Tunisie: Interview de Son Excellence l'ambassadeur de Malte, M. Simon Pullicino - « Entre Malte et la Tunisie, il existe bien plus qu'une proximité géographique et historique »

18 Août 2023
interview

« Pour conclure sur une note plus personnelle, je quitterai mes fonctions dans quelques jours. Nous (mon épouse et moi) tenons énormément à remercier le peuple tunisien pour son accueil et son hospitalité »

Depuis des siècles, les liens entre Malte et la Tunisie ont été tissés par une histoire commune et une proximité géographique qui ont façonné une relation profonde et complexe. Cependant, malgré cet héritage solide, il est souvent perçu que les relations culturelles et économiques actuelles ne sont pas à la hauteur de ce riche passé. Dans une interview exclusive accordée au journal La Presse le 14 août 2023, son excellence l'ambassadeur de Malte en Tunisie, M. Simon Pullicino, qui arrive au terme de son mandat, a partagé des perspectives passionnantes sur les connexions entre ces deux nations et les efforts actuels pour renforcer leur collaboration dans divers domaines.

-D'abord, l'Histoire qui lie Malte à la Tunisie est très forte, mais nous avons l'impression que les relations culturelles et économiques, aujourd'hui, ne sont pas à la hauteur de ce passé qui nous lie.

Certainement, il existe entre les deux pays bien plus qu'une proximité géographique et historique.Des liens humains, culturels et linguistiques les rapprochent. Nous partageons beaucoup de choses et pas seulement notre voisinage. Actuellement, la Tunisie est le seul pays d'Afrique du Nord avec lequel nous avons des vols réguliers et directs, ce qui facilite les échanges sociaux et économiques. Nous entretenons également des relations commerciales équitables, ainsi que des liens d'a aires étroits. Ces liens nous fournissent plus qu'une base solide pour oeuvrer ensemble dans l'intérêt de nos deux peuples.

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Bien que le Covid ait certainement ralenti nos efforts, nous avons assisté au cours des derniers mois à une intensification des visites de haut niveau qui visent à pousser les relations politiques, économiques et culturelles à la hauteur de nos objectifs. La récente visite en Tunisie du Premier ministre de Malte et la délégation qui l'a accompagné est une preuve de cette volonté. Le Premier ministre maltais a assuré que Malte se tenait aux côtés du peuple tunisien en ce moment crucial de son histoire.

-Quels étaient les objectifs de cette visite officielle en Tunisie et croyez-vous qu'ils ont été atteints ?

Le Premier ministre, Robert Abela, a effectué sa première visite officielle en Tunisie le 10 juillet dernier en vue de transmettre un message d'amitié et de solidarité. Il était accompagné de Son Excellence Dr Ian Borg, ministre des A aires étrangères et européennes et du Commerce, qui a également rencontré son homologue tunisien, Nabil Ammar, et Dr Byron Camilleri, ministre de l'Intérieur, de la sécurité, des réformes et de l'égalité. Cette visite a eu lieu quelques jours avant celle de la présidente de la commission européenne, Ursula von der Leyen, de la Première ministre italienne, Giorgia Meloni, et du Premier ministre des Pays Bas, Mark Rutte avec la signature du protocole d'accord entre l'UE et la Tunisie.

En plus de l'audience qu'il a eue avec le Président S.E. Kais Saïed, une séance de travail a été tenue, coprésidée par la Cheffe du gouvernement tunisien. Les deux parties ont examiné de nombreux axes de la coopération, notamment, dans le domaine de l'employabilité des jeunes, le tourisme, le commerce, la conservation des eaux, la culture, l'industrie, l'économie verte et l'immigration. Ce qui est clairement ressorti de ces entretiens, c'est la volonté des deux parties de s'engager dans des discussions approfondies sur un certain nombre de sujets d'intérêt mutuel qui devraient déboucher sur des accords concrets au cours des prochains mois

-L'un des principaux drames de notre monde, aujourd'hui, est sans aucun doute la migration des populations, forcées par la guerre, la misère et le changement climatique au péril de leurs vies. La politique européenne, basée principalement sur une approche sécuritaire (certes avec des programmes de développement) a montré ses limites, et n'a pas permis d'endiguer le phénomène. L'heure est-elle venue pour l'UE de reconsidérer sa politique en Méditerranée ? Notamment en ouvrant davantage les frontières ?

Malte a toujours plaidé en faveur d'une politique migratoire juste, fondée sur une double approche ; que les véritables demandeurs d'asile bénéficient d'une protection tandis que les personnes qui n'ont pas le droit de rester dans l'UE doivent être rapidement renvoyées dans leur pays d'origine. À cet égard, Malte demeure préoccupée par l'augmentation significative des flux migratoires à travers la route de la Méditerranée centrale. Notre région connaît des vagues de migrations irrégulières sans précèdent et on ne peut trouver une solution radicale à ce phénomène que si nous travaillons main dans la main. Nous devons intensifier collectivement nos efforts pour s'attaquer aux causes profondes, grâce à des partenariats globaux et stratégiques avec les principaux pays d'origine et de transit. En particulier, nos voisins du sud, y compris la Tunisie et la Libye, devraient disposer des capacités nécessaires pour gérer leurs flux irréguliers et démanteler les réseaux de passeurs.

La coopération avec ces pays ne devrait pas se limiter à la sphère migratoire, mais s'étendre à d'autres secteurs qui présentent un intérêt mutuel pour toutes les parties concernées. Le récent protocole d'accord entre l'UE et la Tunisie devrait servir d'exemple et ouvrir la voie à d'autres accords similaires. Nous devons être à l'écoute des besoins des principaux pays d'origine et leur fournir les investissements nécessaires pour que les jeunes puissent construire un avenir dans leur pays, au lieu de risquer leur vie en s'embarquant dans un voyage périlleux. Nous devons offrir à ces pays des incitations à coopérer efficacement sur les rapatriements qui dépassent l'impact positif des envois de fonds.

Malte se félicite des efforts déployés par la Tunisie, en tant que coordinitiatrice du Processus de Rome et salue l'initiative de la présidente du Conseil italien Giorgia Meloni d'avoir organisé cette conférence en Italie le 23 juillet dernier. La conférence s'est tenue en présence de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, du président du Conseil européen, Charles Michel et de plusieurs dirigeants des pays de la rive sud de la Méditerranée. La participation du Premier ministre maltais confirme que Malte est aussi engagée dans ce processus qui vise à apporter une solution globale à cette question complexe

-La Tunisie fait face à une crise économique sans précédent, que peut faire Malte de par sa position de pays membre de l'UE pour aider la Tunisie à traverser cette mauvaise passe ?

En tant que pays membre de l'UE, Malte continuera de suivre de près les développements en Tunisie et de soutenir les Tunisiens, afin de surmonter cette crise socioéconomique en se basant sur le principe du partenariat égal. Notre pays soutient aussi un dialogue politique renforcé au sein du conseil d'association UE-Tunisie pour donner une nouvelle impulsion aux liens politiques et institutionnels.

Malte se félicite des récentes visites européennes de haut niveau en Tunisie et de la signature du mémorandum d'entente sur le partenariat stratégique et global qui repose sur 5 piliers, à savoir la stabilité macroéconomique de la Tunisie, le commerce et l'investissement, la transition énergétique verte, le rapprochement entre les peuples, et la migration et la mobilité. Les nombreux échanges ainsi que les domaines de coopération évoqués dans ce mémorandum d'entente témoignent de l'importance qu'accorde l'UE aux relations avec la Tunisie et son désir de consolider ces liens dans l'intérêt mutuel des deux parties.

-Vous quittez la Tunisie au terme de votre deuxième mandat, quel est votre bilan des 3 années passées dans notre pays ?

J'ai eu l'honneur et le privilège d'occuper le poste de Chef de mission adjoint et Consul durant la période 2003-2008 puis en tant qu'ambassadeur durant les 3 dernières années. Les visites de haut niveau des deux côtés se sont succédé au cours de cette année. Je rappelle à ce titre, la rencontre à Genève, en juin dernier, entre le président de Malte, George Vella et l'ancienne Che e de gouvernement tunisien, en marge des travaux du Sommet sur le monde du travail et la visite de travail et la participation de M. Mounir Ben Rjiba, secrétaire d'État auprès du ministre des Affaires étrangères, à la deuxième session de la Conférence ministérielle de haut niveau de l'Initiative de développement durable pour l'économie bleue en Méditerranée occidentale (West MED à La Valette) au cours du même mois.

Dans le cadre du renforcement de coopération dans le secteur de l'industrie pharmaceutique, le ministre du vieillissement actif, Dr Joe Etienne Abela, responsable aussi de l'autorité pharmaceutique, a effectué, en juin, une visite en Tunisie. Une séance de travail s'est tenue avec le ministre de la Santé, Ali Mrabet, portant sur les moyens de renforcer la coopération bilatérale où ils se sont mis d'accord pour intensifier la collaboration dans les domaines de la réglementation pharmaceutique et de la gériatrie.

En outre, S.E. Marie- Louise Colerio Preca, ancienne présidente de la République de Malte et présidente des organisations Euro Child et the Mediterranean Children's Movement, a rencontré au mois de mai dernier, la ministre de la Femme, Mme Amel Bellhaj Moussa, et a souligné sa disposition à approfondir la coopération dans le domaine de l'enfance. Cette rencontre témoigne encore une fois des valeurs communes qui unissent les deux pays. Par la même occasion, l'ancienne Présidente a reçu le prix - Fatima Fihriya en récompense de ses efforts en matière d'autonomisation de la femme et de promotion de l'enfance.

Sur le plan économique une délégation tunisienne composée de près d'une trentaine d'entreprises a participé à une mission économique multisectorielle à Malte en mai 2022, à l'initiative de la Conect, Malta Entreprise et la Chambre de Commerce et d'Industrie de Malte. Sur le plan éducatif, il y a eu des programmes de bourses au profit des étudiants tunisiens et la signature de deux protocoles d'accord entre l'Université de Malte et l'université d'El Manar et l'Université de la Manouba.

Côté culture, notre pays sera présent lors du Festival du fi lm européen qui se déroulera durant le mois de novembre prochain, grâce à la projection du fi lm maltais « Luzzu » d'Alex Camilleri.

J'ai le plaisir de vous informer que la fi n de mon mandat sera marquée par l'accomplissement de mon vœu le plus cher qui est de contribuer à immortaliser cette amitié entre nos deux peuples. En e et, un livre dédié à la communauté maltaise qui a vécu en Tunisie durant les 19e et 20e siècles et qui a pour titre « Minn Marsa gh̵al Marsa » vient d'être publié.

Et pour conclure sur une note plus personnelle, je quitterai donc mes fonctions dans quelques jours. Nous (mon épouse et moi) tenons énormément à remercier le peuple tunisien pour son accueil et son hospitalité. Nous avons eu un immense plaisir à travailler et surtout à vivre en Tunisie et nous reviendrons certainement comme touristes pour profiter de ce beau pays et surtout pour rester en contact avec nos chers amis tunisiens.

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