Ile Maurice: Jeenarain Soobagrah - «L'industrie hippique, comme tant d'autres sports, se retrouve entre les mains de personnes avides»

L'industrie des courses hippiques à l'île Maurice, autrefois florissante, fait face à des défis économiques et de réglementation qui ont eu un impact sur sa viabilité à long terme.

Dans cette interview, l'ex-président du Mauritius Turf Club et expert en courses hippiques, s'exprime sur l'importance historique et économique du secteur ainsi que sur les obstacles actuels et les stratégies envisagées pour revitaliser cette industrie.

Quelle est l'importance de l'industrie hippique à l'île Maurice en termes d'attraction touristique et de revenus économiques ?

Avant le Covid-19, l'État encaissait plus d'un demi-milliard de roupies par an grâce aux activités hippiques et générait environ 6 % de la croissance du Produit intérieur brut (PIB). Les paris sur les courses représentaient plus de Rs 5 milliards. Le Mauritius Turf Club (MTC) employait environ 400 personnes à plein temps et plus de 2 000 personnes indirectement.

Le MTC, un membre fondateur de la Fédération internationale des autorités hippiques de courses au galop (FIAH), était la seule autorité à Maurice pour l'organisation des courses locales. Il est aussi membre de l'Asian Racing Federation (ARC). En tant que plus vieille autorité hippique de l'hémisphère Sud et troisième plus vieux club du monde, il est tenu en haute estime par tous les membres de la FIAH et de l'ARC. En 2012, nous avons d'ailleurs fêté nos 200 ans d'existence avec le Premier ministre d'alors comme invité d'honneur. Des loges étaient dédiées aux touristes pour les journées au Champ de Mars. Avec cette introduction, le MTC n'a pas besoin de plus de pièces justificatives d'identité.

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Comment le secteur hippique contribue-t-il à l'économie locale en termes de création d'emplois et de soutien aux industries connexes ?

Chaque journée de courses attirait entre 5 000 et 25 000 personnes. Le Champ de Mars devenait le centre d'attraction pendant la saison des courses - de mars à décembre. Les courses classiques devenaient le point focal pour tous les Mauriciens. Les radios, la télévision nationale, à qui on payait environ Rs dix millions par an, offraient une couverture exceptionnelle et les bureaux des bookmakers et totes étaient envahis dès la veille des courses. Comment oublier le week-end international des courses au tout début de décembre chaque année ?

Les crack jockeys internationaux avec les meilleurs chevaux d'ici animaient les deux journées avec enchantement. Rien ne pouvait égaler cet événement. Tous les secteurs de l'économie étaient impliqués. Les banques, les transports publics et privés, les médias, les activités de jeux, les marchands de dol puris et gajaks - bajas, gâteaux piments, samousas et autres sucreries, à travers l'île ; tous en bénéficiaient. Des milliers de personnes et différentes organisations avaient leur part du gâteau.

Quelles sont les tendances récentes en fréquentation des courses et quelles stratégies sont mises en oeuvre pour attirer plus de spectateurs locaux et internationaux ?

Depuis l'arrivée au pouvoir du gouvernement MSM en 2014, les courses hippiques ont changé de nature, passant du sport hippique à une affaire purement financière. Leur mentor, grand financier du MSM, cherchait un retour sur ses investissements financiers dans les élections et autres activités politiques. Bien que la personne concernée ait ses raisons en tant qu'homme d'affaires, un gouvernement ne devrait pas sacrifier l'intérêt du pays pour des raisons financières et personnelles, comme dit l'adage, «moralité na pa ranpli vant».

Votre question serait pertinente pour un gouvernement qui priorise les intérêts de son peuple. Les courses hippiques étaient autrefois populaires malgré leurs lacunes, et tout le monde en profitait. Malheureusement, la magie des courses hippiques s'est évaporée, remplacée par l'intérêt d'un individu et d'un financier politique, qui a ainsi introduit la politicaillerie dans le sport hippique.

À quels principaux défis l'industrie des courses doit-elle faire face en termes d'économie et de réglementation ?

Toute l'industrie hippique, comme tant d'autres sports aujourd'hui, est monétisée et entre les mains de personnes avides. Tant qu'un gouvernement est contrôlé par des intérêts financiers, il est difficile de parler de réglementation ou d'économie...

Quels investissements sont prévus pour améliorer les infrastructures liées aux courses de chevaux et comment sont-ils susceptibles de bénéficier à l'économie locale ?

Bien qu'organiser des courses aurait pu générer des milliards de roupies en taxes pour l'État, le gouvernement, en quête d'argent pour ses intérêts égocentriques, a agi en contradiction avec les attentes d'une population aspirant à une société juste et équilibrée. Dans d'autres grands centres hippiques comme l'Angleterre, la France, l'Australie et l'Afrique du Sud, les gouvernements reversent une partie des gains financiers aux organisateurs des courses. Il est important de noter le nombre de journées de courses par an.

En 2014, le MTC avait la responsabilité d'organiser 43 journées de courses. Cependant, le gouvernement a drastiquement réduit ce nombre après cette année-là. De plus, l'importation de nouveaux chevaux est libre, ce qui aurait dû permettre à l'organisateur des courses de déterminer le nombre de journées en fonction du nombre de chevaux disponibles.

« Les banques, les transports, les médias, les activités de jeux, les marchands de dolpuri et gajaks (...) à travers l'île en bénéficiaient (...) avaient leur part du gâteau. »

Quelle est l'importance des échanges internationaux pour l'industrie hippique locale et comment cela a-t-il un impact sur l'économie du pays ?

Actuellement, tous les chevaux utilisés dans les courses sont importés de l'étranger, principalement d'Afrique du Sud. Avec un budget d'environ Rs 400 millions, le MTC a du mal à financer des développements majeurs, tels qu'un nouvel hippodrome avec des infrastructures modernes pour le confort du public et des chevaux. La FIAH était prête à soutenir pleinement le club dans cette entreprise.

En 1990, si le gouvernement de l'époque avait accordé une licence de tote au MTC, comme le club l'avait demandée et justifiée, la situation financière du club aurait été différente. Cependant, la licence a été accordée à une nouvelle compagnie ayant des intérêts dans les courses. Ce schéma s'est répété en 2005 pour l'octroi d'une deuxième licence de tote après un changement de gouvernement.

Une troisième licence de tote a été accordée cette année avec des motivations politiques, comme dans les cas précédents. Même la commission d'enquête de 2014 recommandait l'octroi d'une licence de tote au MTC. Cette licence aurait permis au MTC d'avoir les ressources financières nécessaires pour élargir ses horizons, notamment en implémentant l'International Commingling et les paris en ligne. Les propriétaires de chevaux, les entraîneurs, les palefreniers et les employés du MTC auraient tous bénéficié de ces investissements.

Comment les courses hippiques à Maurice sont-elles perçues au niveau international et quels sont les efforts en cours pour accroître la visibilité et l'attractivité de l'île en tant que destination équestre ?

La situation au Champ de Mars contraste avec l'image des courses hippiques. L'amateurisme prédomine, notamment avec le soutien du gouvernement, qui paradoxalement soutient des pratiques préjudiciables.

Comment les changements récents dans la réglementation du jeu sur les courses hippiques ont-ils influencé l'économie et la viabilité à long terme de l'industrie équestre à l'île Maurice ?

Tout changement, qu'il soit gouvernemental ou corporatif, doit viser à améliorer les choses. Malheureusement, les changements récents ont entraîné des conséquences négatives. Accorder une licence d'organisateur de courses à une personne impliquée dans les jeux ne pouvait qu'entraîner des problèmes. Les désordres et scandales sont devenus monnaie courante, avec l'approbation des autorités hippiques et même du gouvernement. En résumé, l'industrie hippique a reculé de plus de 2002 ans.

« Comment oublier le fléau des paris illégaux, un monstre à plusieurs têtes (...) qui cause des torts immenses aux courses hippiques (...) il est estimé à plus de Rs 5 milliards. »

Selon les statistiques, le taux de fréquentation a drastiquement diminué au Champ de Mars, ce qui a aussi une incidence sur les opérations de «tote». Comment analysez-vous ce manque d'engouement populaire, voire des turfistes, aujourd'hui ?

Pour commencer, avoir trois totes dans une île comptant moins d'un million d'adultes, alors que de grands pays avec plus de 100 millions d'habitants n'en ont qu'un seul, est démesuré. Sans exagérer, les vrais turfistes ont déserté le Champ de Mars pour de nombreuses raisons. La piste est devenue un terrain de bataille, avec des clous, trous, bagarres et maltraitance des chevaux, pour ne nommer que cela. Avant l'ère des amateurs, malgré la retransmission des courses à la télévision, à la radio et sur Internet, des milliers de turfistes se rendaient à Port-Louis pour assister aux courses. Aujourd'hui, les Mauriciens peuvent comparer la situation actuelle avec l'organisation des courses par le MTC dans le passé.

Comment oublier le fléau des paris illégaux, un monstre à plusieurs têtes ? Les paris illégaux causent des torts immenses aux courses hippiques. Les estimations conservatrices placent le montant des paris illégaux à plus de Rs 5 milliards. Sans ces paris illégaux, le gouvernement aurait pu bénéficier d'au moins un milliard de roupies par an, tandis que le MTC aurait engrangé plus de Rs 300 millions supplémentaires.

Ces revenus auraient quasiment doublé les ressources du MTC, facilitant ainsi la construction d'un nouveau centre équestre. En cinq ans, le financement nécessaire aurait été réuni pour la réalisation de ce projet. Malheureusement, malgré les multiples démarches du MTC auprès des différents gouvernements, ces demandes sont restées lettre morte, laissant place à des raisons obscures qui, peut-être, sont connues des autorités...

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