Tunisie: Analyse | Comment répondre aux goûts de tous sans se fourvoyer ?

21 Août 2023
analyse

Ces dernières années, les acteurs de la scène culturelle se lancent des accusations à n'en plus finir

Du Festival international de Carthage (14 juillet-19 août) au Festival international de Hammamet (8 juillet-12 août), en passant par le reste des festivals tenus dans les différentes régions du pays, nombreuses sont les voix qui s'élèvent pour ou contre une programmation ou une autre. Managers, acteurs et public évoluent souvent dans des directions différentes. Alors que bon nombre de nos élites désapprouvent une culture de masse qui n'est, selon elles, qu'une forme dépravée de l'exercice de la pensée.

On peut tolérer la cohabitation des genres

Pour le dramaturge et professeur de théâtre Walid Saoudi, tous les goûts ne se valent pas. Car «le goût est une opinion». «Pour les programmes des festivals de cette année, j'ai déjà entendu des murmures désapprobateurs. Surtout du côté de nos élites dont certaines pensent à tort qu'elles sont les gardiennes du temple. Or, il faut de tout pour faire un monde. Pour décider de la programmation d'un Festival, il y a des spécialistes, qui ont suivi des formations pour cela. C'est une expertise, comme celle de l'architecte. On ne s'improvise pas manager culturel», analyse le professeur.

Selon lui, des goûts et des couleurs peuvent parfois se confondre et c'est de la discussion et des contrastes que jaillit souvent la lumière. «On ne peut pas demander à une société de masse de rompre avec la culture de masse et on ne peut pas non plus demander aux élites de consommer ce qui est destiné aux masses. On peut cependant tolérer la cohabitation des genres. Car un individu qui a eu la chance d'avoir reçu de l'éducation fait partie de la société contre laquelle il tente de s'affirmer», explique encore notre interlocuteur.

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Les oeuvres que chaque civilisation laisse derrière elle

Les mécontents des festivals, appelons-les ainsi, dénoncent, eux, une platitude et une fadeur loin de servir le pays et son peuple dans cette phase transitoire. De l'avis du manager culturel, Tahar Ajroudi, «notre intérêt pour un artiste se focalise tant sur son individualisme subjectif que sur le fait qu'il est le producteur d'oeuvres que chaque civilisation laisse derrière elle, comme la quintessence et le témoignage de l'esprit qui l'animent».

Et «Quitte à se tourner contre la société, la production d'oeuvres culturelles de qualité et la démocratisation de la consommation culturelle et esthétique doivent être des objectifs qui nous guident tous, si l'on veut préparer les générations futures. Cela doit-être le plus grand accomplissement de notre époque», estime-t-il.

Le plus grand reproche fait à une grande partie de la société aujourd'hui est, selon lui, l'absence de culture et d'intérêt pour l'art. Cette sorte de philistinisme qui consiste simplement à être inculte et ordinaire se développe dès lors que l'on possède la richesse et les loisirs nécessaires pour amuser bien des galeries. Et l'on accompagne impuissant le nivellement par le bas de l'exercice culturel, en rendant accessibles des scènes mythiques à de pseudoartistes venus de contrées lointaines «nous donner des cacahuètes».

Reste à dire que dans cette phase transitoire que vit le pays, la société de masse et ses préférences nous entravent bien moins que la bonne société cultivée. Et pour avoir une bonne société cultivée, il faut oeuvrer à éduquer autant que faire se peut le goût public. D'autant qu'affiner le goût public est un exercice de la pensée, un exercice de longue haleine.

Et de ce point de vue, on aurait dû réserver une plus grande place au théâtre, à la peinture et surtout au cinéma de l'enfant, dont le grand critique et professeur Alain Bergala disait: «Faire entrer l'art à l'école permet de distinguer l'éducation artistique de l'enseignement artistique.

Car le coeur de l'acte de création est solitude et prise de risque, au cinéma aussi bien qu'en peinture ou en littérature».

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