Dans cet entretien accordé au journal de tous les Burkinabè, Sidwaya, l'inspecteur des impôts et actuel directeur général de l'ENAREF, Adama Badolo, par ailleurs ancien directeur général des impôts, apporte des éclairages sur le contenu de la convention fiscale qui liait le Burkina Faso à la France depuis 1967. Contrairement à ce que certains soutiennent, M. Badolo souligne que les entreprises françaises Orange SA, la MABUCIG, SAPHYTO, CFAO, le Groupe Bolloré, etc. payent leurs impôts au Burkina Faso comme n'importe quelle autre entreprise Burkinabè.
Sidwaya (S) : Le 7 août dernier l'Etat burkinabè a dénoncé une convention fiscale qui le liait à la France depuis 1967. Depuis, les interprétations du contenu de cette convention vont dans tous les sens. En tant qu'expert de la question fiscale, quel est le contenu réel de cette convention ?
Une convention fiscale entre deux ou plusieurs pays vise à éviter la double imposition sur les revenus des personnes et des entreprises. La convention fiscale entre la France et le Burkina a été signée, le 11 août 1965 et entrée en vigueur, le 15 février 1967. Elle a fait l'objet d'un avenant signé, le 3 juin 1971 et entré en vigueur ,le 1er octobre 1974. Elle vise à éliminer les doubles impositions en matière d'impôt sur le revenu, de droit de succession et de droit d'enregistrement. Les impôts sur les revenus concernés sont les impôts sur les revenus des personnes physiques et les impôts sur les sociétés. Sont principalement concernés par cette convention les citoyens (français et Burkinabè) et les entreprises (Françaises et Burkinabè) dont les activités s'étendent sur les territoires des deux Etats contractants. C'est le cas d'une entreprise qui est établie en France mais qui exécute des activités au Burkina Faso ou inversement. Les consultants individuels, les professions libérales peuvent être amenés à exécuter des activités dans les deux pays. Ne sont pas concernées par cette convention, les entreprises et les personnes physiques établies au Burkina Faso. En effet, les résidents d'un pays quelle que soit leur nationalité sont imposables dans ce pays. Les entreprises qui sont domiciliées au Burkina payent leurs impôts au Burkina quelle que soit la nationalité de leurs promoteurs. La convention fiscale établit également des règles d'assistance mutuelle administrative en matière fiscale entre les deux pays. Les autorités fiscales de chacun des Etats contractants transmettent aux autorités fiscales de l'autre Etat contractant les renseignements d'ordre fiscal qu'elles ont à leur disposition et qui sont utiles à ces dernières autorités pour assurer l'établissement et le recouvrement réguliers des impôts visés par la présente convention ainsi que l'application, en ce qui concerne ces impôts, des dispositions légales relatives à la répression de la fraude fiscale. Les Etats contractants conviennent de se prêter mutuellement assistance et appui en vue de recouvrer les impôts dus dans l'autre Etat.
Dans Sidwaya du jeudi 10 août 2023, il est ressorti que certaines entreprises françaises implantées au Burkina Faso, notamment « la société de téléphonie mobile Orange SA, la MABUCIG, SAPHYTO, CFAO, le Groupe Bolloré, etc. ne payaient aucun franc sur leurs revenus à l'Etat burkinabè du fait de cette convention fiscale ». Vous avez été à la tête de la DGI pendant plusieurs années, qu'en est-il réellement ?
La règle en matière d'imposition des revenus est qu'un contribuable est imposable dans le pays où il a son domicile fiscal. S'il est domicilié au Burkina Faso, quelle que soit sa nationalité, il payera ses impôts au Burkina Faso. Pour une personne physique, le domicile fiscal s'entend le lieu où elle a son foyer permanent d'habitation, là où elle a ses intérêts vitaux ou tout simplement l'Etat dans lequel elle séjourne le plus longtemps dans l'année. Pour les sociétés, l'administration fiscale se réfère à la notion d'établissement stable qui renvoie à une installation fixe d'affaires comme le siège social statutaire, une succursale, une usine, etc. Les entreprises que vous avez citées à savoir Orange SA, la MABUCIG, SAPHYTO, CFAO, le Groupe Bolloré, etc. sont des entreprises de droit Burkinabè. Leurs investissements sont d'origine française, mais ce sont des entreprises établies au Burkina et qui ont des registres du commerce Burkinabè. Elles payent donc leurs impôts au Burkina Faso comme n'importe quelle autre entreprise Burkinabè. Ce n'est donc pas juste de dire que ces sociétés ne payent aucun impôt du fait de la convention fiscale Franco-Burkinabè. Du reste, on se souvient qu'en début d'année, le Directeur général des impôts a traduit la reconnaissance de son institution à Orange Burkina qui a été le premier contributeur aux recettes fiscales en 2022. Toutefois, les administrations fiscales se doivent de rester vigilantes ; car ces entreprises peuvent être source de fraude ou d'évasion fiscale. En effet, du fait qu'elles sont liées à des promoteurs ou investisseurs étrangers, il y a un risque de transfert indirect de bénéfice entre société de même groupe sous forme de contrat d'assistance technique, de paiement de licence, etc.
Mais d'où vient cette confusion ?
Je ne pense pas qu'il y ait une confusion. Je pense tout simplement que c'est une méconnaissance des dispositions de la convention. Rappelons qu'en plus de la convention avec la France, nous avons la convention Burkina Tunisie du 15 avril 2003 et le règlement n°08/2008/CM/UEMOA qui tient lieu de convention fiscale entre les 8 pays de l'UEMOA. Nous avons également signé des conventions avec le Maroc, les Emirats arabes Unis et la Turquie, mais qui n'ont pas encore été ratifiées. Pour éviter des confusions, il faudrait tout simplement prendre connaissance des différentes conventions.
Avec cette dénonciation, le Burkina Faso peut-il s'attendre à d'importantes retombées, en termes de recettes fiscales supplémentaires ?
Oui sans doute. Mais je pense que les retombées ne sont pas trop importantes. Comme déjà indiqué, les entreprises françaises au Burkina payent leurs impôts au Burkina. Ce sont les entreprises françaises non résidentes, qui du fait de cette convention ne subissaient pas de retenue à la source sur les sommes qui leur étaient versées au Burkina. Si l'exonération n'est plus en vigueur, elles devront subir désormais la retenue à la source. C'est une analyse des exonérations accordées sur la base de cette convention qui peut nous permettre d'avancer des estimations chiffrées. Le risque de fraude ou d'évasion fiscale sera également réduit dans ce nouveau contexte. Ce n'est pas le principe d'une convention fiscale que le Burkina remet en cause. Le pays demande tout simplement qu'elle soit renégociée parce qu'elle a été signée il y a près de 60 ans et manifestement est désuète aujourd'hui. Sa relecture permettra de tenir compte de l'évolution et de la diversification des économies, de la mondialisation mais aussi de nouvelles réalités en matière de coopération fiscale comme par exemple la numérisation de l'économie. Nous devrons également pouvoir nous inspirer des travaux réalisés au plan sous régional et international en matière de conventions fiscales. On a par exemple des modèles de convention fiscale proposés par le Forum Africain des administrations fiscales (ATAF), l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) et les Nations unies.