Afrique: L'aide au développement en question

opinion

La réaction de la France et de l'Union européenne suite à la prise du pouvoir au Niger par les militaires, a été la suspension immédiate de l'aide au développement. Mais dans le fond, il s'agit des subsides qui ne représentent pas grand-chose comparé au niveau du pillage des ressources du pays.

Au lendemain de la prise du pouvoir au Niger par le Conseil national de la sauvegarde de la patrie (Cnps) dirigée par le général Abdourahamane Tchiani, la France a annoncé la suspension avec effet immédiat, de toutes ses actions d'aide au développement et d'appui budgétaire au Niger. Le pays, présenté selon le langage occidental comme l'un des plus démunis d'Afrique de l'Ouest, est grandement tributaire des contributions étrangères.

Les aides au développement, les prêts et les autres subventions venant de l'extérieur constituent une source vitale pour ce pays où « le niveau d'extrême pauvreté, qui atteint 41,8 % en 2021, affecte plus de 10 millions de personnes », selon les précisions de la Banque mondiale. D'après les dernières données publiques, l'Agence française de développement (AFD) a versé 119,2 millions d'euros à ce pays en 2022, soit environ 78 milliards de francs cfa portant ainsi à 801 millions d'euros les montants actuellement engagés par cette institution financière sur le territoire. Cette somme d'argent représente 80 % de l'aide française envoyée au Niger, d'après les explications fournies par Matthieu Boussichas de la Fondation pour les études et recherches sur le développement international ( Ferdi) qui s'exprimait dans les colonnes du journal le Figaro. Après le Sénégal, le Niger étant ainsi le deuxième pays du Sahel à recevoir le plus de subventions de l'AFD.

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Les 20 % restants correspondent au « chèque en blanc », ou à « l'appui budgétaire » du ministère des Affaires étrangères. Il s'agit de sommes non allouées à un projet spécifique, avoisinant une dizaine de millions d'euros, qui « viennent combler les déficits des finances nigériennes et qui maintiennent à flot une administration menacée d'effondrement », détaille Matthieu Boussichas. L'enveloppe est complétée par des prêts, équivalant à un tiers de l'aide française, et des dons (deux tiers). Selon le « rapport provisoire d'exécution du budget de l'État à fin mars 2023 » publié par le ministère des Finances nigérien, plus de la moitié des revenus du pays proviennent de l'étranger. Plus précisément, 55 % du budget de l'État nigérien, environ 5 milliards d'euros ou 3 250 milliards de francs cfa proviennent de ressources extérieures. La France est le cinquième contributeur derrière l'Allemagne, la Chine, les États-Unis et la Belgique.

Aide ou juste rétribution

Dans une adresse à la nation Nigérienne après la prise du pouvoir, le général Abdourahamane Tchiani dénonçait l'exploitation de l'uranium du Niger, expliquant que sur 100% d'uranium produit, la France prend 70% et laisse au Niger 30%. Ensuite le Niger est obligé, au terme des accords coloniaux, de vendre sa quote part à la même France, et pendant qu'elle achète le kilogramme ailleurs à 131 000 francs cfa, elle achète celui du Niger à 27 000 francs, soit une différence de 104 000 francs, prix qu'elle fixe unilatéralement par ailleurs. Selon plusieurs études, ouvrage et enquêtes faites sur le terrain, à la fin 2016, Areva le géant du nucléaire français avait extrait environ 130 000 tonnes d'uranium des mines nigériennes depuis leur ouverture, ce qui représente deux fois ce que les 237 mines autrefois exploitées sur le territoire français ont pu fournir en une cinquantaine d'années.

En se limitant à cette date, un calcul rapide révèle les chiffres suivants : 30% de 130 000 tonnes font 39 000 tonnes qui sont revenues au Niger. Rachetés à 27 000 franc le kilogramme, cela donne 10 530 000 000 de franc cfa. Sachant que sur chaque kilogramme la France vole 104 000 francs, le montant dérobé sur les 3 900 000 kilogrammes revenant au Niger est de 405 600 000 000 de francs cfa. L'exploitation de l'uranium du Niger date de 1960 au moins, c'est dire qu'elle avait duré 56 ans en 2016. 56 ans pendant lesquels la France a soustrait sur les 30% de part revenant au Niger, 405 milliards 600 millions de francs cfa, soit une moyenne de 7 233 000 000 de francs cfa par an. Si le partage était fait à 50% chacun, le Niger s'en serait sorti avec 65 000 tonnes sur cette période, et s'il vendait son kilogramme à 131 000 comme ailleurs, cela lui aurait rapporté 851 500 000 000 de francs cfa. La différence d'avec les 10 530 000 000 effectivement encaissés est de 840 970 000 000 de francs cfa, restée dans les poches de la France. Ce sont quelques miettes de cet argent qui sont reversées chaque année sous le nom de l'aide au développement, et que la France menace de suspendre. D'où la réponse des nouveaux hommes forts du pays, qui peut ainsi se résumer : suspends ton aide et laisse nous avec notre uranium. Encore que même avec cela, la France reste le 5eme contributeur extérieur.

Les mêmes coups d'Etat suscités jadis pour protéger ses intérêts, sont aujourd'hui condamnés par la France, toujours au nom des intérêts, au point de suspendre la soi-disant « aide au développement », qui n'est en réalité n'est que des sucettes que l'on met dans la bouche d'un enfant pour prendre en douce sa nourriture. Mais les dents ont déjà poussé dans la bouche de l'enfant et il ne réclame que sa nourriture, ni plus, ni moins !

Troubles politiques

D'après Naïké Desquesnes et Aude Vidal dans un Mini-dossier intitulé « L'uranium de la Françafrique, voyage au pays des dunes et des becquerels » publié dans la revue Z : Revue itinérante d'enquête et de critique sociale 2020/1 (N° 13), pages 188 à 195, la vie politique agitée du Niger est étonnamment liée aux soubresauts de la relation commerciale avec la France. En 1974, Hamani Diori, le chef d'État en place, est victime d'un coup d'État peu de temps après avoir eu l'outrecuidance de réclamer une augmentation du prix de vente de l'uranium. « Si les putschistes avaient agi sans le feu vert de Paris, l'armée française présente sur le territoire nigérien serait intervenue comme elle l'a fait dans d'autres pays pour maintenir "son" dirigeant au pouvoir, comme au Gabon où elle a soutenu Omar Bongo jusque dans les années 1990 », commentait alors Raphaël Granvaud auteur du livre Areva en Afrique.

Trente ans plus tard, le président du Niger s'appelle Mamadou Tandja. Il commet la même erreur que son prédécesseur, réclame et même obtient une substantielle augmentation du prix en 2008. Il est renversé en 2010 par des militaires. Raphaël Granvaud détaille : « Selon Jean Ping, le secrétaire général de l'Union africaine de l'époque, les services secrets états-uniens et d'autres puissances intéressées, dont très probablement la France, savaient qu'un putsch se préparait et n'ont rien fait pour l'empêcher.

Tandja a payé à retardement l'affront fait à la France en essayant d'obtenir des conditions plus avantageuses. » Les mêmes coups d'Etat suscités jadis pour protéger ses intérêts, sont aujourd'hui condamnés par la France, toujours au nom des intérêts, au point de suspendre la soi-disant « aide au développement », qui n'est en réalité n'est que des sucettes que l'on met dans la bouche d'un enfant pour prendre en douce sa nourriture. Mais les dents ont déjà poussé dans la bouche de l'enfant et il ne réclame que sa nourriture, ni plus, ni moins !

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