Burkina Faso: Gare routière de Boromo - Des « escales santé » dans des conditions peu hygiéniques

La gare routière de Boromo, à mi-chemin entre Ouagadougou et Bobo-Dioulasso, est un carrefour emblématique de la route nationale 1. En ce lieu, convergent la plupart des compagnies de transport qui fréquentent le tronçon, pour des escales de quelques minutes. Nous avons passé quelques jours en ce mois de juin 2023 au sein de cette gare routière pour y observer les conditions d'hygiène des mets proposés aux usagers.

Située sur la route nationale 1 (RN1) à 180 Km de la capitale, Ouagadougou et à 185 Km de la deuxième ville du pays, Bobo Dioulasso, la gare de Boromo est une escale de choix pour de nombreux voyageurs, presque un rituel. Elle offre une pause pour se dégourdir les jambes ou casser la croûte. Ce 20 juin 2023, peu avant 18 heures, un minibus, communément appelé "Dina" estampillé "Gaoua-Boromo" fait son entrée à la gare.

Une mère, Awa Barry et sa fillette d'environ trois ans mettent pied dans le chef-lieu de la province des Balés. Elles viennent d'arriver de Founzan (NDLR : commune rurale de la province du Tuy). A peine sont-elles descendues qu'elles songent à se mettre quelque chose dans le ventre comme bien d'autres passagers. Les voyageurs sont accueillis par « une horde de vendeuses », assiettes en main ou sur la tête.

Les voix s'entremêlent, c'est à qui se fera le plus entendre pour vendre du sésame, des cacahuètes, du jus et autres fruits. Pour ce qu'il en est de la croûte, les usagers de la gare peuvent avoir l'embarras du choix entre la marinade d'avocat, du sandwich de viande hachée ou de poisson, des frites de pomme de terre ou de l'alloco (frite de banane plantain), des brochettes de soja, de la volaille frite, de la viande rôtie...

A quelques pas du véhicule "Dina", une table mobile vient d'être dressée, sur laquelle sont déposés un bac en plastique contenant des brochettes de soja et trois bocaux sans couvercles à la merci des mouches contenant l'assaisonnement. L'air de la gare est empreint du fumet s'élevant des monticules de viande et des dorures des poulets. Tel un restaurant à ciel ouvert, ces victuailles donnent envie au premier coup d'oeil. Awa Barry et sa fille n'ont pas trainé à faire leur choix.

De la brochette de soja pour l'une et de la viande grillée pour l'autre. A chaque achat, la vendeuse de soja, Nafi Tiago, trempe les brochettes dans l'un des bocaux avant de les passer aux clients. La part de la fille d'Awa Barry suit le même procédé. En califourchon sur la hanche de sa mère, la petite fille se saisit des deux mains du bâton de soja que la vendeuse lui tend.

Les yeux pétillants, elle le porte avidement à la bouche. La maman dandine d'impatience sur un pied, le regard absorbé par les morceaux de viande de boeuf que le boucher fait revenir sur sa grille artisanale. Derrière le vendeur, à une dizaine de mètres, se trouve le petit coin. Trois latrines à usage commun, dont les rebords ne dessèchent presque jamais de matières fécales posées par des usagers indélicats ou trop pressés.

Une aubaine pour les mouches qui s'y rendent quand elles ne trainent pas sur les fritures et autres mets servis aux clients. La vendeuse de soja, Nafi Tiago, ne semble avoir cure non plus de ces mouches qui ne cessent de promener leurs pattes sur ses brochettes de soja. Entre deux services de brochettes, les mains nues de l'adolescente de la classe de 6e se baladent sur presque tout.

Réception de l'argent des mains du client par ci, coquetterie par là. Le cas de cette petite vendeuse n'est pas isolé. Dans ce milieu fourmillant où l'air transporte facilement poussière et fluide corporel, l'hygiène semble être reléguée au second plan. La préoccupation principale des vendeurs est d'écouler le plus de marchandise possible. A l'image de la jeune mère et son enfant, les voyageurs pressés ou fatigués remarquent à peine ces petits détails au-delà de la texture appétissante, semble-t-il, de ces mets.

Passées quelques minutes, le chauffeur du "Dina" donne des coups de klaxon et Awa Barry reçoit finalement sa commande de viande, servie dans du papier ciment. Elle s'engouffre avec sa fillette dans minibus qui vrombit déjà au loin.

Escale inévitable

Quelques minutes après, un car en provenance de la capitale pénètre l'enceinte de la gare. Parmi la dizaine de passagers qui descendent à l'assaut des cuvettes grasses et dorées ou pour satisfaire un besoin naturel, il y a cette dame, avec ses trois enfants. Elle s'empresse de rejoindre le grilleur de viande le plus proche. Munie de son sachet noir, elle s'arrête ensuite devant une vendeuse de poulet puis en face d'une autre qui propose de la salade d'avocat macérée d'huile.

Dans l'intervalle du temps de la pause, elle fait la ronde de quelques vendeurs de grillade et de friture et s'en retourne avec ses enfants vers le véhicule de voyage, les mains chargées des sachets noirs de leur prochain buffet. « J'ai bien regardé avant d'acheter. Il n'y a pas de problème », nous lance-t-elle avec le sourire en réponse à notre question de savoir si elle s'est préoccupée de l'hygiène au cours des achats.

Véritable plaque tournante des compagnies de transport de voyageurs sur les axes Ouaga-Bobo, Ouaga-Gaoua, il faut compter, en plus des "Dinas", la présence de plusieurs sociétés de transport. Actuellement, il y en a six (FTS, STAF, TSR, CTROF, RAKIETA et 2NI) qui, avec des véhicules de 55 à 65 places assises, font escale au moins cinq fois par jour dans l'enceinte.

Ce sont donc des centaines, voire des milliers de voyageurs qui défilent au sein de la gare par jour. Certains voyageurs en ont fait une escale "à ne pas manquer" avec, en ligne de mire, la marque des lieux, le "poulet de Boromo". Une condition de voyage pour la vieille Gogo, une habituée du trajet Ouaga-Bobo. « Tous mes enfants et petits-enfants me connaissent.

Celui qui sait qu'il ne peut pas m'offrir l'argent du poulet de Boromo, inutile de prendre mon ticket parce que je ne vais pas voyager », confie- t-elle. Le jeune orpailleur Amado Sebgo aussi a le même attachement pour la gare de Boromo. Depuis 2011, l'année à laquelle il a répondu à l'appel de l'or, écumant des sites d'orpaillage autour de Boromo et dans le Sud-Ouest, il transite toujours par cette gare routière.

Adama a toujours fait son choix entre du poulet frit, de la viande grillée ou un plat de riz, selon son humeur, sa gourmandise ou sa poche. Durant ces 12 années pendant lesquelles il fréquente la gare de Boromo pour rendre visite à sa famille à Titao ou retourner glaner de l'or, il s'est toujours offert ce plaisir et assure avoir été satisfait à chaque fois.

Absence d'hygiène chez certains vendeurs

Contrairement à lui, tout le monde n'a pas toujours un souvenir agréable du "poulet de Boromo". Mariétou Sakho se rappelle encore de la diarrhée et les coliques qui l'ont conduite en consultation après s'être fait plaisir lors d'une escale à Boromo. « C'était des brochettes de viande que j'avais achetées », se souvient-elle.

Désormais, elle ne s'autorise à prendre que de l'eau lorsqu'elle est de passage dans la gare routière. Avec Clarisse Dabiré, l'amère expérience s'est faite avec des oeufs avariés. « J'ai acheté des oeufs bouillis, mais ils étaient tous pourris », raconte-t-elle. Des expériences négatives similaires existent diversement et certains citoyens les répandent sur les réseaux sociaux. Les principaux acteurs se disent bien conscients des récriminations.

« On entend les plaintes de certains clients sur l'hygiène au sein de la gare ici à Boromo », avoue Barkissa Yé, gérante d'un commerce de friture et de boisson. Mais, pour elle, tous les vendeurs ne sont pas à blâmer. Elle assure veiller, pour sa part, à bien cuire le poulet. De plus, elle conserve les restes dans un réfrigérateur et les repasse dans l'huile chaude le lendemain avant de les vendre.

« Ce qui n'est pas le cas chez d'autres qui ne prennent pas ces précautions », glisse-t-elle. « Certaines vendeuses n'ont pas de frigo. Quand les clients achètent chez ces commerçantes et qu'ils constatent que ce n'est pas de la bonne viande, ils accusent tout le monde, pourtant, ce n'est pas le cas. Chacun organise son commerce comme il peut. Mais chez nous, on ne vend pas de la viande faisandée. », précise Mme Yé.

La vendeuse assure avoir participé à des séances de formation sur l'hygiène alimentaire. Elle a organisé son commerce de telle sorte que les étals sont placés devant, tandis que l'intérieur sert de cuisine. En guise d'étal, c'est une table métallique sur laquelle sont disposés une caisse vitrée exposant de la friture de pomme de terre et de l'alloco, ainsi que deux grands plats remplis de poulets frits exposés à l'air libre, sans aucune protection. «

Quand on met les poulets chauds dans la vitre, ça se décompose d'ici le soir. Nous on couvre plutôt avec du sachet transparent et on découvre quand des voyageurs arrivent », fait-elle remarquer. Son point de vue est partagé par la responsable du regroupement des vendeurs de grillade et friture au sein de la gare, Zara Konaté. « Certaines femmes le prennent mal lorsque pendant nos réunions, j'invite les vendeuses à couvrir les mets. Elles trouvent que ça nécessite des investissements et, selon elles, c'est parce que ça va chez moi que je parle ainsi », confie la responsable du regroupement.

Regard tourné vers les autorités municipales

Tout de même, l'attitude ambivalente des clients par rapport à l'hygiène, suscite de l'incompréhension chez Zara. « J'avais pris une caisse vitrée pour mettre mes poulets, mais j'ai dû abandonner, car cela joue sur mes recettes. Sur cent personnes à peine, cinq achetaient encore mes poulets. Les clients s'orientaient vers les vendeuses qui exposent leurs poulets sur des assiettes non couvertes », admet-elle.

Ce que le Médecin-chef du district sanitaire (MCD) de Boromo, Kiswendsida Hyppolite Bouda, explique l'absence de culture de l'hygiène de façon générale au sein de la population. « Si on est propre à la maison, c'est sûr qu'on ne va pas accepter de consommer dehors ce qui n'est pas propre. Mais si déjà à la maison on n'a pas de considération particulière sur la propreté, le comportement suivra dehors », souligne-t-il.

Selon le MCD, les formations sanitaires de Boromo enregistrent quelque fois des cas de fièvre typhoïde et un certain nombre d'infections digestives assez fréquentes qui peuvent être liées à un problème d'hygiène au sein des populations. « Si on ne pratique pas bien l'hygiène des mains, on peut vraiment s'infecter », insiste M. Bouda.

La zone de Boromo a d'ailleurs été choisie pour une étude conduite par l'Institut de recherche en sciences de la santé (IRSS) sur la prévalence de la fièvre typhoïde et son lien éventuel avec les conditions de vie et les modes alimentaires. La mairie de Boromo, organe dirigeant de la gare, à travers le Président de la délégation spéciale (PDS) communale de Boromo, Isaïe Wenonga Bamogo, dit entendre les critiques portées envers la gare, notamment sur la qualité de la nourriture qu'on y vend.

« En toute sincérité, pour l'hygiène, il reste beaucoup à faire. Nous-mêmes, nous constatons lors de nos sorties que la question d'hygiène n'est pas suffisamment respectée », avoue l'autorité municipale. M. Bamogo reconnait en outre que les services techniques n'ont pas diligenté de contrôle sur l'hygiène alimentaire au sein de la gare au moins depuis qu'il est aux commandes, en janvier 2023.

Selon le directeur des services techniques municipaux de la commune de Boromo, Amadou Kaba Zerbo, un comité composé, entre autres, de représentants du district sanitaire, des services de l'élevage, de l'agriculture, de la police et de la mairie existait avec la mission de veiller à l'hygiène des aliments dans la commune à travers des sorties d'inspection.

« Seulement, les bouleversements institutionnels successifs ont eu raison de cette structure, laissant les mauvaises habitudes reprendre le dessus », déplore-t-il. Aussi, en l'absence de réglementation et de surveillance, la gare routière de Boromo subit donc les conséquences du désordre qui y règne. Des conditions qui ont conduit des compagnies et non des moindres, à supprimer l'escale de Boromo dans leur trajet.

C'est le cas notamment des sociétés comme TCV, Rahimo, Elitis et les cars de haut standing de la compagnie FTS. La compagnie Saramaya s'est, quant à elle, déportée depuis la fin d'année 2019 sur son propre site aménagé à l'entrée de la ville côté Est. Selon le chef de gare à Boromo de la compagnie Saramaya, Issouf Ouédraogo, la décision de la compagnie de quitter la gare routière s'explique par un certain nombre de raisons : désordre, insécurité, manque d'hygiène, insalubrité.

« La plupart de nos clients n'aiment pas les emmerdements et certains se plaignaient à notre niveau », explique-t-il. Ces "défections" ont créé des manques à gagner que les vendeuses de la gare routière ressentent directement sur leurs recettes. « Depuis que plusieurs compagnies ont arrêté de rentrer dans la gare, cela a réduit nos gains. On pouvait vendre 60 poulets par jour dans le temps, mais actuellement, on est autour de 30 par jour et cela en fonction de la période du mois », note Barakissa Yé. Un avis soutenu par Zara Konaté qui a vu son chiffre d'affaires chuter également de moitié.

« Sauver » la gare routière

D'où l'urgence, pour les responsables communales de rectifier le tir et la délégation spéciale clame volontiers ses objectifs vis-à-vis de la plateforme. Pour le PDS, « la gare est plus qu'une infrastructure marchande, elle est devenue comme un patrimoine culturel, c'est pour cela d'ailleurs qu'il faut la défendre vaillamment. Boromo est tellement rattaché à la gare, c'est l'identité de la commune comme cela », relève le chef de l'exécutif communal.

Au-delà de ces considérations d'ordre économique, le PDS note qu'il y a aussi un enjeu de santé publique qui exige qu'il soit mis fin au désordre. « Nous sommes en train de travailler pour remettre de l'ordre et ce sera en collaboration avec les agents de santé », nous assure-t-il, lorsqu'il nous reçoit dans son bureau le 19 juin 2023.

Le processus de reprise en main de la gare passe par l'application de mesures strictes : filtrage des entrées, interdiction des engins autres que les véhicules de transport, nettoyage quotidien et enlèvement des déchets, interdiction aux vendeuses de se déplacer avec leurs marchandises pour harceler les voyageurs, interdiction d'entrée aux mendiants... en vue de mettre fin à l'indiscipline qui y règne.

Ces mesures ont d'abord été expliquées aux acteurs eux-mêmes qui se montrent en phase avec. « Depuis quelque temps, il y a effectivement un certain ordre qui règne au sein de la gare. Les tricycles ne rentrent plus au hasard et les vendeuses ne se promènent plus comme elles le veulent pour poursuivre les clients. On voit que l'ordre nous profite à tous », confirme le chef de guichet de la compagnie TSR à la gare de Boromo, Dramane Simporé.

D'autres actions sont prévues pour permettre à la gare de retrouver sa superbe, la délégation spéciale envisage par exemple des travaux pour faciliter le drainage des eaux de pluie. A terme, le comité d'hygiène sera aussi reconstitué pour réaliser des inspections régulières sur les aliments vendus, promet le PDS. Isaïe Bamogo tient à parvenir au bout de ce processus avec, à terme, une gare routière qui fait la fierté de tous.

L'initiative est soutenue par le haut-commissaire des Balés, Ibrahim Boly, qui talonne pour qu'elle aboutisse. Seulement, en filigrane, il y a le spectre des échecs de tentatives similaires pour ramener l'ordre et l'hygiène au sein de la gare. En tout état de cause, les autorités actuelles comptent sur leur « casquette neutre » pour rallier toutes les sensibilités de la province à la nécessité de « sauver la gare de Boromo ».

Le PDS espère que ces mesures visant à ramener l'ordre et l'hygiène seront effectives d'ici la fin de cette année 2023. La délégation spéciale réussira peut-être à discipliner les vendeuses au sein de la gare et à leur faire respecter les règles d'hygiènes. Mais, à l'évidence, les autorités régionales devront affronter une autre problématique : le travail des enfants.

Car à défaut de pouvoir "harceler les voyageurs" à l'intérieur de la gare en soutien à leurs mamans, de petits enfants de 7 ou 8 ans prennent d'assaut désormais la ville de Boromo, munis de paquets de mouchoirs ou d'assiettes d'arachides et de sésame, à la recherche de l'argent qui servira à payer leur scolarité, des habits de fête ou autre besoin.

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