Burkina Faso: Production du dolo au Centre-ouest - Une activité rentable aux risques 'fermentés'

Produit traditionnellement à base du sorgho rouge fermenté, le dolo ou "ramoaga" en langue nationale mooré, est une bière ancestrale, prisée dans certaines regions du Burkina Faso. Dans la région du Centre-Ouest, des femmes ont fait de la production de cette boisson locale, leur gagne-pain. Cependant, le contact permanement avec le feu et la fumée nuit à leur santé. De plus, l'utilisation du bois de chauffe en grande quantité contribue à la destruction de l'environnement.

Onze heures 50 minutes ! Le soleil est au zénith au secteur 4 de Réo dans la province du Sanguié. Yolande Bayala est en pleine preparation de la bière de mil, le dolo. De son foyer incandescent, proviennent des bouffées de chaleur qui la « fouettent ». La température est intenable. De grosses sueurs coulent sur son visage. L'air fatiguée, le visage assombri, les yeux larmoyants, agressés par la fumée du foyer, elle s'active néanmoins à accomplir la « corvée » du premier jour de préparation de son dolo qui sera consommé dans trois jours, une activité que la sexagénaire exerce depuis une trentaine d'années.

En attendant, le dolo mijote toujours dans les marmites. Plus de cinq cabarets équipés de bancs attendent leurs clients. Chez Rosalie Kantiono, l'on entend des éclats de rire. Plusieurs sujets alimentent les débats. Marcel Bayala et ses amis sont à leur cinquième calebassée de dolo, directement tiré du canari de Dame Rosalie. « Ce dolo est meilleur. C'est du bio et sans maladie », lance un client. Le cabaret, dit-il, est un lieu de divertissement, car, il y a de l'animation et de l'ambiance.

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Il souligne que cette ambiance est plus vecue lors des « 21 » ou le tango-tango de leur quartier. Ce jour, confie-t-il, les femmes viennent de plusieurs zones pour vendre leur dolo. Dans le sous-secteur de Gomedyr au secteur 4 de Réo, plusieurs dolotières s'adonnent à cette activité. Elles sont organisées de telle sorte que chaque jour de la semaine, deux femmes préparent le dolo. Le processus de préparation dure deux jours et le troisième jour est consacré à la commercialisation du produit fini.

Le sorgho rouge est mis en germination. Dès que les grains se fendent et laissent apparaître un germe, on les étale au soleil, pour que la chaleur fasse cesser cette germination. Ensuite, on incorpore les grains dans de l'eau. Ce mélange est cuit plusieurs fois et sur des feux de puissance variable. Puis, on le filtre de manière à ne récupérer que le liquide, le résidu étant donné aux cochons.

Le liquide est cuit, bouilli puis refroidi. Lorsqu'il est suffisamment refroidi, on l'ensemence avec une levure sèche pour la fermentation. La fabrication, depuis l'introduction des grains dans l'eau, jusqu'à la mise en fermentation, se fait dans la journée. La levure est ajoutée dans la soirée et le dolo est prêt le lendemain. La bière du sorgho est preparée de différentes manières. Au secteur 4 de Réo, certaines femmes de l'ethnie gourounsi se sont spécialisées dans la préparation du dolo "san", un dolo qui se prepare pendant 3 jours et le quatrième jour reservé à la consommation.

Une incidence sur la santé

Activité génératrice de revenus, la vente du dolo permet aux femmes de subvenir aux besoins de leurs familles et de payer la scolarité de leurs enfants. Cependant, le contact du feu et de la fumée n'est pas sans conséquences sur leur santé. Bien qu'elle soit source de revenus, l'activité « tue » à petit feu ces dolotières. Les revenus engrangés sont ainsi parfois utilisés la plupart du temps pour l'achat des produits pharmaceutiques pour leurs soins.

« Ma mère qui a passé toute sa vie à préparer le dolo (plus de 30 ans), n'a pas pu survivre à une longue maladie qu'elle a trainée pendant plus de dix ans. Elle a souffert d'une toux chronique qu'elle a traitée tout ce temps sans être guérie », témoigne Eunice Tamini, la fille d'une ancienne dolotière, décédée du fait de sa longue exposition à la fumée du bois. Sa génitrice a souffert terriblement de cette maladie respiratoire qu'est la toux.

Mlle Tamini garde un mauvais souvenir de cette activité, parce que sa mère a dépensé des milliers de francs pour se soigner, sans succès. Elle n'a pas survécu. « Pendant toute cette épisode de la maladie, lorsqu'elle toussait, elle ne crachait que du sang », raconte-t-elle le visage attristé. Eunice, qui a hérité de l'activité, affirme que le travail de préparation du dolo est très pénible et a un impact sur son corps.

« L'activité n'est pas aisée. Etant toujours en contact avec le feu, je ressens comme une forte fièvre, avec l'impression que mon sang bout. Lorsque je travaille toute la journée, la nuit, j'ai des insomnies. Mes os me font mal », confie-t-elle. Toutes ces dolotières affirment avoir des maux d'yeux et vont fréquemment en consultation pour cette raison. Anne Marie Kanzié, une autre dolotière de Réo ne prepare plus le dolo.

Sa santé ne lui permet plus d'affronter cette épreuve de feu et de fumée. Pendant dix ans, elle a mené cette activité éreintante. « Lorsque je suis tombée malade, je suis restée au lit pendant trois mois. J'avais une toux chronique et je ressentais des douleurs atroces au niveau des côtes et du thorax. J'avais des difficultés respiratoires. Quand j'ai été en consultation, l'infirmier m'a interdit toute activité liée encore au dolo, car ma vie en dépendait », raconte Mme Kanzié.

Denise Kansolé, malgré son état de santé précaire, continue de préparer le dolo. Elle souffre de maux d'yeux et a une toux chronique qui a duré plusieurs années. Elle a dépensé plus de 15 000 F CFA pour les soins de ses yeux sans aucune amélioration. Veuve et mère de sept jeunes enfants, elle refuse d'abandonner ces activités malgré ses ennuis de santé. La quinquagénaire Claudine Bassono qui excelle dans cette activité depuis 20 ans, est aujourd'hui mal en point.

Elle souffre de maux de coeur, de foie et d'yeux. « Depuis le début de ma maladie, j'ai dépensé plus de 40 000 F CFA pour les soins. Après consultation, les infirmiers m'ont conseillée d'abandonner la préparation du dolo. Mais cela va être difficile parce que je vis de cette activité », se désole-t-elle.

Dr Boureima Koumbem, médecin pneumologue au Centre hospitalier universitaire (CHU) pédiatrique Charles-De-Gaulle, explique que les dolotières sont exposées à des maladies respiratoires, du fait qu'elles soient en permanence en contact avec la fumée du bois de chauffe.

3,23 millions de décès en 2019

Il affirme que l'Organisation mondiale de la santé (OMS) estime de façon générale, que plus de 50% de la population mondiale serait exposée à la fumée, résultant de la combustion de la biomasse dont 90% en milieu rural du fait de l'utilisation de ces combustibles, avec une augmentation prévisible en 2030. Cependant, au Burkina Faso les études qui existent montrent la prévalence de la Broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO) chez les femmes, prévalence liée spécifiquement à la combustion du biomasse.

Dr Koumbem révèle que les dolotières qui sont de manière permanente en contact avec la fumée courent le risque de contracter les broncho-pneumopathies chroniques obstructives. La BPCO est une maladie chronique inflammatoire des bronches, le plus souvent associée à d'autres maladies. Elle se caractérise par un rétrécissement progressif et une obstruction permanente des voies aériennes et des poumons, entrainant une gêne respiratoire.

Elle se manifeste par un essoufflement, une respiration sifflante ou une toux chronique. Selon l'organisation mondiale de la santé, la BPCO serait la troisième cause de décès dans le monde. Elle a entraîné 3,23 millions de décès en 2019. Près de 90 % des décès dus à la BPCO chez les moins de 70 ans, surviennent dans des pays à revenu faible ou intermédiaire. La BPCO est la septième cause de mauvaise santé dans le monde (mesurée en années de vie ajustées sur l'incapacité).

A entendre Dr Koumbem, l'appareil respiratoire va être le siège privilégié de cette fumée liée à la préparation du dolo. La dangerosité de cette exposition à la fumée, explique-t-il, dépend souvent des facteurs déterminants de l'effet toxique du polluant. « Il peut donc s'agir de la composition chimique du charbon, le monoxyde de carbone qui joue un rôle néfaste sur la santé de ces femmes.

Il y a aussi la dose absorbée qui peut atteindre les tissus, la sensibilité du tissu face à la substance toxique, c'est-à-dire la façon dont celui-ci va réagir face à l'impact de la pollution qui va varier selon l'âge », relève-t-il. Il affirme donc que les jeunes dolotières seront plus résistantes par rapport aux vieilles dolotières. De plus, l'état de santé de la personne concernée peut être un facteur déterminant dans la survenue de complications.

Il souligne aussi que si la dolotière est asthmatique, il y aura évidemment des exacerbations de la maladie. En terme claire, elle va faire fréquemment des crises d'asthme, ce qui aura encore une incidence sur sa santé. Alors, cette femme va donc manifester la toux et sa fonction respiratoire va s'altérer au fur et à mesure.

Cette dolotière, fait-il savoir, aura du mal à respirer et c'est un déclin progressif, qui va peut-être évoluer vers une incidence sur la respiration avec son lot de complications. Selon l'OMS, les personnes atteintes de BPCO présentent un risque plus élevé d'avoir d'autres problèmes de santé, comme les infections pulmonaires, la pneumonie, le cancer du poumon, les problèmes cardiaques, les faiblesses musculaires et la fragilité des os, la dépression et l'anxiété.

L'organisation précise qu'au fur et à mesure que la BPCO s'aggrave, les activités quotidiennes habituelles sont de plus en plus difficiles à réaliser, souvent à cause de l'essoufflement. La maladie peut entraîner des difficultés financières considérables en raison d'une productivité limitée sur le lieu de travail et à domicile et du coût des traitements médicaux.

« Lorsque vous regardez les murs et les foyers où le dolo est produit, vous aurez une idée de comment les poumons sont agressés. Donc, il faut prendre des mesures pour éviter cette agression par le port de cache-nez qui peut aider », previent le pneumologue Koumbem.L'activité de préparation de dolo nuit à la santé humaine et détruit l'environnement car elle consomme beaucoup de bois de chauffe.

L'environnement menacé

La majorité des dolotières dans la région du Centre-Ouest n'ont pas encore trouvé de foyers adaptés pour la préparation de cette boisson ancestrale. Denise Kansono, qui excelle dans cette activité depuis cinq ans, utilise toujours des canaris et foyers traditionnels dans la préparation du dolo. Elle affirme que l'utilisation de ce matériel ne lui permet pas d'économiser son bois.

A chaque preparation du dolo, elle peut dépenser environ 15 000 F CFA de bois. Antoinette Nana, qui reside au secteur 6 de Koudougou, prépare six marmites numéro 30 de dolo par jour et consomme un camion-remorque de bois tous les deux mois. Rachelle Zoungrana, une autre dolotière du cabaret moderne dénommé Grénier "Tign'Dell" (une fois rassasié, on se met à l'aise) de Koudougou utilise six marmites numero 70 chaque jour.

Pour la préparation, il lui faut trois camions-remorques de bois tous les deux mois. Cette grande quantité de bois à laquelle les dolotières font recours n'est pas également sans conséquences sur le couvert végétal. «Les services du ministère de l'Environnement ont formé notre association sur l'utilisation des foyers améliorés.

A la suite de cette formation, nous avons bénéficié du projet foyers améliorés, à travers lequel j'ai pu installer le mien », indique la presidente des dolotières de la région du Centre-Ouest, Rachelle Zoungrana. Elle dit reconnaitre que les foyers améliorés réduisent énormément la consommation du bois, mais ne vient toujours pas à bout du problème de consommation.

« Malgré cette réduction, j'utilise trois camions-remorques de bois tous les deux mois et demi pour préparer le dolo tous les jours. Dans notre business plan, nous avons démandé une aide, pour qu'au moins dix cabarets de la région puissent fonctionner au gaz butane », affirme-t-elle. Les dolotières sont conscientes que la consommation excessive du bois de chauffe dégrade l'environnement.

« Avant, avec le foyer traditionnel, j'utilisais énormément le bois. Mais avec maintenant le foyer amélioré construit de la sorte, je dépense entre 17 500 F CFA et 20 000 F CFA pour le bois », explique Blandine Bouda, coordonnatrice des dolotières du Kadiogo et présidente d'une unité de bière locale Dolo, Germilo. Elle atteste que l'utilisation du gaz est plus économique. Elle dépense moins en utilisant le gaz que le bois.

Cependant, souvent avec la pénurie de gaz à Ouagadougou elle confie que par mesure de prudence, elle utilise plus les foyers à gaz pour la préparation de son dolo pour parer à toute éventualité. Selon elle, l'utilisation est triplement bénéfique parce qu'elle les protège contre les maladies, elle préserve l'environnement et elle est moins chère.

« J'ai à ma disposition 10 bouteilles de 12 kilogrammes, mais j'utilise seulement cinq pour préparer mon dolo », souligne-t-elle. Et de préciser qu'au moins 25 personnes de son association ont pu avoir le foyer à gaz. D'un coût de 3 500 000 millions de F CFA, ce dispositif lui a été accordé par le projet FEMM-ONG à un prix subventionné de 300 000 F CFA. Cependant, affirme- t-elle pour bénéficier du matériel, il faut être membre de l'association des dolotières du Faso et être à jour de ses cotisations.

Le directeur provincial de l'environnement de la province du Boulkiemdé, Akim Nébié, le confirme en ces termes : « La consommation du bois comme énergie est l'une des sources principales de la degradation de l'environnement, notamment l'appauvrissement du couvert végétal ». Il estime qu'avec l'accroissement de la population, le besoin en énergie s'accroît et engendre une exploitation massive du bois, impactant très négativement le couvert végétal, aussi bien sur la qualité que la quantité.

Selon lui, cet appauvrissement influe sur la diversité biologique, car, il y a des espèces qui sont quasiment en voie de disparition. « Les dolotières utilisent beaucoup plus de bois que les autres consommateurs dans la société, parce que, la marmite est laissée pendant au moins deux jours au feu, sans interruption pour arriver à la cuisson du dolo », remarque -t-il. Il souligne que selon le type de foyers que ces femmes utilisent, la consommation en bois peut être réduite considérablement.

Akim Nébié indique que le service départemental de l'environnement, dans la province du Boulkiemdé, dispose de grands foyers améliorés qui sont des formes de foyers qui utilisent très peu de bois. « Celles qui utilisent les foyers améliorés ont compris, qu'ils leur permettent d'économiser du bois et les ressources financières, puisqu'elles achètent moins de bois. Donc, nous conseillons essentiellement l'usage des foyers améliorés aux dolotières », explique-t-il.

Pour le chef de service régional forêts et faunes, Gustave Yaméogo, l'impact de l'utilisation de la biomasse sur le climat peut être la réduction de la capacité de séquestration du carbone et la libération de carbone dans l'atmosphère lors de la préparation du dolo. Il soutient que pour réduire ou stopper l'utilisation de la biomasse sans impacter l'activité des dolotières, il faut mettre en place une politique de promotion des énergies de substitution, telles que le gaz butane et les bio digesteurs, là où cela est possible.

A Réo, au secteur 4, les femmes qui utilisent toujours les foyers construits traditionnellement plaident plus pour la vulgarisation des foyers améliorés qui protègent plus l'environnement et leur santé. Elles souhaitent de ce fait, une formation sur la construction de ce dispositif qui va leur permettre de consommer moins de bois que les foyers traditionnels.

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