Sénégal: Les tanneuses, ces « oubliées » du processus de fabrication du « dallu ngaye »

Ngaye Mékhé — Le "dallu Ngaye", cette marque de chaussures bien de chez nous, a acquis une notoriété à travers le pays, grâce à la dextérité des cordonniers de cette partie du Cayor, où travailler la peau est une tradition bien gardée qui se transmet de père en fils, depuis des générations.

Intervenant au tout début du processus, les tanneuses occupent aussi une place de choix dans la fabrication de ces chaussures. Ces femmes qui polissent les peaux de bête, pour préparer la matière première dans laquelle seront taillés et cousus des souliers, des ceintures, des sacs et autres accessoires, sont pourtant souvent oubliées, en raison de leur position en retrait.

À 79 ans, Fatiminetou Dieng a passé presque toute sa vie à travailler la peau. Dans la cour d'une tannerie à l'est de Ngaye, où nous l'avons trouvée, elle retire fièrement du fond d'un bassin, une peau qu'elle vient juste d'épiler, après plusieurs heures de travail. Son seul plaidoyer - pas pour elle, mais pour les générations futures -, c'est que l'Etat du Sénégal arrête l'importation des peaux d'animaux.

Après plusieurs jours de labeur, Fatiminetou Dieng ne gagne que 2.000 FCFA ou parfois moins sur chaque peau de mouton ou de chèvre traitée, pour un métier aussi éreintant, pratiqué aussi bien par les femmes que par les hommes.

»Nous travaillons sans arrêt ici, à nos risques et périls. Vous voyez on n'a pas de masque encore moins de véritables outils de travail. Tout se fait ici à la main avec des gants rudimentaires », fait-elle constater, toute résignée, la sueur dégoulinant sur son corps frêle.

C'est sa corvée quotidienne depuis plusieurs décennies, une affaire de famille. Elle rêve de voir avant sa retraite, une amélioration conséquente des conditions d'exercice du métier de tanneuse.

Un souhait qu'elle partage avec Mariama Tabane, une de ses collègues qui, toute petite, accompagnait déjà ses parents à la tannerie. Cette mégisserie a bénéficié du lifting de la mairie, sous l'impulsion de l'édile de Ngaye, Maguette Wade, qui envisage d'ailleurs de trouver de nouveaux débouchés à ces braves dames préoccupées surtout par la modernisation de leur outil de travail.

« Depuis plus de 30 ans, j'exerce le métier de tanneuse. J'y ai rejoint ma mère avec ma soeur. Lorsque ma mère est décédée, j'ai continué à l'exercer et à occuper l'endroit où elle travaillait avec d'autres femmes », se souvient Mme Tabane.

« Nous les Maures, nous sommes les pionnières de la tannerie. Depuis que j'étais toute petite, j'étais chargée des petites commissions pour aider ma mère dans sa tâche. C'est ainsi que je me suis familiarisée avec le métier et j'ai pu l'apprendre en observant ma mère. Donc, je n'ai pas reçu de formation au vrai sens du terme dans la tannerie », poursuit-elle.

« Aujourd'hui, rien ne m'échappe dans ce métier », se félicite la tanneuse, qui se ravitaille en peaux auprès des bouchers de la SERAS, à Dakar. Ces derniers lui envoient la marchandise à bord de véhicules de transport en commun.

A l'entendre parler, l'on devine tout cet art et ce savoir-faire qui se cachent derrière ce travail dont les Maures ont été les précurseurs. Les peaux sont trempées dans de l'eau de chaux, afin de faciliter leur épilation.

« Cette méthode est très lassante. Nous dépensons beaucoup d'énergie à détacher les poils à la main mais aussi beaucoup de temps, car nous n'avons pas d'épileuse, la machine qui permet d'enlever ces poils facilement et rapidement », déplore Mariama Tabane.

La municipalité à la rescousse

« Nous venons de signer une convention avec la Délégation à l'entreprenariat rapide des femmes et des jeunes (DER) pour l'obtention d'une épileuse, d'une écharneuse servant à détacher la chair », renseigne Mariama Tabane, qui est aussi conseillère municipale à la mairie de Ngaye Mékhé.

Les tanneuses ont mis sur pied un GIE pour bénéficier de financements et appuis. Chacun des membres peut travailler pour son propre compte, mais aussi pour le GIE. « Si le travail se fait dans le cadre du GIE, c'est la présidente Saoudatou Tabane qui passe les commandes et lorsqu'elle est absente, je m'en charge en tant que responsable et membre du bureau », indique-t-elle.

Mariama Tabane est convaincue que son statut de conseillère municipale lui permet d'apporter beaucoup de facilités à l'association des tanneuses, dont elle est membre. Elle défend toujours ses collègues tanneuses lors de réunions du conseil municipal. Une tribune où ces vaillantes dames peuvent aussi compter sur le soutien d'un autre »avocat », en la personne de Mao Djité, président de la commission artisanat à la mairie de Ngaye, qui ne manque jamais de plaider publiquement leur cause.

Résultat : grâce à l'actuel maire, Wade, leur local a été transformé en un atelier, à l'abri du soleil et de la pluie, avec la construction d'un mur de clôture et d'un magasin de stockage, ainsi que l'installation de tentes. »Le ministre de l'Artisanat aussi nous apporte parfois beaucoup de réconfort et de soutien. Il nous a promis une modernisation de notre activité, lors d'une visite de courtoisie effectuée sur le site, récemment", informe la tanneuse et conseillère municipale.

Elle s'offusque de ce que les prix des peaux de mouton et de chèvre restent les mêmes. »Elles sont moins coûteuses, car elles ne servent qu'aux petites oeuvres d'art, à la fabrication de gris-gris etc. », se désole-t-elle, en ajoutant qu'elles ne leur rapportent presque plus rien, car les commandes sont entravées par les importations. »Nous vendons ces peaux entre 1.500 et 2.000 $ » lance-t-elle.

Les peaux de boeuf sont plus chères car leur traitement est plus difficile à cause de leur poids. D'ailleurs, à Ngaye, seules les cordonneries les plus habiles comme »Maabo »et »Thiawane » commandent les peaux de boeuf. Celles-ci ont été lauréates des prix du chef de l'État, respectivement, sous les magistères de Abdou Diouf et de Macky Sall.

La moitié d'une peau de boeuf se vend à 10.000 FCFA, dit-elle, estimant qu'elles pourraient la céder à un meilleur prix, si elles avaient assez de matériel pour faire une tannerie de plus haute qualité.

Les tanneuses de Ngaye Mékhé sont conscientes que seul l'État du Sénégal peut freiner l'importation de peaux provenant de la France ou de l'Italie, qui mènent une rude concurrence à celles produites localement, même s'il s'agit en réalité de »déchets de leur tannerie ». Une situation bien déplorable au moment où les tanneuses locales peinent à bien travailler leurs peaux.

»Nous avons du mal à les concurrencer, car les peaux venant d'Europe ne coûtent pas moins cher, que celles que nous fabriquons, mais elles sont plus jolies, parce que travaillées avec des machines permettant une grande précision dans le design », explique-t-elle.

Une autre manière pour le gouvernement de les aider à tenir tête à ces peaux concurrentes, serait un appui en machines sophistiquées pour améliorer la qualité de leurs produits et les rendre plus attrayants, plaide-t-elle.

»Ainsi, l'Etat pourra interdire l'importation car nous pourrons satisfaire les demandes et même penser à exporter », argue la tanneuse et conseillère municipale. Elle évoque l'exemple du Maroc, qui n'importe pas de peaux, selon elle, et où l'Etat soutient la tannerie locale en achetant beaucoup de machines.

Le caractère manuel de la tannerie locale, implique la lenteur et la faiblesse de sa production. Les peaussières ont très souvent été confrontées à un manque à gagner, dû à leur incapacité à honorer leurs commandes à temps. Les peaux pourrissent rapidement, car elles ne peuvent pas les garder pendant longtemps.

Le moins que l'on puisse dire est que les braves tanneuses de Ngaye croient dur comme fer que les lendemains de leur activité s'annoncent prometteurs. Au seuil de ses 80 ans, Fatiminetou Dieng espère voir de ses propres yeux, une tannerie moderne avant de passer la main à la jeune génération de tanneuses.

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