Méthodique, réfléchie et rigoureuse, Samia Ben Abdallah Ben Khalifa ne fait rien dans la précipitation. Cette diplômée de l'École nationale d'architecture et d'urbanisme de Tunis, a lancé, en 2019, sa propre entreprise : AWA, pour « Architect with Artisan », une ligne de maroquinerie et divers accessoires.
Pour être sûre de réussir son projet, Samia a mis deux ans avant d'utiliser les fonds mis à sa disposition sept ans plutôt par Souk At-Tanmia.
Dans cet entretien, celle qui a été élue « femme entrepreneure de l'année 2021 » dans le secteur artisanat en Tunisie explique comment Souk At-Tanmia a favorisé le lancement de son business.
Hébergé par le Groupe de la Banque africaine de développement, Souk At-Tanmia a été créé en 2012 pour offrir un soutien concret en financement et en accompagnement sous forme de formation, de coaching, de mentorat, de services d'accès au marché et de réseautage aux promoteurs d'entreprise. Ce programme soutenu par le Groupe de la Banque et plusieurs partenaires a appuyé directement près de 800 entrepreneurs en Afrique du Nord (Égypte, Maroc et Tunisie). Souk At-Tanmia a été suivie en 2019 de EInA (Entrepreneurship Innovations and Advice - North Africa), une plateforme pour l'entrepreneuriat, l'innovation et le conseil au profit des primo entrepreneurs d'Afrique du Nord. EInA qui renforce l'action de Souk At-Tanmia a pour objectif de promouvoir, grâce à des innovations opérationnelles, les politiques publiques de soutien à l'entrepreneuriat, à la création d'emplois durables en Afrique du Nord.
Présentez-nous votre entreprise
Architect with Artisan confectionne des sacs et des bijoux inspirés de l'héritage architectural tunisien. Nos produits sont fabriqués localement par des artisans tunisiens, et avec des matières les plus durables possible. Ils sont notamment confectionnés avec des reliquats de cuir des grandes marques de luxe. Cette année, nous avons innové en utilisant des invendus de la fast fashion à travers la plateforme Indigo Tunisie, distributeur des marques Zara, Bershka, Celio en Tunisie. Nous avons depuis six ans, produit plus de 100 modèles de bijoux et maroquinerie, vendus dans cinq pays, auprès de 1500 clients.
Comment AWA a été fondée ?
J'ai participé à un appel à candidatures de Souk At-Tanmia en 2014-2015, lors de sa deuxième édition, et j'ai été finaliste. Cela a été pour moi un grand moment.
Cela étant, j'ai pris du temps pour peaufiner mon projet et, au bout de deux ans, je me suis lancée. Je voulais être sûre que j'allais dans une direction qui allait être fructueuse. À la base, j'ai proposé un projet de design autour d'accessoires de décoration de maison.
Chemin faisant, j'ai réalisé que ce n'était peut-être pas le besoin le plus important en Tunisie. En discutant avec les coachs de Souk At-Tanmia, je me suis rendu compte que ce qui marcherait le plus en Tunisie serait lié à la mode. J'ai pris cela comme un gros défi, et j'ai conçu ainsi mon premier sac. L'aventure dure depuis maintenant cinq belles années !
Parlez-nous davantage de cette attitude prudente ?
J'ai obtenu un don de Souk At-Tanmia, et je me sentais redevable de ceux qui avaient placé leur confiance en moi. En même temps, à l'époque, nous n'étions pas dans le marché le plus propice pour le design d'objets de décoration. L'enthousiasme des débuts de la Révolution tunisienne s'estompait. J'ai redéfini mon projet, et le fait d'être passionnée et convaincue qu'il y avait un marché pour soutenir mon concept m'a beaucoup aidé. Prudence et conviction ont appuyé ma démarche.
Il faut aussi réussir dans l'exécution, comment cela s'est-il passé ?
J'avais dix ans d'expérience en architecture. Cela m'a permis de développer des concepts alliant le design, l'esthétique, la culture, mais aussi la technique et la coordination de tout un réseau d'intervenants. J'avais une connaissance des moyens de production en Tunisie.
J'ai aussi reçu une formation de qualité avec Souk At-Tanmia, en développement de la stratégie, en marketing, en techniques de vente; une formation fort aboutie. L'écosystème tunisien a aidé. Beaucoup l'ignorent peut-être, mais en Tunisie, on ne manque pas de talents ni de moyens de production, dans le secteur du textile, de la mode, de la maroquinerie, etc. En artisanat, il y a un véritable savoir-faire, une chaîne de valeur innovante, de qualité.
Direz-vous que vous aviez au départ une âme d'entrepreneure ?
Probablement un peu. Je viens d'une famille dont la majorité est autoentrepreneure.
Pour ma part, je voulais trouver un travail à ma satisfaction, motivée par la volonté de faire les choses différemment, de faire autrement. Puis, en me lançant, j'ai été énergisée par les expériences des autres, par ceux qui nous encouragent, qui nous donnent de la reconnaissance, de la validation. J'ai été sélectionnée trois fois de suite pour la Fashion Week de Paris, un salon professionnel de haut niveau, et cela a été pour moi une grande reconnaissance et la confirmation que mes efforts allaient dans la bonne direction.
Comment se sont passées ces six premières années avec AWA ?
Globalement, elles ont été de belles années d'apprentissage d'un nouveau métier : faire du marketing, du commerce, de la communication, de la vente, sans oublier la partie production. Il faut renouveler les collections, bref c'est du test and learn, un apprentissage en itération. Maintenant, je pense avoir atteint une autre étape, avec une stratégie de plus grande ampleur, axée sur l'internationalisation. Il me faudra consolider des partenariats stratégiques à long terme avec des partenaires fiables et engagés et augmenter mon personnel, qui devrait passer d'une petite équipe de deux personnes à une dizaine d'employés.
Quels ont été les principaux défis au cours de ces six années ?
Les surprises positives sont plus nombreuses que les embûches. Les embûches, en fait cela devient le quotidien de l'entrepreneure. Notre rôle est de trouver des solutions. Un des grands plaisirs de ma nouvelle vie est les rencontres, hyper intéressantes sur le plan professionnel et humain, les partenariats sincères qui s'établissent. Une des clés pour moi est de m'entourer des bonnes personnes, qui aident à aborder les embûches avec confiance et sérénité.
Quels seraient vos conseils à une jeune femme qui envisage l'entrepreneuriat ?
Je lui dirais de capitaliser là où elle se différencie des autres. Ne pas faire ce qu'on fait déjà dans le marché visé; de développer quelque chose de vraiment unique. Aussi, de bien s'entourer, d'établir de bons partenariats, avec des ententes claires, bien balisées. Bien s'entourer veut dire obtenir l'appui de mentors, avec qui on parle régulièrement, avec lesquels on établit des échanges constructifs, stimulants.
Que sera AWA dans cinq ans ?
Notre marque sera distribuée à l'international. Elle sera une marque d'accessoires de mode d'inspiration méditerranéenne, qui fera un beau mélange des civilisations qui ont bâti son héritage, et avec une esthétique inspirante, engagée, contemporaine, actuelle.
AWA : https://awa.tn
LinkedIn : https://www.linkedin.com/in/samiab/
Instagram : https://www.instagram.com/awa.tunisia/
EInA : www.eina4jobs.org