Afrique de l'Ouest: Nouveau sommet d'Abuja sur le Niger - La CEDEAO doit cesser de gouverner par procuration

analyse

Le 10 août dernier, les chefs d'Etat de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) étaient, une fois de plus, réunis en sommet extraordinaire à l'effet d'examiner la situation au Niger où les tombeurs de Mohamed Bazoum restent droits dans leurs godasses et sourds aux injonctions de l'organisation sous-régionale qui leur avait donné une semaine pour remettre le président déchu sur son trône.

Dans le choix cornélien entre l'intervention militaire brandie comme épouvantail pour remettre Mohamed Bazoum en selle, et la voie du dialogue avec la junte, les têtes couronnées de l'institution d'Abuja ont choisi de donner une chance à la diplomatie tout en activant sa force en attente au cas où les putschistes du Niger refusaient d'entendre raison. Comment peut-il en être autrement quand, au-delà du caractère non moins risqué de l'option militaire, des voix et pas des moindres se font de plus en plus entendre contre l'usage de la force pour remettre le présidant Bazoum dans son fauteuil ? Et puis, pour une institution qui prétend défendre la démocratie, en quoi, dans le fond, une réponse de la CEDEAO à la force par la force, serait-elle différente d'un coup d'Etat contre le coup d'Etat ?

Et à propos justement de la perspective d'une intervention militaire, on a du mal à comprendre la position va-t-en-guerre de dirigeants comme ceux de Côte d'Ivoire, de Guinée-Bissau et du Sénégal. En effet, quand il s'agit de Blancs qui s'entretuent, comme c'est en ce moment le cas de la guerre russo-ukrainienne, Macky Sall se fait fort de se comporter en apôtre de la paix, une cause qui lui a valu une rencontre entre lui et ses homologues russe et ukrainien. Mais étrangement, c'est ce même Macky Sall qui approuve comme ses deux pairs ouest-africains sus-cités, l'option de la guerre qui aura forcément pour conséquence un lourd bilan humain.

La résurgence des coups d'Etat doit appeler à une introspection dans le rapport du continent avec la démocratie

Mais cela ne saurait absoudre les putschistes du 26 juillet dernier, de leur péché, encore moins du coup de Jarnac qu'ils ont planté dans le flanc de la démocratie en interrompant l'ordre constitutionnel au pays du Ténéré.

Toujours est-il qu'en jouant au redresseur de...putschistes, la CEDEAO est certes dans le rôle de vigie de la démocratie qu'elle s'est assigné. Mais si elle n'y prend garde, les conséquences d'une éventuelle intervention militaire pour rétablir la démocratie au forceps, pourraient être beaucoup plus désastreuses si elles ne se répercutent pas ailleurs de façon plus grave dans la sous-région.

Et dans le cas d'espèce du Niger, les têtes couronnées de l'organisation sous-régionale doivent éviter de donner le sentiment d'être ce syndicat de chefs d'Etat voulant sauver à tout prix le « soldat » Bazoum. Et ce, dans le but inavoué de chercher à protéger leurs propres fauteuils. Car, après le Mali, la Guinée, le Burkina Faso et maintenant le Niger, le constat est que la menace du pouvoir kaki s'étend de plus en plus dans l'espace CEDEAO.

Et cette résurgence des coups d'Etat en Afrique de l'Ouest, parfois dans l'indifférence totale des populations si ce n'est avec leur bénédiction, doit appeler à une introspection dans le rapport du continent avec la démocratie. D'autant que la rupture des peuples africains avec bien des dirigeants accusés à tort ou raison de rouler pour les intérêts des Occidentaux, semble aujourd'hui largement consommée. Et la CEDEAO n'est pas en reste. C'est pourquoi elle doit cesser de gouverner par procuration.

D'autant qu'au-delà de sa propension à fermer les yeux sur les coups d'Etat constitutionnels pendant qu'elle veut sévir contre les putschs militaires, elle apparaît comme un conglomérat de chefs d'Etat aussi autistes et sourds aux clameurs et aux cris de détresse de leurs peuples respectifs qu'ils sont prompts à s'accoquiner avec de grandes puissances dont les intérêts ne manquent pas de piétiner parfois ceux des peuples africains.

Le Général Tchiani et ses compagnons gagneraient à adopter une attitude de conciliation

C'est pourquoi, au-delà de l'actualité brûlante du Niger, la CEDEAO doit travailler à prévenir les coups d'Etat. Et en la matière, il n'y a pas meilleure solution que la promotion de la bonne gouvernance qui implique aussi le respect des règles de l'alternance. C'est dire s'il est temps, pour l'Afrique, de trouver son propre chemin. Pour cela, elle doit avoir une claire conscience du système de gouvernement qui lui sied le mieux.

Et ce, en totale rupture avec la démocratie en trompe-l'oeil aujourd'hui en vogue et qui est loin d'intégrer toutes nos valeurs africaines, quand elle ne sert pas beaucoup plus les intérêts de ceux qui nous l'ont imposée.

En tout état de cause, l'agitation frénétique de l'ancienne puissance coloniale, la France, qui est aussi engagée dans un bras de fer avec les tombeurs de son « protégé », porte à croire qu'au-delà de la CEDEAO, il y a d'autres intérêts cachés qui se jouent dans cette volonté affichée de l'Hexagone, à nulle autre pareille, de rétablir, ici et maintenant, l'ordre constitutionnel au forceps au Niger.

Toutefois, ces intrusions répétées de la soldatesque sur la scène politique, sont autant de secousses qui viennent rappeler que la démocratie doit être l'aboutissement d'un long processus. Cela dit, il ne faut pas se voiler la face : les coups d'Etat ne sont pas la solution ; tant au-delà de la gouvernance politique et économique des militaires, qui est souvent loin de trancher qualitativement avec celle des civils, l'histoire a bien souvent montré que les régimes d'exception consacrent le recul de la démocratie en contribuant à la restriction des espaces de libertés.

C'est pourquoi, tout en maintenant la pression sur les putschistes de Niamey, la CEDEAO doit pouvoir regarder vers l'avenir en tentant de créer les conditions d'une transition plutôt que d'exiger le retour du président déchu au pouvoir.

En cela, le Général Tchiani et ses compagnons qui ont déjà opposé une fin de non-recevoir à certaines délégations, sont aussi interpellés. Ils ne devraient pas trop tirer sur la corde ni vouloir prendre la tête de la transition si elle venait à être mise en place. Pour ce faire, ils gagneraient à adopter une attitude de conciliation qui permette de créer ce cadre de dialogue avec la CEDEAO. Il y va de l'intérêt de tous.

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