Sénégal: Immersion à Yang-Yang - La dernière capitale du Djolof orpheline de son passé glorieux

18 Août 2023

« Yang-Yang ». Le nom est rempli d'histoires. Situé à une soixantaine de kilomètres, au nord-ouest de Linguère, cette bourgade est devenue très célèbre pour avoir été la dernière capitale du Djolof après Thieng, Dakhar Seïkou, Ndiayène Kher, Warkhokh, entre autres, mais aussi celle du Cercle de Linguère jusqu'en 1935. Si Yang-Yang a eu la chance de survivre à l'épreuve du temps, elle pleure aujourd'hui son passé glorieux.

Pour rallier Yang-Yang, l'une des capitales les plus connues de l'empire du Djolof, il faut parcourir, à partir de Dahra, une route latéritique cahoteuse de plus de 40 kilomètres. À l'entrée du village, un peu plus à droite, d'immenses dunes de sable sont perceptibles. Ce sont les restes des tributs versés deux fois par an par les royaumes vassaux (Cayor, Baol, Sine, Saloum et Walo), jadis sous le contrôle du puissant empire du Djolof, selon certaines informations recueillies. « Cette configuration de la ville procéderait de la volonté des souverains d'antan de percevoir distinctement de loin l'ennemi et d'aller à son assaut en cas d'attaque », nous confie-t-on.

Aux pieds de cette montagne, se dresse une mosquée inachevée marquant le passage du fondateur du Mouridisme, Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké, dans la zone. Mais les travaux sont à l'arrêt depuis plusieurs décennies. À l'image des locaux de la Mairie dont le chantier a subi le même sort depuis 2017. « Les raisons, il faut les demander à l'Agetip (Agence d'exécution des travaux d'intérêt public contre le sous-emploi) », lâche, d'un ton ferme, le maire de la commune. Birame Sène s'empresse de préciser que cela n'impacte pas le travail de l'équipe municipale.

Un peu plus à l'intérieur, le décor est morose. À 12h, ce mardi 11 juillet, les rues sont désertes. Que des arbres et quelques animaux qui profitent des premières herbes issues de la pluie de l'avant-veille. Yang-Yang ressemble à une ville fantôme. Difficile de croire qu'on est dans l'ancienne capitale de l'empire du Djolof, royaume qui a joué un rôle de premier plan dans l'histoire du Sénégal.

Selon Djiby Diaw, historien, c'est le « Burba » Djolof Bakane, Tam Khary Dialor, qui, dans les années 1860, délocalise la capitale de l'empire à Yang-Yang. Cette petite bourgade de moins de 500 âmes a aussi été érigée, plus tard, en chef-lieu d'arrondissement par le Président Senghor. Il nous revient que, jusqu'en 2010, elle faisait partie de la communauté rurale de Mbeuleukhé. Depuis cette date, la sous-préfecture a été érigée à Yang-Yang, au détriment de Mbeuleukhé, devenue commune, et pourtant démographiquement et économiquement plus importante.

Aujourd'hui, la localité porte encore visiblement le vestige d'un temps révolu, les signes d'un long passé historique de dynasties et figures emblématiques de l'histoire du Sénégal. La gigantesque résidence royale construite en 1899 pour le dernier « Burba Djolof », Bouna Alboury Ndiaye, est fermée provisoirement pour des travaux de réfection. C'est une infrastructure militaire traditionnelle dont l'architecture est inspirée de celle qui faisait la fierté des Mansa mandingues et de Maba Diakhou Ba du Rip.

Pour réaliser l'ouvrage, nous confie un habitant des lieux, « un contingent de 3.000 hommes avait été mobilisé à travers tout le Djolof ». Le Tata est bâti stratégiquement sur une butte afin que les combattants puissent apercevoir l'ennemi de loin et défendre avec succès la place. Il accueillait la case du « Burba », celle des femmes ainsi que celle de la reine mère.

Cette contrée a vu naître des conquérants, rois et princes, mais aussi des généraux de l'Armée (Daouda Niang et Abdoulaye Fall).

Rarement maîtresse de sa propre destinée depuis le déclin de l'empire du Djolof, Yang-Yang peine à se relever, à se moderniser. Hormis une école primaire, la première du Djoloff, créée en 1897 et qui abrite également le Collège d'enseignement moyen (Cem), construite en 2014, Yang-Yang ne compte qu'une sous-préfecture (elle date de 1976), un poste de santé et une brigade de la Gendarmerie nationale comme infrastructures.

Sur le plan économique, rien ne marche. « Yang-Yang manque de tout », déplore Leyti Fall, un notable. Il admet que ce patelin est une « terre de guerriers aujourd'hui laissée à elle-même ». Il n'y a ni marché, encore moins de boutiques. Pour s'approvisionner, il faut aller à Mbeuleukhé (7 km) ou à Dahra (31 km). « Vous constatez par vous-même. Yang-Yang devrait dépasser ce stade depuis longtemps », jure-t-il.

Dans le cadre du programme visant à ressusciter les villages historiques, Yang-Yang a été érigé en arrondissement, mais malheureusement les services n'ont pas suivi. « Si l'État avait continué sur cette lancée, on aurait eu des infrastructures », regrette ce père de famille d'une cinquantaine d'années. M. Fall pointe également l'attitude des cadres ressortissants du village qui, selon lui, n'ont pas assez fait pour le village, rappelant qu'« une localité est développée par ses propres fils ».

Situé au sud du village, le poste de santé est logé dans une vieille bâtisse. Sur les lieux, pas l'ombre d'un patient. L'infirmière-chef de poste (Icp), étant occupée, la matrone et le dépositaire nous accueillent. Elle est en tête-à-tête avec une équipe de superviseurs, nous signale-t-on. Mais cette structure de santé qui couvre 32 villages semble abandonnée par les riverains. « Notre premier souci, c'est d'avoir une ambulance.

C'est très écœurant d'avoir un malade et de ne pas pouvoir l'évacuer à temps vers les structures de santé. Il nous arrive parfois, tard dans la nuit, d'être confronté à ce genre de situation, mais on est toujours obligé d'appeler à Mbeuleukhé, à Kamb ou de l'évacuer à bord d'un "wopou yaha" », raconte Ousmane Fall, dépositaire dudit poste depuis 20 ans. Il déplore des conditions de travail très difficiles : « Nous demandons que le plateau technique soit relevé pour qu'on puisse faire des échographies ». Ce père de famille de 55 ans réclame des indemnisations au même titre que les « bajénu goxx » (marraines de quartier). « C'est le comité de santé qui nous paie à travers des commissions et on ne touche même pas 50.000 FCfa par mois », regrette M. Fall.

À Yang-Yang, les quelques rares habitants rencontrés déplorent l'enclavement de la localité et le manque d'eau. « L'eau du forage est très salée et sa propreté est douteuse », lâche Moustapha Ladiane, 25 ans.

Du côté des femmes aussi, l'on implore le Ciel espérant des lendemains meilleurs. « Je pense que vous avez constaté de visu la situation. Pour ne pas rester les bras croisés, il m'arrive d'acheter du poisson à Dahra que je revends devant chez moi, mais c'est très rare à cause de l'impraticabilité des routes », confie Soukeyna Diouf, un bébé dans les mains. Elle s'activait dans les cultures maraichères, mais faute de financement pour la clôture de sa parcelle, elle a finalement laissé tomber. Par conséquent, « aujourd'hui, on ne fait rien, à part la cuisine. Les femmes de Yang-Yang appellent au secours », plaide cette mère de famille, désespérée.

Les assurances du maire Birame Sène

Le maire de la commune reconnaît, pour sa part, les difficultés, non sans rassurer que Yang-Yang est sur la bonne voie. « À l'instar de la plupart des mairies du Sénégal, nous n'avons pas assez de moyens, mais cela ne signifie pas qu'on ne travaille pas », souligne Birame Sène.

Sur le volet sanitaire, l'édile de Yang-Yang explique que si cette localité ne dispose pas encore d'une ambulance c'est parce que d'autres qui sont dans la même situation sont prioritaires. « Tous ceux qui ont reçu de l'État une ambulance ont une capacité d'accueil supérieure à la nôtre. Mais, nous ne cesserons de plaider pour en disposer », précise-t-il.

S'agissant du Cem qui, 10 après son érection, n'a toujours pas de site qui lui est propre, M. Sène rassure : « Le Conseil départemental de Linguère nous a offert deux salles de classe, et les agents de l'entreprise qui se charge de la construction sont déjà à pied d'œuvre pour faire le bornage ».

Le maire qui en est à son deuxième mandat promet également le butinage « très prochainement » de l'axe Dahra-Yang-Yang. « L'année prochaine, quand vous reviendrez ici, tout sera déjà livré », lâche Birame Sène qui est convaincu que « tous ces problèmes seront bientôt un vieux souvenir ».

ABDOUKHADRE CISSOKHO, SOUS-PRÉFET DE YANG-YANG

« Les populations sont extrêmement fatiguées, mais... »

Le sous-préfet, Abdoukhadre Cissokho, n'a pas encore fait deux mois à Yang-Yang. Il reconnaît que la vie n'est pas aisée dans l'ancienne capitale du Djolof. L'autorité administrative a, toutefois, annoncé des actions de l'État qui, à terme, vont soulager les populations.

Affecté à Yang-Yang depuis le 2 juin dernier, le sous-préfet Abdoukhadre Cissokho dit n'avoir pas encore pris ses marques. Il a, tout de même, admis les « nombreuses difficultés » auxquelles sont confrontées les populations liées notamment à « l'accès à la santé » et surtout à « l'accessibilité » de la localité. « Les pistes sont impraticables, surtout pendant l'hivernage. Il y a lieu de penser à les refaire », a reconnu l'autorité administrative qui s'empresse d'informer avoir reçu la veille (lundi 10 juillet) une équipe de l'Ageroute pour payer les impactés de la route Dahra-Yang-Yang dont les travaux devront démarrer très prochainement ».

En attendant, M. Cissokho a indiqué que « les populations sont extrêmement fatiguées, quand il s'agit de se déplacer. Il faudra penser à les soulager. L'arrondissement de Yang-Yang en a besoin ».

Le sous-préfet fait remarquer que des groupements sont bien présents dans la localité. Seulement, ils ne sont pas encore formalisés. « Je les ai contactés pour aller dans ce sens le plus rapidement possible », a-t-il dit, soulignant que ces structures sont dans l'attente d'être financées. « J'envisage une tournée dans l'arrondissement pour les sensibiliser sur les activités à mener », a-t-il notamment ajouté, prévoyant, également, de saisir le Ministère des Collectivités territoriales et des Ong pour les accompagner.

Abdoukhadre Cissokho dit, toutefois, avoir trouvé des jeunes désœuvrés, généralement des étudiants diplômés, sans emploi. « Je vais discuter avec eux pour des séances de travail en vue d'essayer de trouver des périmètres irrigués pour leur permettre de s'activer », soutient le sous-préfet de Yang-Yang.

Il a, par ailleurs, magnifié le rayonnement de la culture dans certaines communes, notamment à Mboula, invitant les autres localités de l'arrondissement à s'inspirer de cet exemple. « Yang-Yang est très fourni en capacités culturelles. Il y a des villages historiques, comme le cas de Mboyane, de Ndiodj, de la cour royale du « Burba », entre autres. On va travailler avec les élus pour que la destination Yang-Yang soit une réalité », a fait savoir l'autorité.

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