Les Etats de départ de migrants irréguliers «doivent sortir de la gestion de la migration au profit d'une gouvernance des migrations». C'est le conseil du Professeur Aly Tandian, enseignant-chercheur à l'Université Gaston Berger de Saint-Louis, président de l'Observatoire Sénégalais des migrations sur la question de la migration irrégulière. Dans cet entretien, analysant le phénomène, avec des éléments de réponse, il relève que, pour le cas du Sénégal, les politiques et lois ayant montré leur limite, «une réponse aux migrations irrégulières ne devrait pas se limiter aux services du ministère de l'Intérieur et du ministère des Affaires Étrangères et des Sénégalais de l'Extérieur».
Comment expliquer les départs de plus en plus importants de candidats à la migration irrégulière ?
On peut parler de récidivité parce que pour des candidats à la migration irrégulière, voyager est une manière de manifester qu'ils sont des hommes d'honneur, avec une crainte par-dessus tout la honte. En clair, deux dimensions ressortent de leurs projets, la première touche la corporéité et renvoie à ce que nous appelons communément la pudeur, il s'agit du rapport à soi qui affecte les autres dans le sens où il suscite une réaction et la deuxième s'exprime au niveau de leurs interactions avec leurs pairs et leur communauté.
En fait, pour ces candidats à la migration irrégulière, voyager est comme : premièrement une charge émotionnelle, la recherche d'un bien-être personnel ; deuxièmement, une charge morale, suite aux pressions familiales et troisièmement une charge mentale face aux injonctions sociales. Ce sont des acteurs qui ont choisi ou à qui il a été décidé de migrer par devoir, pour l'honneur et par ou pour fierté.
Et pourtant les initiatives prises par l'État au plan juridique et sécuritaire devraient limiter les migrations irrégulières ?
Le Sénégal a élaboré un document appelé Politique Nationale de Migration validé techniquement en 2018 par des parties prenantes concernées directement ou indirectement, sous l'égide du ministère de l'Économie, des Finances et du Plan. Est-ce que c'est une politique migratoire ? A revoir car une politique n'est pas une compilation de lois et d'arrêtés ? En termes d'initiatives, il y a la loi n°71-10 du 25 janvier 1971 relative aux conditions d'admission, de séjour et d'établissement des étrangers au Sénégal et la loi n°2005-06 du 10 mai 2005 relative à la lutte contre la traite des personnes, pratiques assimilées ainsi que la protection des victimes. Seulement, leurs effets sont peu ou pas du tout manifestes. Plus récemment, un Comité Interministériel de Lutte contre l'Émigration Clandestine a été créé sur la base du décret n°2020-2393 du 30 décembre 2020.
Ce sont des initiatives qui encouragent la gestion, les procédés de sécurisation alors que la migration a besoin d'une réponse holistique. Une réponse aux migrations irrégulières ne devrait pas se limiter aux services du Ministère de l'Intérieur et du Ministère des Affaires Étrangères et des Sénégalais de l'Extérieur. Les agendas de nos États devraient aller au-delà de la gestion avec souvent des campagnes de sensibilisation peu adaptées et aux contenus désuets souvent faites dans des zones de départ et non aux zones d'origine.
Quelles réponses faut-il alors apporter aux migrations irrégulières face aux limites constatées ?
Il faut rappeler que nos États doivent sortir de la gestion de la migration au profit d'une gouvernance des migrations qui est un processus qui promeut la coordination entre différentes autorités et cadres juridiques de régulation migratoire afin d'apporter une réponse conjointe et coordonnée au phénomène et d'encourager la coopération internationale en la matière. Pour cela il nous faut des institutions que peuvent aider au développement de politiques migratoires en Afrique, offrir une vision claire sur la migration et déconstruire les idées reçues autour de la question des migration. C'est d'ailleurs la vision et la mission de l'Observatoire sénégalais des migrations. Il se veut, entre autres, fournir au Sénégal des données unifiées et centralisées sur la migration à des fins de recherche, de formulation et programmation des politiques migratoires et développer une meilleure connaissance des causes matérielles et immatérielles de la migration. Ce faisant, le Sénégal va arriver à élaborer des politiques d'offre d'emploi, d'insertion et de migrations basées sur des faits chiffrés tout en encourageant une migration de personnes souhaitant occuper un emploi saisonnier ou temporaire au sein de pays en manque de main-d'oeuvre dans les secteurs comme les services aux particuliers, l'agriculture, etc.