La Table Ronde sur l'état de siège au Nord-Kivu et en Ituri, ouverte le lundi 14 août 2023 au Palais du Peuple par le chef de l'Etat, Félix Antoine Tshisekedi, va connaître son épilogue cet après-midi, dans le même site. Les participants étaient appelés à répondre à trois préoccupations majeures : la levée de l'état de siège, son maintien ou sa requalification.
En attendant que la « plénière » donne son verdict, nombre de compatriotes qui suivent avec attention les travaux de ce forum disent d'office « non » à l'option visant la levée de l'état de siège. A la limite, ils pourraient tolérer sa requalification, dans l'option de la correction des faiblesses de ce régime d'exception. Et pour cause ?
Beaucoup pensent qu'en dépit de ses faiblesses, l'état de siège a apporté globalement des résultats positifs à la République. Même si elle n'est pas totalement éradiquée, l'insécurité a fortement reculé. C'est notamment le cas dans la province de l'Ituri, où l'administration militaire contrôle pratiquement à 90 % la situation sécuritaire, politique, économique, sociale et culturelle. Les forces négatives locales ont adhéré, dans leur écrasante majorité, au P-DDRSC
(Programme de Désarmement, Démobilisation, Réinsertion Sociale et Communautaire) et participé aux consultations de Nairobi sanctionnées par la renonciation à la lutte armée, le retour à la vie civile, la reconnaissance de l'autorité établie, etc.
Entre autres avancées enregistrées grâce à l'état de siège en Ituri, il y a la relance des activités économiques, agricoles et autres ; la réouverture des axes routiers à la circulation des personnes et des biens, la reprise des activités scolaires et administratives, la mise en oeuvre du programme de développement des 145 territoires dans son volet consacré aux batiments administratifs, écoles et centre de santé, etc. La province de l'Ituri, contrairement à celle du
Nord-Kivu, est en train de renaître comme entité administrative du pays réunifiée, où les groupes armés sont de moins en moins nuisibles.
Nord-Kivu : les équations ADF et M23
S'il y a une province où l'état de siège tarde à produire les résultats escomptés en termes de lutte contre l'insécurité, le trafic illicite des minerais, de restauration de l'autorité de l'état, de «
libération des territoires occupés », c'est le Nord-Kivu. Il y a lieu de reconnaître au moins que l'état de siège a permis de cibler correctement les ennemis de la paix, à l'interne comme à l'externe. A l'externe, l'instrumentalisation des terroristes du M23 par le Rwanda ne fait plus l'ombre d'un doute. Mieux, l'implication du régime de Kigali dans les atteintes à la souveraineté nationale et à l'intégrité territoriale de la République Démocratique du Congo ainsi que dans le
pillage de ses ressources naturelles est clairement établie. Grâce à l'état de siège, les complicités internes dans la situation sécuritaire précaire qui prévaut au Nord-Kivu depuis plus de trois décennies, tant au sein de la classe politique, des institutions nationales et provinciales, des forces de sécurité et de défense que dans les milieux économiques n'ont pas fini d'être démasquées. En son temps, le président de l'Assemblée Nationale, Christophe Mboso, ne croyait pas si bien dire en sommant les députés nationaux parrains des forces négatives de faire amende honorable en les quittant.
N'eût été ce régime d'exception, on aurait jamais découvert la véritable face d'un député national comme Edouard Mwangachuchu, actuellement sous le coup des poursuites judiciaires au niveau de la Haute Cour Militaire. Et on aurait jamais su qu'il entretenait des caches d'armes dans ses résidences de Kinshasa et de Goma et qu'il se livrait, sous couvert de sa firme, la SMB (Société Minière de Bisunzu) à l'exploitation et l'exportation frauduleuse, vers l'étranger, d'un
minerai aussi stratégique que le coltan. C'est toujours grâce à l'état de siège que l'on a appris, au cours de son procès, que la sécurité de la concession de la SMB était assurée par d'anciens combattants du M23 et des policiers inconnus des fichiers officiels de la Police Nationale Congolaise.
Que dire de l'interpellation, à deux reprises, du président de l'Assemblée provinciale du Nord-Kivu, accusé d'être de mèche avec les rebelles du M23 ? Mais aussi de la dame mise aux arrêts et identifiée comme une de leurs pourvoyeuses en armes et munitions ? Dans la foulée de l'état de siège, plusieurs hauts galonnés de l'armée et de la police sont aux arrêts pour cause de haute trahison à la patrie.
Bref, grâce à l'état de siège, une nette démarcation est en train de s'opérer entre les vrais patriotes et les traitres à la cause nationale, à Kinshasa comme à l'Est de la République.
Levée de l'état de siège : crainte du pire Compte tenu de ce qui précède, des millions de Congolaises et Congolais craignent que la levée de l'état de siège ne replonge la partie Est du pays dans une situation sécurité pire que celle d'il y a deux ans avant l'entrée en vigueur de ce régime d'exception. Les conséquences immédiates d'une telle mesure seraient le retour en force
des groupes armés internes qui ont renoncé à l'usage des armes sous la pression, faut-il le souligner, des FARDC (Forces Armées de la République Démocratique du Congo), dont la montée en force est constatée au fil des jours et des semaines. La levée de l'état de siège serait, surtout, une porte largement ouverte aux velléités rwandaises d'occupation des territoires supplémentaires au Nord-Kivu, au-delà de celui de Bunagana, sur fond du business du sang, synonyme de pillage à une plus grande échelle des ressources naturelles congolaises et même de création d'un « micro-Etat autonome », dans la droite ligne de la fameuse République
du « Graben ». Elle laisserait également les coudées franches aux ADF, qui pourraient s'offrir des safaris meurtriers à travers le territoire de Beni. La levée de l'état de siège consacrerait, à la longue, l'incapacité du pouvoir de Kinshasa de sécuriser ses citoyens à l'Est et d'assurer la défense de son territoire. Ce serait le retour à un non-Etat, comme était le cas entre 1998 et 2003, sous les rébellions du RCD/Goma (Rassemblement Congolais pour la Démocratie) et du RCD-K-ML (Rassemblement Congolais pour la Démocratie-Kisangani-Mouvement de Libération). Au bout du compte, la balkanisation tant redoutée pourrait se mettre en marche, sans rencontre la moindre opposition.