Tunisie: Entreprises publiques - Le désengagement de l'Etat, est-ce un choix judicieux ?

10 Août 2023

La privatisation des entreprises publiques, bien que controversée, peut-elle être la solution idoine qui permettra de colmater le gouffre financier que sont ces sociétés ?

De plus en plus de voix s'élèvent pour appeler au désengagement de l'Etat des entreprises publiques. Privatiser, abolir les monopoles étatiques et/ou réduire la participation de l'Etat dans ces sociétés est la formule préconisée par les défenseurs de «l'efficacité économique». Un des principaux arguments qui sous-tendent cette idée, c'est que l'Etat est mauvais gestionnaire : son intervention directe dans les entreprises publiques aurait empêché leur bon fonctionnement.

Aussi la prévalence des monopoles étatiques ainsi que la présence de certaines entreprises publiques dans des secteurs productifs et concurrentiels auraient multiplié, selon divers rapports de la Banque mondiale, les effets de distorsion de la concurrence sur le marché. Selon cette idée, par ailleurs défendue par les bailleurs de fonds, l'Etat doit se cantonner, aujourd'hui, à un rôle de régulation.

«Dans la plupart de nos pays (africains), le rôle de l'Etat dans l'économie est prépondérant, où il joue souvent un rôle qui ne devrait pas être le sien ; l'Etat est entrepreneur, banquier..., il est joueur et arbitre en même temps, alors qu'il doit être un Etat «régulateur» qui pousse à l'initiative privée et à l'entrepreneuriat, qui encadre les activités économiques, protège la compétition, favorise l'inclusion, notamment financière, donne de l'impulsion pour les innovations permettant la compétitivité... », a souligné, à ce sujet, Ferid Belhaj, vice-président de la Banque mondiale pour la région Moyen-Orient et Afrique du Nord.

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Alors, dans ce contexte de crise économique et financière, faut-il se débarrasser de ces entreprises déficitaires qui grèvent le budget de l'Etat ? Faut-il considérer la refonte de leurs modèles de gouvernance afin d'instiller une dose d'efficacité et d'efficience ? Il est difficile de trancher la question d'autant plus que la réponse au dilemme qui oppose «objectifs non commerciaux» et équilibres financiers relève d'un délicat jeu d'équilibre auquel les entreprises publiques doivent se livrer.

Capitaliser sur les expériences précédentes

En effet, il suffit de dresser un état des lieux des entreprises publiques pour s'apercevoir qu'elles sont devenues un gouffre financier. En 2022, les transferts de l'Etat au profit des entreprises publiques ont culminé à 12,4 milliards de dinars, soit 29% des dépenses budgétaires et 9,3% du PIB, alors que leur dette vis-à-vis de l'Etat a atteint 8,27 milliards de dinars en 2021.

Ces chiffres ne font que mettre l'accent sur l'urgence avérée de leur réforme. La solution serait-elle de brader ces sociétés vulnérables ? Pour explorer des pistes de réflexion, il faut remonter à la fin des années 80, lorsque la Tunisie a adopté le programme d'ajustement structurel (PAS). Les entreprises publiques subissaient, alors, des pertes et ont accumulé une dette de 3 milliards de dinars, soit 35 % du PIB. A partir de 1987, la Tunisie a entrepris de réduire la taille du secteur public en restructurant, en privatisant et en liquidant des entreprises publiques, pour la plupart des petites et moyennes entreprises des secteurs du textile, du tourisme et de la construction.

Quant aux grandes entreprises publiques comme la compagnie aérienne nationale Tunisair et la compagnie d'assurance Star, leurs actions ont été vendues en Bourse à des investisseurs privés. 217 entreprises publiques ou semi-publiques ont été cédées depuis le lancement du programme de privatisation, rapportant au Trésor public quelque 6 milliards de dinars, dont environ 90% d'investissements étrangers.

Donc, les opérations de privatisation ont permis d'apporter de l'argent frais aux caisses de l'Etat mais aussi de «provoquer la hausse de l'investissement étranger direct », à l'instar de ce qui s'est passé dans la plupart des pays en voie de développement, selon les rapports de la Banque mondiale. Revers de la médaille : certains économistes brossent plutôt un tableau mitigé du bilan des privatisations effectuées du fait que l'investissement productif n'a pas augmenté de manière significative. Le dossier des entreprises publiques constitue, donc, une pomme de discorde entre les experts et économistes.

Entre ceux qui appellent à la privatisation des entreprises détenant le monopole étatique dans divers secteurs et/ou celles qui opèrent dans des secteurs concurrentiels et entre ceux qui considèrent que ces dernières sont des joyaux nationaux qu'il faut conserver, le débat se cristallise. Mais une chose est sûre, la réforme des entreprises publiques figure aujourd'hui parmi les priorités économiques, pour en finir avec l'hémorragie financière qu'elles ont provoquée. Et dans tous les cas de figure, cette réforme passe par une nouvelle stratégie actionnariale de l'État et un renforcement de leur gouvernance.

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