La gestion de l'entrée frauduleuse au Sénégal de l'avocat franco-espagnol, Juan Branco, laisse apparaître des tergiversations qui ont contribué à la médiatisation du séjour, de l'arrestation et l'expulsion de l'hôte «indésirable». La présence qui a été minimisée et qualifiée de «non-événement», au début, par la gouvernant, s'est ensuite invité à l'Assemblée nationale. Mieux, elle a été inscrite au menu d'une conférence de presse du ministère de la Justice.
Juan Branco, l'avocat franco-espagnol de l'opposant Ousmane Sonko, par ailleurs, maire de Ziguinchor, arrêté puis expulsé du Sénégal, après un séjour irrégulier de plusieurs jours, a «remis» le Sénégal au «devant» la scène médiatique. Seulement le tintamarre ne tend pas à favoriser une bonne image du pays. Avec cette procédure de l'arrestation, de l'inculpation, le tout en l'espace de 48 heures, suivies de l'expulsion de la robe noire, malgré la lourdeur des charges retenues contre lui, le Sénégal revient dans les articles de grands médias nationaux et internationaux, de manière négative.
Et pourtant, l'Etat avait minimisé l'affaire Branco, au point que ministre du Commerce, Abdou Karim Fofana, le porte-parole du gouvernement, avait jugé inopportune d'en parler lors d'une des rencontres périodiques (du gouvernement) avec la presse du jeudi 3 août 2023. «Juan Branco ne mérite pas d'être évoqué dans une conférence de presse du gouvernement du Sénégal. C'est un homme qui ne s'assume pas. Si vous avez le courage de défier un État, de défier une nation, vous devez faire face et en subir les conséquences», avait estimé le ministre du Commerce et porte-parole du gouvernement. Mieux, Abdou Karim Fofana avait trouvé que, «le Sénégal n'est pas la caisse de résonance d'un avocat qui est en mal de reconnaissance dans son pays, qui a peut-être des frustrations au niveau de son pays».
«SEULE LA LUTTE LIBÈRE»
Maintenant, reste à se demander si Juan Branco n'a pas atteint son objectif. En réalité, le Sénégal a fait mieux que d'être une «caisse de résonnance» de l'avocat «en mal de reconnaissance dans son pays», en permettant à Juan Branco de s'ériger en «héros». L'avocat a marqué son empreinte, en séjournant illégalement au Sénégal. Puis, sa photo prise à Roissy Charles de Gaulles, à Paris, peu de temps après son expulsion, montre que l'avocat n'en a cure de ses «déboires» avec la justice au Sénégal. Au contraire, cela ressemble à une prouesse aux allures d'une gloire. En atteste son tweet juste après sa décente d'avion : «seule la lutte libère».
Juan Branco à qui l'Etat ne donnerait pas le privilège d'être un des points de discussions de sa conférence de presse gouvernementale, s'est invité à l'hémicycle, lors du vote de la réforme du Code électoral, samedi dernier. Le ministre de l'Intérieur, Antoine Félix Abdoulaye Diome, «brandissait» son arrestation face aux députés comme un «trophée de guerre». Il a été arrêté par la Police mauritanienne, très loin de la frontière. C'est dire que l'avocat a bien géré son séjour sénégalais, sans être inquiété par les nombreuses recherches dont il faisait l'objet.
ME BRANCO, D'AVOCAT «INSIGNIFIANT» A HOTE «ENCOMBRANT»
De Banjul à Dakar et de la capitale sénégalaise jusqu'à l'autre bout de la frontière nord, via Rosso Mauritanie, Juan Branco a réussi à mettre à l'épreuve le dispositif de contrôle aux frontières. Mais le Sénégal n'a pas de quoi rougir. La Mauritanie n'a fait que payer une dette. «On avait dit qu'il est entré irrégulièrement dans notre territoire ; c'est grave. Mais s'il n'en sort pas irrégulièrement, c'est déjà bien. S'il en est sorti irrégulièrement, on espère que la coopération judiciaire internationale marche. Nous-mêmes, chaque jour, on remet des fugitifs ou des personnes qui sont entrées irrégulièrement dans notre pays à d'autres pays», a déclaré le ministre de la Justice Ismaïla Madior Fall, lors de sa conférence de presse, avant-hier lundi.
C'est dire, donc, que l'affaire de l'avocat «insignifiant» au point de ne mériter des mots venant du porte-parole du gouvernement a quand-même motivé une conférence de presse du ministère de la Justice. Ismaïla Madior Fall, montant la garde pour expliquer les tenants et les aboutissants de la libération sous contrôle judiciaire de l'avocat franco-espagnol, pourtant poursuivi pour de lourdes charges (attentat, complot, diffusion de fausses nouvelles et actes et manoeuvres de nature à compromettre la sécurité publique ou à occasionner des troubles politiques graves), le tout couronné par un séjour irrégulier et outrage à magistrat.
«J'AI DORMI AU MILIEU DE PERSONNES TORTURÉES, QUI PORTAIENT LES TRACES DE BLESSURES PAR BALLE»
Celui qui a fait preuve de «double lâcheté», si on reprend les termes des ministres des Affaires étrangères et des Sénégalais de l'extérieur, Aïssata Tall Sall, continue à défier l'Etat du Sénégal, même après son placement sous contrôle judiciaire, avec interdiction de parler du dossier pendant devant la justice, et renvoyé bien loin du territoire national, continue à défier l'Etat du Sénégal. En conférence de presse hier, mardi 8 août 2023, il a remué le couteau dans la plaie, en dressant le portrait d'un Ousmane Sonko qui «frôle l'insuffisance rénale», à cause de sa grève de la faim. Comme pour contredir Ismaila Madior Fall qui, déjà la vielle lundi, rassurait sur l'état de santé du leader du Pastef qui, interné à l'hôpital Principal avec un plateau technique à envier, serait hors de danger.
Face aux médias occidentaux, Me Branco a été impitoyable au régime, aux autorités étatiques avec à leur tête le président de la République, Macky Sall. Juan Branco a mis des heures à s'attaquer aux autorités sénégalaises, à travers des accusations «d'achats d'armes» et de «recrutement de nervis». La missive de Juan Branco porte aussi sur les conditions de détention à la prison de Reubeuss. Le bref séjour de l'avocat dans cette maison d'arrêt surpeuplée servira d'arme. «J'ai dormi au milieu de personnes torturées, qui portaient les traces de blessures par balle. Elles étaient entachées par centaines, incapables de se déplacer, obligées de faire leur besoin sur place. Ils ont commis l'erreur de me faire voir ça», tonne-t-il.