Madagascar: Pêche - Atsimo Andrefana - Entre monopole, menaces et espoir d'un avenir meilleur

La région Atsimo Andrefana, avec ses 530 km de côtes et une zone marine s'étendant à 380km depuis les côtes vers le canal de Mozambique, est gâtée par la nature.

On y recense quelque sept mille espèces rien que dans les eaux de cette partie sud-ouest du pays. Près de cent mille petits pêcheurs et d'une demi-douzaine de sociétés industrielles arrivent à vivre uniquement de la pêche. Ils font toutefois face à la disparition des ressources, à des formes de monopole et des alternatives qui sauvent un tant soit peu leurs revenus.

Il est 10 heures du matin à Anakao. Un bourg de pêcheurs devenu un village touristique, situé à soixante kilomètres de Toliara sur le littoral sud. Espérance, mère de famille de 32 ans, s'apprête à prendre une pirogue pour la ramener, elle et deux autres piroguiers, à destination de Toliara.

« Je fais du commerce de poissons. J'achète ces produits auprès des pêcheurs d'Anakao et je les revends à Toliara », raconte-t-elle. Espérance emmène deux soubiques moyennes de poissons d'environ 5 kg au total et a pour objectif d'atteindre le marché aux poissons de Mahavatse à Toliara. Elle dort au stationnement des pirogues à Mahavatse même, revend les invendus de la veille et dort une autre nuit à Toliara avant de revenir à Anakao. Elle refera le même parcours si elle trouve du poisson à vendre.

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Une autre mère de famille n'a pas eu la chance d'Espérance. Son pêcheur n'a obtenu qu'un seul poisson après être parti à 5h du matin du village d'Anakao. « Il n'y a plus assez de poissons dans nos mers, ils sont tous partis au large et le pêcheur avec qui je travaille n'a pas les moyens ni la possibilité d'aller pêcher au large », explique-t-elle. Pourtant, il y a eu des jours où elle a pu commercialiser des poulpes et des calmars, mais ce n'était tout simplement pas son jour de chance.

Plus au nord, dans la commune rurale de Tsifota, dans le district de Toliara II, soixante-dix-neuf personnes sont parties dans le Boeny. Hommes, femmes et enfants ont navigué pendant trente jours à bord de pirogues, pour rejoindre Mahajanga, la capitale de la région Boeny. « Les ressources halieutiques dans les eaux de Tsifota et environs ont disparu. Nous espérons en trouver ici dans le nord-ouest », argumentent-ils pour justifier leur départ de Tsifota.

Au large

« Où sont partis tous les poissons ? ». La question a été posée à des pêcheurs, à des chercheurs, à des scientifiques. Selon eux, les poissons n'apprécient plus leurs habitations et sont partis vivre ailleurs, plus loin des côtes. Pour d'autres, il n'y en a plus dans la mer. Les scientifiques avancent selon les données qu'ils possèdent, que les poissons peuvent revenir...

Des collecteurs en trouvent et exportent deux fois par mois en moyenne. Les poissons se sont particulièrement faits rares vers le début des années 2000, selon les explications de Roger Samba, président de Velondriake, une association de pêcheurs à Andavadoaka, une commune de pêcheurs située dans le district de Morombe. « La rareté des ressources s'est faite sentir vers l'année 2003. Un pêcheur qui avait l'habitude de revenir avec une dizaine de kilos de poissons n'en ramenait plus qu'un seul kilo.

Un bateau de pêche industrielle d'une capacité de 8 tonnes pouvait revenir deux fois par marée, il ne venait plus qu'une fois. Ceci était dû à la pression démographique de cette époque. Des agriculteurs venant d'autres districts se sont reconvertis en pêcheurs. Il n'y a plus assez de poissons pour tout le monde », explique-t-il.

Aire protégée marine

Son association, qui regroupe vingt-trois petites associations de 2500 pêcheurs actuellement, a été motivée par l'ONG Blue Ventures, à procéder au système de fermeture saisonnière de pêches. L'objectif étant la régénération des ressources et de l'environnement marin de celles-ci. Depuis 2006, Velondriake suit le concept et les milliers de pêcheurs arrivent quand même à trouver leur compte. « Il existe un arrêté de protection disponible depuis 2010 et plus tard un arrêté de mise en place d'aire marine protégée de 63985 ha dans les eaux d'Andavadoaka.

Nos pêcheurs restent jusqu'à aujourd'hui convaincus qu'il faut du temps pour les ressources pour se régénérer. Ce système de conservation concerne les récifs et les poissons. Une superficie importante est fermée invisiblement ou clôturée à l'aide de piquets pour signaler qu'il est interdit d'y pêcher. Si un maladroit intentionné s'y aventure, avec le Dina, il est sommé de payer au moins 100 000 ariary et de rembourser tout ce qu'il a pris, » détaille le président de Velondriake. Trois à quatre mois par an de réserve temporaire pour les poulpes par exemple et les noyaux durs de la mer restent des réserves permanentes.

Rose Garden

Le jardin rose ou Rose Garden est une réserve marine créée en 2011 dans la baie de Ranobe, district de Toliara II, entre Ifaty et Manombo, au nord de Toliara. José Randrianandrasana, doctorant en océanographie et biologie marine à l'Institut halieutique et des sciences marines (IHSM) de l'université de Toliara, avec des chercheurs étrangers, s'occupe d'un projet de restauration de la biodiversité et des récifs coralliens.

Artificial Reef Monitoring Structure (ARMS), consiste subtilement à collecter des plaques calcaires ou des débris de coraux déposés pendant une période de 12 mois sur une structure saine, pour être mariés par la suite à des récifs malades, pour que ces derniers redeviennent normaux. « Les récifs constituent l'habitat des poissons. C'est un laboratoire naturel pour les recherches, les médicaments, les éponges, les algues pour les plastiques ou encore le gel. Il convient de les sauver et de les restaurer. Il faut un minimum de cinq années pour un récif pour retrouver sa forme normale », explique le jeune scientifique.

Des fermiers de l'océan

L'Aquaculture villageoise durable. C'est le concept de la société Ocean Farmers, créée en 2017 à Toliara, pour répondre à la dégradation de la biodiversité marine, la surexploitation, et la diminution des ressources constatée dans la région Atsimo Andrefana. Ocean Farmers a alors vulgarisé l'algoculture dans trente-trois villages et collabore avec près de deux mille « fermiers de l'océan ».

Ces fermiers-ménages sont des pêcheurs mais sont incités à devenir des « fermiers de l'océan ». Des fermiers, car ils seront amenés à devenir des «agriculteurs» de mer, dotés d'un encadrement technique d'aquaculture. Ils sont également équipés en matériel et leurs productions sont ensuite achetées par la société elle-même pour être exportées. « Les techniciens de l'Ocean Farmers constatent la faisabilité de la culture d'algues à un endroit donné.

Ils proposent ensuite le projet aux communautés en insistant sur le caractère avantageux de l'aquaculture sur l'environnement, et des revenus qu'elles peuvent en tirer », explique Bien R., responsable de zone de la société Ocean Farmers à Anakao, district de Toliara II. L'algue rouge séchée est vendue 1500 ariary le kilo à Ocean Farmers et en 2022, 1400 tonnes ont été exportées en Chine.

D'autres pays comme la Tanzanie et Zanzibar sont parmi les pays phares en culture et en exportation d'algues. Madagascar ambitionne de tripler ses productions dans un avenir proche. Une autre société de pêche spécialisée dans l'élevage de concombres de mer, l'Indian Ocean Trepang (IOT) procède de la même manière. Elle fournit les juvéniles, du matériel aux fermiers et les animaux de 450 g de poids en moyenne lui sont ensuite vendus à 2500 ariary le kilo.

Rentabilité pour tous

Un ménage fermier gagne 600 000 ariary par mois pour l' élevage de concombres de mer à Andavadoaka et environs. Quarante ménages se répartissent en moyenne un territoire de 10 ha. Avec un système de calcul mis en place avec l'ONG Blue Ventures et les associations de pêcheurs et de fermiers, malgré des cycles de récolte allant de 9 à 16 mois pour les concombres de mer entre autres, les ménages sont toujours payés mensuellement par les sociétés avec lesquelles ils sont sous contrat.

La société Copefrito existe depuis 25 ans à Toliara. Elle fait le choix de se constituer en société de collecte et non de pêche car selon ses explications, la pêche doit être réservée aux pêcheurs appartenant notamment à l'ethnie Vezo de la région Atsimo Andrefana, qui sont dotés d'un savoir-faire exceptionnel en la matière. Copefrito se spécialise dans la collecte et l'exportation de poulpes, de crabes, de calmars et de poissons.

Les poulpes sont ses produits phares avec 300 t exportés par an. Pour Olivier Mérot, directeur des exploitations chez Copefrito, les poissons n'ont pas disparu. « Il reste encore des poissons dans les eaux. Je vous avance quelques chiffres pour justifier, avec 400 t de crabes de mangrove, 300 t de poulpes, 100 t de poissons et 70 t de calmars par an en moyenne. L'année où nous avons rencontré une certaine chute de collecte était l'année du Covid», explique-t-il.

Questions à... Paubert Mahatante Tsimanaoraty Ministre de la Pêche et de l'économie bleue - « Il n'y a pas de monopole »

- Les sociétés Ocean Farmers et IOT ont-ils un contrat d'exclusivité dans la région Atsimo Andrefana ?

Non. L'algoculture, l'élevage de concombres de mer, tout comme la pêche, peut être pratiquée par tout opérateur désirant le faire. Ces deux sociétés ont adressé une demande auprès du ministère de la Pêche et de l'économie bleue et nous leur avons accordé leur demande.

- Justement, d'autres opérateurs désirent acheter les algues à 7000 ariary, soit à un prix beaucoup plus intéressant. Mais ils ne peuvent pas les acheter. Comment expliquez-vous cela ?

Revendiquer les produits des pêcheurs qu'ils appuient. Parce qu'elles fournissent du matériel et des juvéniles et surtout des activités sûres à des milliers de pêcheurs.

- D'autres sociétés d'algoculture ou d'élevage de concombres de mer peuvent-elles encore entrer en contrat du même genre avec les pêcheurs ?

Oui bien sûr. Elles font une demande d'autorisation et elle leur sera répondue favorablement si le contexte le permet. Des paramètres sont toutefois à étudier. Il n'y a pas que Ocean Farmers et IOT, il y a MaproSud par exemple à Androka, Ampanihy, dont les sites d'exploitation sont non loin de ceux de l'Ocean Farmers.

Un avenir meilleur est-il possible pour la pêche dans l'Atsimo Andrefana ?

Faustinato Behivoke, docteur en océanographie, éco-développeur, spécialiste en restauration des récifs, livre son point de vue. « 60% de la couverture récifale sont actuellement constitués de débris de coraux, rien que dans la région Atsimo Andrefana. Nous avons tendance à oublier que la mer est une source de vie. Il n'y a pas que les arbres sur terre, il y a aussi les récifs à protéger dans la mer. C'est la principale source de vie des poissons, assurant un grand rôle dans l'équilibre de l'environnement marin. Les poissons partent quand leurs conditions de survie ne sont pas remplies.

La solution numéro une, à mon avis, est de solutionner l'ensablement des terres rizicoles, poussant les agriculteurs à se ruer vers la mer et à devenir des pêcheurs. Cette forte migration crée une forte pression sur la mer et tout son contenu. Deuxièmement, je propose de valoriser, par une politique à grande échelle, la restauration des récifs, en quadruplant les activités menées en ce moment, qui ne sont qu'une goutte d'eau dans la mer par rapport aux dégâts subis par les récifs.

Ceux-ci peuvent être causés par des cyclones, El Nino, les tempêtes et surtout le piétinement. A titre d'exemple, sur 2232 km 2 de superficie récifale, 1100 km 2 sont des récifs morts. Tout peut disparaître d'ici 2050 si rien n'est fait. Troisièmement, je suis en faveur de l'aquaculture car c'est un des moyens efficaces pour conserver et préserver l'environnement marin. Il y a toujours un surplus de biomasse dans cet environnement où l'aquaculture est pratiquée.

Enfin, il est temps de valoriser au mieux la place de la Recherche, avec un grand R, d'où ont découlé les brevets de reproduction, les pyramides aux poissons, le grossissement en milieu naturel. La mise en place d'usines d'exploitation et de valorisation locales des algues et concombres de mer serait un bon sujet de recherche ».

Monopole « déguisé »

À Andavadoaka, une femme entrepreneur veut acheter les algues rouges séchées des fermiers de l'océan. Elle propose le triple du prix pour un kilo acheté par Ocean Farmers. D'autres collecteurs courtisent les pêcheurs fermiers pour qu'ils leur vendent des concombres de mer à 6000 ariary le kilo. Mais ces collecteurs « externes » n'arrivent pas à se faire entendre.

« Nous ne pouvons vendre nos produits à d'autres opérateurs car nous sommes sous contrat avec Ocean Farmers et IOT », explique alors un fermier. Israël John Bunyan, Science senior officer auprès de l'ONG Blue Ventures, rdéfend la cause de la conservation derrière cette forme de monopole. « Les autres collecteurs ne s'impliquent pas dans le processus bien rôdé de la valorisation des ressources locales alors que l'élevage soigné de concombres de mer entraîne une régénération de l'environnement marin, dont l'importance est inculquée aux pêcheurs », détaille-t-il.

Les sites font toutefois face à des collectes illicites de concombres de mer sauvages. « Oui, les offres des autres sociétés sont tentantes et alléchantes, vu que nous pouvons gagner le double, voire le triple de ce que nous obtenons avec Ocean Farmers ou IOT, mais nous sommes liés par contrat », confie un pêcheur à Ambatomilo, district de Morombe.

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