ancien qu'elle a n'a plus d'insecticide susceptible de tuer les moustiques », relève Raymond Tabué.
Mais, Margaret Reilly McDonnell tient à souligner que « il n'y a pas de solution miracle qui protégera complètement un enfant, une femme enceinte, une famille ou une communauté contre le paludisme ».
Pour elle, les pays et leurs partenaires doivent continuer à encourager les individus, les familles et les communautés à utiliser des moustiquaires parallèlement à d'autres mesures de prévention et de lutte contre les moustiques, ainsi qu'à des diagnostics, des traitements et une gestion des cas efficaces...