La construction du barrage hydro-électrique de Kandadji, situé dans la zone dite « des trois frontières » (Burkina Faso-Mali-Niger), a été interrompue le 10 août 2023, quelques jours après la mise en place de sanctions de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'ouest contre les putschistes nigériens. C'est le groupe chinois chargé de son édification qui l'annonce dans une lettre adressée à l'inspection du travail de Tillabéri. Pour comprendre ce projet, essentiel pour le pays, et les raisons de son retard, RFI a interrogé Adamou Louche, économiste et spécialiste du dossier.
RFI : Adamou Louche, en quoi consiste le projet de barrage de Kandadji ?
Adamou Louche : C'est un vieux rêve du Niger, pays désertique à plus de deux tiers. Le projet de barrage de Kandadji remonte aux années 1970. À l'époque, le pays a connu une terrible famine. Alors Seyni Kountché, le président de l'époque, avait envisagé de doter le pays d'un barrage hydroélectrique de grande envergure. Par la suite, tous ses successeurs en ont fait une priorité, sans pour autant qu'il voit le jour. Il a fallu attendre 2008 pour que la première pierre soit posée, sous la présidence de Mamadou Tandja. C'est la société russe Zaroubegevodstroï (ZVS) qui avait alors la charge du projet. Mais, pour tout un tas de raisons, ils n'ont pas pu honorer leur engagement. Le projet a été repris en 2021 par la société chinoise China Gezhouba Group, qui a bien avancé dans les travaux, aujourd'hui terminés à 80 % environ. Avant les derniers événements, la livraison des infrastructures était prévue pour 2025.
Pourquoi ce barrage est-il important pour le Niger ?
Le barrage de Kandadji est très important pour le Niger pour deux raisons essentielles. D'une part, il devrait permettre l'accroissement de la production électrique locale avec la construction d'une centrale de 100 mégawatts (MW). Cela devrait permettre au Niger de s'affranchir de sa dépendance énergétique vis-à-vis du Nigeria voisin, mais aussi d'améliorer l'électrification du pays qui connaît l'un des plus faibles taux d'accès à l'électricité. Près de 20% de la population a seulement accès à l'électricité, contre 50% en moyenne en Afrique subsaharienne.
D'autre part, il devrait contribuer à réduire les crises alimentaires récurrentes que connaît le pays. Avec ce barrage, il devrait y avoir 45 000 hectares de terre mis en valeur pour améliorer la production. L'irrigation est une nécessité dans un pays où 80% de la population vit d'une agriculture dépendante des pluies. Les projections de l'agence du barrage estiment que 400 000 tonnes de riz, de maïs et de produits maraîchers, devraient être produites en plus chaque année.
Pourquoi y a-t-il eu autant de retards ?
De nombreuses raisons expliquent les retards. Déjà, l'instabilité politique n'a pas facilité la réalisation du projet. Il a également fallu déplacer 50 000 personnes pour assurer la construction, et en reloger plus de 7 000. Et puis le contexte sécuritaire, très tendu dans la région, a nécessité un renforcement de la présence militaire pour assurer la sécurité des personnels de la société. L'objectif était de garantir les meilleures conditions de travail possibles. Le dernier retard en date s'explique aussi par la pandémie de Covid-19.
Pourquoi le projet est-il à l'arrêt aujourd'hui ?
Depuis les derniers événements au Niger, le groupe chinois chargé de la construction a arrêté les travaux, pour deux raisons notables. La Banque mondiale, la Banque africaine de développement (BAD) et l'Agence française de développement (AFD) participent toutes à ce projet à 740 milliards de francs CFA [environ 1,1 milliard d'euros, NDLR]. Mais, avec les sanctions, ils ont interrompu leur participation. Par ailleurs, les chinois estiment que les conditions optimales pour la poursuite sereine des opérations ne sont pas réunies. Avec la fermeture des frontières, beaucoup de produits et de matériels qui doivent être importés ne peuvent plus être acheminés. Tout cela complique la donne.