Sénégal: Feux de brousse, vol de bétail, problème de gestion... - Le ranch de Dolly, un patrimoine en péril

21 Août 2023

Au milieu de la zone sylvopastorale, un vaste espace de plus de 87.500 hectares est aménagé dans la commune de Thiel (département de Linguère). C'est le ranch de Dolly, rebaptisé Djibo Leyti Ka. Le but était de contribuer à la sécurité alimentaire du cheptel et à l'amélioration des productions animales. Mais aujourd'hui, ce patrimoine est confronté à d'énormes difficultés liées notamment au vol de bétail, aux feux de brousse, entre autres.

Mercredi 12 juillet 2023. L'hivernage s'est déjà bien installé dans le Djoloff, qui a déjà enregistré sa quatrième pluie. Sur le long chemin menant vers le ranch de Dolly, à partir de Linguère, le décor est tout autre : un tapis herbacé verdâtre, de petits marigots par ci, des troupeaux par là et de longues files de charrettes de transhumants qui rentrent au bercail, après un séjour dans le Sine-Saloum, le Boundou et la basse Casamance, à la recherche de pâturage.

Tout au long du trajet, les véhicules de transport en commun appelés « wopou yaha » (laisse-le partir, en Pulaar), ou encore des Pajero, ancien modèle, font la navette. C'est le jour du louma (marché hebdomadaire) de Thiel, chef-lieu de la commune. Mais là, les secousses sont intenables. Les engins sautent, roulent, puis tournent avec allure sur la piste latéritique en dégradation continue. Des secousses, qui n'ont pas épargné l'un des pneus arrière de la voiture de vos serviteurs. Pourtant, selon les habitués de cet axe, le voyage est moins pénible, présentement, grâce aux pistes qui y ont été réalisées dans le cadre du Programme d'urgence de développement communautaire (Pudc).

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Les voitures en partance pour Dolly, et un peu partout dans la zone du Djoloff, n'ont pas de charge conventionnelle. Le bétail est transporté, sans modération, sous les sièges de fortune faits de bois qu'occupent les passagers infortunés qui n'ont pu accéder aux places tant convoitées à bord du « wopou yaha ». Et pourtant, ces bancs ne sont qu'une petite éclaircie dans la grisaille. Les places de trois sont occupées par cinq personnes et celle d'un occupant est scindée en deux. Les passagers sont entassés comme des sardines, collés les uns aux autres.

Dans ce charivari monstre, il n'y a l'ombre d'aucun agriculteur. Ici, l'élevage est prioritaire. « Le sol est très riche mais, dans cette zone, l'agriculture n'est pas la priorité. Par conséquent, si le cheptel mange tes cultures, tu perds », précise Mariam Barry, mère de famille et actrice de développement, à l'entrée de Dolly.

Kalidou Sow, témoin privilégié de l'existence du ranch de Dolly, des débuts à aujourd'hui, est nostalgique de cette belle époque où la vie dans ce haut lieu d'élevage était un privilège. « Il faisait bon vivre à Dolly, avec sa verdure frappante », se souvient-il, sur un ton qui traduit cette nostalgie de la vie d'autrefois. Il était âgé de 26 ans, en cette journée du 2 avril 1969 où le premier président de la République, Léopold Sédar Senghor, franchissait la porte de Gassane (un des accès du ranch dont le nom est tiré d'une localité située à 20 kilomètres), pour lancer ce qui sera, par la suite, un site d'une haute renommée. M. Sow, intronisé chef de village, en 1978, s'est installé à Dolly, depuis 1968, là où il vit jusqu'à présent. Ce père de famille de 80 ans, confortablement assis dans son lit en banco, au milieu de sa grande concession, une carafe d'eau fraîche sous les pieds, dresse un tableau sombre de ce patrimoine qu'il trouve en péril.

« Les feux de brousse sont récurrents », regrette le patriarche du village, pointant le manque de vigilance des usagers : « Pendant la saison sèche, il est très facile de déclencher le feu dans la brousse. Malheureusement, beaucoup ne le comprennent pas ainsi ». Selon lui, « pour la plupart des cas, ce sont les bergers transhumants qui, après avoir préparé le repas dans la brousse, ne prennent pas le temps d'éteindre complètement les braises. Et, au moindre contact avec les herbes mortes, ça fait boom et les flammes sont propagées par les vents forts qui soufflent dans la zone ».

Allant plus loin, ce vieux accuse également les transporteurs de charbon et fumeurs qui jettent leurs mégots de cigarettes en pleine forêt. « Ils ne se rendent pas compte que cela nous cause d'énormes préjudices », ajoute Kalidou Sow, rappelant que le ranch dispose de 14 grandes portes.

Les 3 visites de Macky Sall

La voix basse, les cheveux poivre-sel, il se rappelle le dernier feu de brousse déclenché, il y a quelques semaines, à Ogo 2, situé à 4 kilomètres du village de Dolly. « N'eut été l'intervention rapide des populations environnantes, le pire allait se produire, parce que les flammes étaient à quelques mètres de nos maisons », raconte le vieux avec un soupir.

Son fils, Mamadou, d'ajouter : « Ces nombreux cas de feux de brousse prouvent combien les gens sont inconscients de l'opportunité qu'offre ce ranch ».

Le Coordonnateur de « Nanandiral (entente) Dolly » ne manque pas, néanmoins, de se réjouir du mur de clôture qui permet d'amoindrir les dégâts. « Au début, quand le feu se déclarait en dehors du ranch, il se propageait facilement, mais avec le mur, on est mieux sécurisés ; même si beaucoup de cas sont déclenchés à l'intérieur », fait-il constater. Il déplore que, du fait de l'enclavement, les secours des sapeurs-pompiers ne sont pas faciles.

Mais, ce n'est pas tout. À Dolly, le vol de bétail constitue un autre goulot d'étranglement, selon toujours Kalidou Sow, qui se souvient, pour s'en réjouir, de la visite du Chef de l'État, Macky Sall, annonçant une loi criminalisant cette infraction. C'était en marge d'une visite à Dolly, en novembre 2013. « Il nous avait promis que les sanctions contre le vol de bétail allaient être sévères », dit-il, nous montrant un exemplaire de la « Une » du quotidien national « Le Soleil ». « Ce jour-là, il est passé me voir ici, chez moi, avant de visiter mon enclos. C'était sa deuxième venue dans le ranch. La première, c'était en tant que Ministre de l'Hydraulique, sous le magistère de Me Abdoulaye Wade. Il y est également venu en 2018 », explique-t-il.

À noter que la mesure est entrée en vigueur, une année plus tard, avec le vote de la loi n°2014-27 du 03 novembre 2014 modifiant la loi n° 65-60 du 21 juillet portant Code pénal. C'est ainsi que l'article 368 du Code pénal a été réaménagé par l'introduction d'un alinéa 3 nouveau qui fait du vol de bétail une circonstance aggravante. Cette disposition prévoit une peine d'emprisonnement de cinq (05) à dix (10) ans « si le vol portant sur du bétail a été commis au préjudice d'une personne qui tire de l'exploitation dudit bétail l'essentiel de ses revenus ou qui fait de son élevage son activité principale ».

Dans ce sens, une brigade de Gendarmerie a été érigée dans le ranch qui compte pas moins de 26 villages. Des sources établies dans cette brigade, que nous avons visitée, confirment la persistance du fléau. « Des cas de vol de bétail sont récurrents. Malgré un effectif réduit par rapport à l'étendue de cet espace, nous procédons à des patrouilles. Nous faisons également l'objet de saisine à travers des dénonciations verbales et des plaintes », nous signale-t-on. C'est ainsi que les gendarmes, conduits par le commandant Faye, mènent leurs enquêtes qui aboutissent à l'arrestation et au déferrement des personnes incriminées. Cette même rigueur est également de mise en cas de feux de brousse qui, selon nos informateurs, sont causés par des « personnes inconscientes » du danger.

Plus de 14 milliards de F Cfa injectés

Pour sa part, Dr Idy Locar, Directeur du ranch, minimise. Selon lui, depuis son installation, il y a environ 13 à 14 mois, il n'y a « eu que 5 déclarations de perte d'animaux », non sans saluer « l'excellent travail » que sont en train d'abattre les éléments de la gendarmerie.

Quoi qu'il en soit, il nous revient qu'une enveloppe de plus de 14 milliards de FCfa a été dépensée pour redonner sa vocation pastorale au ranch de Dolly qui couvre 87.500 hectares. En effet, selon le chef de village, Kalidou Sow, le Président Macky Sall l'a réhabilité et la première action entreprise est la construction d'un mur de clôture de 120 kilomètres de périmètre, pour un coût global de 6,5 milliards de FCfa.

Outre ce mur, d'autres projets y ont été lancés pour un montant de près de 8 milliards de FCfa. Il y a, entre autres, « la construction d'un forage d'un débit de 230 m3/heure, doté d'un château d'eau d'une capacité de 1000 m3, pour régler les problèmes d'eau, un réseau d'adduction d'eau sur un linéaire de 110 km et édifier des ouvrages de soutien composés de 7 abreuvoirs, 32 bornes fontaines, 3 potences et 2 parcs à vaccination mixtes », fait-il savoir.

Pour désenclaver le site, une piste de production de 130 km, reliant Dolly-Guerlé-Linguère et une autre reliant Dolly-Dahra, longue de 70 km, y ont été construites par le Projet d'appui à la sécurité alimentaire dans les régions de Louga, Matam et Kaffrine (Pasa-LouMaKaf). M. Sow révèle enfin que le ministère de l'Environnement et du Développement durable y a installé et déployé une brigade spéciale des Eaux, Forêts et Chasse pour la protection du site contre les feux de brousse. Pour la sécurité des personnes et des biens, une brigade spéciale de gendarmerie est aussi installée au niveau du Ranch.

GESTION ET EXPLOITATION DU RANCH DE DOLLY

Responsables et usagers regrettent un flou juridique

Inauguré en 1969 et relancé en 2013 par le Chef de l'État, Macky Sall, le ranch de Dolly n'a pourtant jamais eu de statut juridique clair. Le décret portant modalité de gestion de ce patrimoine n'est pas encore signé au grand dam des responsables et usagers.

Au mois d'octobre 2017, les modalités de gestion et d'exploitation du ranch de Dolly avaient fait l'objet d'un atelier qui s'est tenu à Dahra (région de Louga). Il était présidé par Aminata Mbengue Ndiaye, Ministre de l'Élevage et des Productions animales d'alors. À l'issue des deux jours de réflexion, les acteurs ont défini un modèle fixant les modalités pratiques de paiement des redevances et l'organisation spatiale du ranch, ainsi qu'un Code de conduite pour les usagers. De même, ils ont proposé des modèles de production respectueux de l'environnement et déterminé un cadre de dialogue entre les gestionnaires du ranch et les usagers. Mais, depuis lors, le ranch de Dolly n'a jamais eu un statut juridique clair. En plus, le déclassement décidé par Me Abdoulaye Wade, en 2003, pour un projet agricole, a renforcé cette vulnérabilité institutionnelle du ranch.

À noter également que, le 23 décembre 2018, le président de la République, Macky Sall, s'est déplacé à Dolly pour inaugurer les infrastructures qu'il a lui-même réalisées pour redonner vie au ranch de Dolly. Il s'agissait d'un mur de clôture, d'un forage, d'une Direction des Eaux et Forêts et d'une Brigade de Gendarmerie nationale et des pistes d'accès. Cette présence d'un Chef de l'État, la deuxième du genre, avait suscité un espoir chez les populations.

Malgré tout, le ranch de Dolly ne se relève pas de sa longue agonie. « Un jour, dans le cadre d'une audience à laquelle j'ai pris part, j'ai interpellé le Chef de l'État sur le décret de gestion du ranch, mais il a été surpris. Il croyait que c'était fait depuis, me disant que "si ce n'est pas signé, c'est parce qu'il n'est pas encore arrivé sur mon bureau" », confie Abdoulaye Sow, acteur de développement à Dolly. « Sans statut clair, rien de concret ne peut être fait », ajoute-il, se réjouissant, par ailleurs, du fait que, parmi les promesses faites en 2018, il ne reste que l'érection d'une compagnie des sapeurs-pompiers.

Interpellé sur la question, le Directeur du ranch déplore lui aussi un « flou juridique » qui entoure son statut, la gestion de Dolly. « Notre principal problème, c'est que le ranch est sans statut et sans plan de gestion. On ne peut rien faire, le budget n'est pas logé au niveau du ranch, avec le manque de statut. Vu les potentialités du ranch (zone largement suffisante pour accueillir l'essentiel du bétail de tout le pays, zone où on peut assurer l'autosuffisance en moutons de Tabaski pour le Sénégal, zone où on peut faire de la culture fourragère à grande échelle, zone très apte pour la culture de maïs entrant dans l'alimentation animale, bref), ce décret doit être le plus rapidement signé et appliqué », confie Dr Idy Locar.

Selon d'autres informations obtenues sur place, le ranch est ceinturé, de ses trois côtés, par des propriétés privées à usage agricole qui peuvent, en tout temps, empiéter sur sa superficie ou entrainer des conflits entre éleveurs et agriculteurs à cause des animaux en divagation qui peuvent pénétrer dans les périmètres agricoles.

« Les tentatives de cession d'une partie du ranch de Dolly, que les pouvoirs publics ont manifestées en 2003, ont fini par installer des sous-entendus relativement au sens juridique du statut du ranch », conclut l'ingénieur des Eaux et Forêts à la retraite, Abdoulaye Sy, dans une étude complémentaire sur la situation juridique dudit ranch réalisée en 2012.

Citant des documents disponibles auprès des services des Eaux et Forêts, l'étude signale que « le ranch est partie intégrante de la réserve sylvopastorale de Dolly et n'a jamais fait l'objet d'un déclassement. Ce n'est que par arrêté, n°4461, du 10 juillet 1955, que l'autorité coloniale avait érigé en aire protégée la réserve sylvopastorale de Dolly. Le classement qui portait sur 110.900 ha était dicté par le souci de préserver la végétation herbacée et arbustive, en vue du développement de l'élevage, sans compromettre ses possibilités de régénération. Sa gestion était placée sous l'autorité conjointe des services de l'Élevage et des Eaux et Forêts ».

Autofinancement, élevage, « Bay Duundé » ...

Les petites astuces prometteuses des femmes de Dolly

Au village de Dolly où les infrastructures politiques et de développement sont quasi inexistantes, les femmes, regroupées autour des groupements, mènent des activités parallèles pour pouvoir s'en sortir.

Mariam Barry est la Présidente de « Nanandiral rewbé Dolly » (entente des femmes de Dolly, en langue pulaar). Selon elle, depuis très longtemps, elle et les autres femmes (75 membres de ce groupement) sont conscientes qu'il n y'a plus de temps à perdre pour espérer être autonomes. « Les temps sont durs, mais nous ne baisseront pas les bras », a-t-elle dit. Cette actrice de développement, très célèbre dans le village, explique qu'elles procèdent à des cotisations et des prêts avec intérêts, en vue de s'entraider. « Nous faisons des prêts entre nous pour ensuite financer nos projets de petits commerces.

Ça nous permet de bien préparer les fêtes comme la Tabaski, la Korité, entre autres », a-t-elle ajouté, indiquant que, dans leur groupement, trois caisses sont prévues et les retombées peuvent aller jusqu'à 100.000 FCfa, selon le montant versé par semaine. « Avec l'argent, chaque femme bénéficiaire peut acheter du matériel à louer pour fructifier ses revenus. Cela nous permet d'être autonomes », s'est réjouie Mariam Barry.

Cette dernière explique, en outre, qu'elles aménagent de petites parcelles de maïs tout juste derrière la maison pour avoir de quoi vivre. « Ici, le sol est très riche, mais dans cette zone, l'agriculture n'est pas la priorité. Par conséquent, si le cheptel mange tes cultures, tu perds. C'est pourquoi, on fait juste du "bay dundé" (agriculture de subsistance) », précise cette mère de famille. L'actrice de développement informe qu'elles s'activent aussi dans des projets d'alphabétisation. Non sans regretter l'arrêt, en 2020, du projet américain Heifer, « alors que nous y trouvions notre compte », a-t-elle indiqué.

Coumba Diallo, Présidente de la fédération des groupements des femmes de Dolly, abonde dans le même sens. Selon elle, l'enclavement et le manque d'infrastructures dans leur localité, ne constituent pas un frein à leurs activités de développement. Elle estime que tous les 18 groupements sont dans l'élevage, leur principale activité. « Nous avons été envoyées jusqu'au Zimbabwe pour échanger nos expériences avec d'autres nationalités sur les pratiques de l'élevage », a-t-elle notamment fait savoir. Mme Diallo est d'avis que le ranch de Dolly, un patrimoine de tous les éleveurs du Sénégal, devrait être appuyé pour qu'il retrouve son lustre d'antan. Elle a lancé un appel aux autorités locales et nationales, les invitant à les aider à renforcer les projets de formation au profit des femmes.

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