Afrique: Hermann Doanio, économiste - « La dénonciation de la convention fiscale permettra au Burkina d'imposer les entreprises françaises implantées sur son territoire »

interview

Dans cette interview accordée au journal de tous les Burkinabè, Sidwaya, l'économiste des finances publiques et Secrétaire exécutif du Centre d'études et de recherche appliquée en Finances publiques (CERA/FP), Hermann Doanio, se prononce sur la dénonciation par le Burkina Faso de la convention fiscale qui le liait à la France depuis 1967. Selon lui, cette dénonciation pourra contribuer à combler le gap de financement public engendré par la suspension de l'aide française.

Sidwaya (S) : Le Burkina Faso a dénoncé, le 7 août 2023 une convention fiscale qui le liait à la France depuis 1967. Pour le citoyen lambda, quels sont les principaux termes de cette convention ? Son contenu exact ?

Hermann Doanio (H.D.) : Une convention fiscale s'entend de l'ensemble des facilités fiscales entre deux pays. La présente convention fiscale entre le Burkina Faso et la France portant sur la non double imposition dispose en substance qu'une entreprise d'origine française exerçant au Burkina Faso ne verra pas son revenu (bénéfice net) imposé par l'administration fiscale burkinabè, puisqu'elle paye déjà cet impôt en France. Cela vaut également pour les entreprises burkinabè qui viendraient à s'implanter sur le territoire français.

S : Qu'est-ce que le Burkina Faso perdait en termes de recettes fiscales à travers cette convention ?

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H.D. : La convention fiscale entre le Burkina Faso et la France a été signée en 1965 et révisée par avenant en 1971 pour prendre effet en 1974. Depuis 1974, aucune révision n'a été faite pour l'adapter aux réalités socio-économiques des deux pays. Du reste, aucune évaluation n'a été faite pour savoir si la convention était mutuellement avantageuse pour les deux parties.

La convention empêchait le Burkina Faso d'imposer les entreprises françaises implantées sur son territoire et elles sont nombreuses et d'envergure. Nous pouvons citer entre autres, la société de téléphonie mobile Orange SA, la MABUCIG, SAPHYTO, CFAO, le Groupe Bolloré et j'en passe.

Ce sont tous des géants du secteur privé burkinabè et ils ne payaient aucun franc sur leurs revenus à l'Etat burkinabè du fait de cette convention fiscale. Imaginez un peu, les recettes que le Burkina Faso a perdues du fait de la non-imposition des revenus de toutes ces entreprises d'origine française. C'est énorme !

S : Comparée à l'aide publique au développement que la France accordait annuellement au Burkina Faso, que représente ce manque à gagner en termes de ressources pour l'Etat Burkinabè ?

H.D. : L'aide reçue par le Burkina Faso de la France est estimée à un peu plus de 100 millions de dollars US décaissés par an entre 2016 et 2021. Elle est accordée à 50% sous forme de prêts remboursables. La suspension de l'aide engendre un manque à gagner en termes de ressources pour l'Etat burkinabè d'environ 50 milliards de FCFA.

S : Qu'est-ce que cette dénonciation apporte au Burkina Faso ?

H.D. : La dénonciation de la convention va permettre au Burkina Faso de rétablir enfin ses droits d'imposer les entreprises françaises implantées sur son territoire et elles sont nombreuses et de grande envergure. Elles sont toutes des géants du secteur privé burkinabè qui payeront désormais leurs impôts sur le revenu pour le compte du budget de l'Etat. Imaginez un peu, les recettes qui en découleront. C'est énorme, et cela pourra aussi contribuer à combler le gap de financement public engendré par la suspension de l'aide française.

S : Qu'est-ce qui, à l'époque, justifiait la signature d'une telle convention par le Burkina Faso ?

H.D. : L'initiative de la convention fiscale vient de la France, pratiquement au lendemain des indépendances où les autorités françaises ont abusé de la naïveté de nos dirigeants de l'époque qui s'essayaient à la gestion publique. Il est évident que sur cette base, le Burkina Faso se faisait spolier sans le savoir par la France.

S : Le gouvernement burkinabè a manifesté sa volonté de renégocier les termes de cet accord fiscal en début 2020, et a même relancé la France en fin 2021, qui jusqu'à la récente dénonciation n'avait pas donné suite à la requête des autorités burkinabè. Quelle appréciation faites-vous de cette attitude de la France ?

H.D. : Les autorités françaises se comportent toujours en maîtres avec les pays africains, surtout leurs anciennes colonies. Le silence affiché par rapport à ce dossier s'apparente purement et simplement à du dédain et à l'infantilisation de nos dirigeants. La coopération économique saine entre deux pays souverains commande le respect mutuel entre les dirigeants.

La mauvaise foi manifestée par les autorités françaises n'a pas été une option judicieuse de leur part. Elles auraient accordé de l'importance peut-être qu'on serait en train de parler de révision et non de dénonciation de cette convention qui, à n'en point douter, viendra sortir les entreprises françaises de leur zone de confort qu'elles avaient au Burkina Faso.

 

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