Un sergent-chef du Bataillon d'Intervention rapide (BIR) poursuivi pour désertion au Nigéria, dit avoir décidé de quitter les rangs de l'armée camerounaise pour s'expatrier parce que sa hiérarchie ne lui avait pas permis d'aller rendre un dernier hommage à sa génitrice. Il répond devant le Tribunal militaire de Yaoundé de nombreux autres chefs d'accusation en compagnie de six autres personnes.
Le sort de M.Teke René, militaire du Bataillon d'Intervention rapide (BIR), est désormais entre les mains du collège des juges du Tribunal militaire (TM) de Yaoundé. L'homme en tenue ainsi que ses compagnons d'infortune Ayompe Orsu Moses, Atoneh Ezéchiel Moto, Itoe Henry, Mbuh Cédric Tekum, Ikwo Beltus Mbeng alias Ewa Belman et Owan Bertrand Owan alias Ateku Ketan sont accusés de complicité d'acte de terrorisme, d'apologie d'acte de terrorisme, de financement, de recrutement et de formation, de sécession, d'insurrection, d'hostilité contre la patrie, de propagation de fausses nouvelles et de défaut de carte nationale d'identité (CNI). Et à titre personnel, le militaire Teke René est également poursuivi pour désertion à l'étranger en temps de paix. Les mis en cause ont été renvoyés en jugement pour répondre desdits faits devant la juridiction militaire depuis 2018.
A l'audience du 23 mars 2023, six accusés sur les sept mis en cause, tous des civils, en présentant leur défense devant le tribunal, avaient nié les griefs qui leur sont faits. Le 27 juillet 2023, c'était au tour de M.Teke René de donné sa version des faits sur les charges retenues contre sa personne. Comme ses coaccusés, le militaire du groupe a plaidé non-coupable pour les infractions de complicité d'acte de terrorisme, d'apologie d'acte de terrorisme, de financement, de recrutement et de formation, de sécession, d'insurrection, d'hostilité contre la patrie, de propagation de fausses nouvelles et de défaut de carte nationale d'identité (CNI). Il a néanmoins reconnu s'être retrouvé à l'étranger en temps de paix sans l'autorisation de ses supérieurs hiérarchiques.
M.Teke René a expliqué au tribunal qu'il est un militaire de formation et sergent-chef dans le corps spécialisé du Bataillon d'intervention rapide. En 2015, a-t-il relaté, il avait été sélectionné pour participer avec certains de ses camarades de rang à un stage auquel participaient les militaires marins de l'Etat Américain venus au Cameroun. C'est au cours de ce stage que ces derniers lui avaient parlé du programme «Magmy», qui intégrait les soldats de plusieurs pays étrangers dans l'Armée américaine. Au début, le mis en cause dit n'avoir pas été intéressé par cette proposition, même s'il avait gardé contact avec le recruteur dudit programme.
USA à tout prix
En 2016, le sergent-chef Teke René, qui dit avoir passé l'essentiel de sa carrière dans plusieurs localités du septentrion, y avait été renvoyé en stage pour le passage au grade de sous-officier. Et pendant qu'il y était, sa maman était décédée. «J'étais à Maroua quand j'ai été informé du décès de ma mère. En tant que fils ainé, je n'ai pas eu l'autorisation d'aller rendre un dernier hommage à celle qui avait œuvré pour mon entrée dans l'armée. Ce n'est qu'en fin d'année 2017 que ma hiérarchie m'avait donné un congé de 30 jours. C'est un an après que je me suis rendu à Bamenda voir sa tombe», a-t-il relaté. M.Teke René reconnait que malgré l'expiration de son congé, il n'avait pas rejoint les rangs à cause du traumatisme qu'il dit avoir vécu.
Le soldat du Bir a indiqué avoir passé les fêtes de fin d'année avec son père, lui aussi décédé il y a deux ans. Même sa promotion au grade de sous-officier, ajoute-t-il, ne l'avait pas encouragé à rejoindre les rangs. Le militaire a expliqué qu'à force de rester à la maison, il avait perdu l'engouement de travailler pour l'armée camerounaise. C'est alors qu'il avait contacté le recruteur du programme «Magmy», qui avait accepté de le recruter dans ses troupes. Le voyage était prévu en début d'année 2028, a-t-il précisé. Après avoir reçu son badge de sous-officier camerounais, il avait engagé les formalités de son voyage pour les USA. Mais il n'est pas allé au bout de son projet pour avoir reçu, entre-temps, un message qui l'informait de ce qu'il avait déserté l'armée camerounaise.
Mais poussé par l'idée d'aller aux Etats Unis d'Amérique (USA), M.Teke René dit avoir pris toutes ses économies, soit plus de 2 millions de francs, et s'être rendu au Nigeria dans l'espoir d'y trouver des facilités de voyage. Sauf qu'une fois au Nigeria, son laissez-passer de 10 jours avait expiré. Dos au mur, parce que bloqué dans son projet, il raconte avoir saisi le Haut-commissaire des Nations-Unies pour les Réfugiés en vue de solliciter le statut de demandeur d'asile en dissimulant son statut de militaire. «Je me suis rendu à Abuja pour remplir certaines formalités, et c'est en rentrant à Kalaba par bus que j'ai été interpelé par la police nigériane, qui a constaté que mon laissez-passer avait expiré et que ma carte professionnelle indiquait que j'étais militaire. Les policiers m'ont conduit dans une unité spécialisée où j'ai été torturé, parce qu'ils croyaient que j'étais un espion», a-t-il déclaré.
Interpellation précoce
Pour finir son récit, M.Teke René a relaté qu'il est arrivé au Cameroun quelques jours plus tard. Il dit avoir passé un an au Secrétariat d'Etat à la Défense(SED) sans visite, avant d'être incarcéré à la prison centrale de Yaoundé Kondengui où il séjourne avec ses coaccusés depuis lors. Le mis en cause a nié toute implication dans les actes de terrorisme qui lui sont reprochés et soutient qu'il ne s'est pas rendu au Nigeria pour former les troupes « ambazoniennes » qui s'y trouvaient comme veut le faire croire l'accusation.
Pour rappel, le 1er mars 2018, à Kalaba, au Nigeria, les services de renseignements nigérians ont procédé à l'arrestation de Teke René , Ayompe Orsu Moses, Atoneh Ezéchiel Moto, Itoe Henry, Mbuh Cédric Tekum, Ikwo Beltus Mbeng alias Ewa Belman et Owan Bertrand Owan alias Ateku Ketan, suspectés d'organiser des réunions et des formations à la manipulation des armes dans le but d'entretenir et de renforcer les groupes sécessionnistes qui sévissent dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest (NOSO) du Cameroun. Interpellés, les suspects avaient été mis à la disposition de la Sécurité militaire camerounaise, puis au Service central de Recherches judicaires.
Au cours de l'enquête ouverte pour faire la lumière dans cette affaire, René Teke et ses compagnons avaient déclaré qu'ils appartenaient au groupe dénommé Abazonien Gouvernent Conseil (AGC), lequel finançait le groupe sécessionniste de l'état virtuel d'Ambazonie. La première partie du témoignage du militaire en désertion constitue un revirement dans ses précédentes déclarations dans le procès en cours. La suite des débats est prévue le 24 août 2023.