Dakar — L'artiste peintre sénégalais Zulu Mbaye estime que sa non-fréquentation - pas voulu de sa part - d'une école des Beaux-Arts lui a permis de ne pas être »formaté » par un académisme »qui liait l'artiste à des règles établies, des codes » et de garder une certaine démarche de création.
Prié de dire, dans un entretien exclusif accordé à l'APS en prélude à la célébration de ses cinquante ans de carrière, s'il n'avait jamais voulu faire l'école, il a lancé : »Ce n'est pas que je n'ai pas voulu faire l'école. C'est ma trajectoire qui a été ainsi ».
»Je dois dire que j'avais quatre à cinq ans de peinture. Je nourrissais un petit complexe par rapport aux jeunes de mon âge qui sortaient de l'Ecole des Beaux-Arts, mais c'est aujourd'hui que je réalise - et je remercie le ciel pour cela - que je n'ai pas été formaté par cet académisme qui liait l'artiste à des règles établies, des codes », a-t-il expliqué.
»Tout ce que je sais, je l'ai appris dans la rue, sur le tas comme on dit. Je n'ai pas fait d'études supérieures. Dieu merci d'ailleurs. Je trouve quelque part que ça peut être un handicap pour la sensibilité dans la création. Je vois que les artistes très +intellos+ sont tellement dirigés par ce côté qu'ils perdent un peu de leur spontanéité, de leur originalité », a-t-il insisté.
Zulu Mbaye rappelle qu'il a eu comme "professeur", Pierre Lods, qui le suivait, "qui avait beaucoup plus d'expérience, un vécu dans la peinture", relevant que Lods, venu au Sénégal sur invitation du président Léopold Sédar Senghor, était "un très bon peintre".
"J'ai eu cette trajectoire. D'ailleurs, ces trente ou quarante dernières années, les artistes sénégalais les plus connus - je ne dis pas les meilleurs - sont sortis de cette école. Ça veut dire quelque chose. C'est ceux qui sortaient des ateliers libres de Lods. Parce que l'art est d'essence libre", a-t-il souligné.
Revenant sur l'environnement de création et de formation dans lequel il a baigné, Mbaye rappelle que l'Institut des arts - devenu Ecole nationale des arts - était contigu au premier villages des arts. "Pierre Lods lui-même était professeur aux Beaux-Arts, mais il jugeait que l'enseignement qu'il dispensait dans son atelier était plus en accord avec sa philosophie artistique que l'enseignement académique qu'on lui demandait à l'Ecole des Beaux-Arts, explique le peintre. Je n'ai pas été dans cette formation où il restait quatre heures par jour.
« J'étais avec des aînés, Khalifa Guèye, Ibou Diouf, Théodore Diouf, Chérif Thiam, entre autres, et c'était extraordinaire. Chaque jour, à 18h, chacun des élèves présentait son travail de la journée et on en discutait. Ça a été beaucoup plus créatif, stimulant et inspirant que le caractère carré des enseignements de l'école", a indiqué Zulu Mbaye.
Le peintre a signalé que presque rien ne le prédestinait à une carrière dans l'art, rappelant que dans son enfance, il ne savait pas ce que c'était qu'une oeuvre d'art, un tableau ou une sculpture. "Je suis né dans un village, Ndiakhaté, qui se trouve entre Thiès et Tivaouane. C'est là que j'ai grandi. Mon homonyme, qui était le meilleur ami de mon père, m'a inscrit à l'école de la Mission catholique de Lam-Lam. Je ne connaissais pas la ville", a-t-il raconté, précisant que ce n'est pas le fait d'arriver en ville qui va lui faire connaître l'art.
Il ajoute : ' »Quand j'ai réussi au concours d'entrée en sixième, j'ai été orienté au lycée Malick-Sy de Thiès. J'ai arrêté mes études en classe de quatrième. Je ne peux pas même revendiquer la classe de quatrième parce que j'étais tellement turbulent que, après un conseil des professeurs, on m'a exclu".
« Je n'ai pas les Beaux-Arts et Dieu merci pour ça. D'ailleurs, les Beaux-Arts c'est très récent. Il ne faut pas croire que les artistes ont toujours fait des académies pour devenir artiste. Non ! Ça fait moins de deux siècles que les académies existent", poursuit Zulu Mbaye, soulignant que "les gens ont toujours travaillé sous l'aile d'un maître".
« Je trouve que pour un créateur, le fait de penser à une note que l'on va recevoir après un contrôle ou un examen, ça bloque quelque part' », a-t-il dit avant d'ajouter qu'il a fréquenté les ateliers libres du professeur Pierre Lods, "le fer de lance, celui qui a accompagné ce qu'on a appelé l'Ecole de Dakar, qui était beaucoup apprécié par Senghor (Le premier président du Sénégal) dont il rencontrait la poésie négro-africaine".
« Beaucoup ont pensé que c'était une illustration de la poésie négro-africaine de Senghor, ce n'est pas le cas. C'était une rencontre, note Zulu Mbaye. Senghor s'inspirait de sa négritude et les artistes de cette période, quand ils ont commencé a touché à la toile, au pinceau, se sont référés aux objets qui les entouraient. »