Soudan: La guerre du Darfour vue à travers le procès d'Ali Kushayb - Le mode opératoire des Janjawids [3/3]

Depuis avril 2023, le Soudan connaît une nouvelle explosion de violence, opposant les Forces de soutien rapide (FSR) du général Hemedti à l'armée régulière du général et chef de l'État, Abdel Fattah al-Burhan.

Les FSR ont succédé aux milices Janjawids qui, au service du régime d'Omar el-Béchir, avaient semé la terreur au Darfour lors de la guerre de 2003-2004. Ali Mohamed Abd-el-Rahman [aussi connu sous le nom d'Ali Kushayb, NDLR], ancien chef du groupe paramilitaire, est actuellement jugé par la Cour pénale internationale (CPI) à La Haye pour crimes contre l'humanité et crimes de guerre. Mais quel était exactement le mode opératoire des milices Janjawids ?

Lors de la guerre opposant les rebelles à Khartoum, les attaques se déroulent selon un mode opératoire précis. Les forces gouvernementales lancent l'artillerie lourde, les « diables à cheval », les Janjawids, encerclent les villes et les villages et fondent sur les habitants. Ils tuent, ils pillent, ils violent, raconte l'un des survivants de l'attaque du 5 mars 2004 sur Deleig, au Nord Darfour.

« Ils sont venus à 4 heures du matin, ils ont utilisé l'artillerie lourde contre la ville, et ils ont tué plus de 165 personnes, ils ont pillé ou volé le bétail, ils ont tué des femmes et des enfants. Leur objectif était d'appauvrir la communauté locale. C'était le concept qui était adopté par les milices. »

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Les civils - notamment ceux des ethnies Four, Massalit et Zagawa - sont accusés de soutenir la rébellion. Ce même témoin, qui dépose sous pseudonyme et la voix déformée par mesure de protection, évoque ces rebelles : « Ils venaient dans les villages et lorsqu'ils faisaient face aux Forces armées, ils partaient et ils laissaient les habitants du village seuls avec le gouvernement, et le gouvernement considérait les habitants comme étant des rebelles ».

Les tribus non-arabes ciblées

Le pouvoir ne fait aucune distinction entre civils et insurgés. Et l'attaque des villages du Darfour fait clairement partie des objectifs du gouvernement. C'est écrit noir sur blanc sur l'un des éléments de preuve déposés par le procureur devant les juges. Un plan stratégique élaboré en 2003 par le Conseil national de sécurité à Khartoum. Le procureur Edward Jeremy en a lu les objectifs : « Objectif n°3 : "Imposer un contrôle sur tous les villages et les régions auxquels appartiennent les chefs des rebelles (four, zagawa, masalit)". »

Sont particulièrement ciblés les villages des chefs rebelles. Ce plan prévoit aussi l'élimination des Umdah, les chefs de communautés locales, explique encore le procureur Edward Jeremy.

« Au point n°2, on peut lire : "Exécuter des tâches précises, comme par exemple l'assassinat de chefs rebelles et des sympathisants parmi les chefs de la communauté ainsi que les représentants de l'administration locale". Comme vous entendrez des témoins vous dire, il s'agit là d'une référence à l'assassinat de chefs civils dans les tribus non-arabes du Darfour. Les Umdah, qui étaient des figures d'autorité auxquelles la communauté faisait confiance, représentaient les civils dans plusieurs villages. »

Une hiérarchie pas clairement définie

Si les objectifs de la campagne contre l'insurrection sont clairs, les lignes hiérarchiques sont en revanche plus difficiles à identifier, a estimé le chercheur Alex de Waal lors de sa déposition à La Haye : « Ils n'avaient pas un plan de bataille, un plan de campagne bien élaboré, ils improvisaient au fur et à mesure qu'ils progressaient. Et si les hommes de terrain commandaient telle ou telle unité et que ceux-ci allaient au-delà des ordres ou commettaient des abus, et bien il en était ainsi et ils étaient très rarement réprimandés ».

Il n'y avait pas de hiérarchie, affirme le chercheur, pas de ligne de commande, mais des miliciens capables d'ajuster leurs tactiques au fil des événements : « Ils établissaient la hiérarchie, la ligne de commandement et de contrôle au fur et à mesure... »

Les Janjawids ne sont pas formés au droit de la guerre, a aussi dit un témoin. Et leurs crimes sont depuis restés impunis.

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