D'animatrice communautaire, Mariam Koita née Dicko, mère de quatre enfants, avec un niveau d'études de la 4e, est devenue la fondatrice et présidente de la laiterie « Kossam Saye Seno », (le lait de la vache blanche du Seno, en langue nationale fulfuldé). Son audace, son courage et son abnégation lui ont permis d'offrir des prestations de services de plusieurs centaines de millions de FCFA au bureau du Programme alimentaire mondiale (PAM) de Dori et à la société minière IAMGOLD/Essakane S.A. Toutefois, après le COVID-19 qui a freiné l'élan de ses activités, c'est au tour de l'insécurité dans le Sahel burkinabè qui entravent la bonne marche de ses activités.
C'est avec 5 litres de lait acheté à 200 FCFA le litre que l'ancienne animatrice communautaire Mariam Koita et deux de ses collègues se sont lancées dans la transformation du lait de vache. Nous sommes en 2006. Les trois animatrices communautaires avaient pour mission de se rendre dans les villages autour de Dori qui ne disposaient pas encore de Centre de santé avec promotion sociale (CSPS), en vue de sensibiliser les femmes sur l'importance de fréquenter les formations sanitaires de la capitale du Liptako pour les Consultations prénatales (CPN) afin de réduire le taux de mortalité maternelle et infantile. Dans ces villages, raconte Mme Koita, « le lait de vache était tellement abondant que le reste était jeté dans la nature parce que les femmes ne savaient pas comment le conserver ».
Face à cette situation, une idée germa dans la tête de Mme Koita. « J'ai proposé aux autres animatrices d'acheter le lait avec les femmes (au sahel le lait appartient à la femme, Ndlr) pour ensuite le traiter à Dori et le revendre ». De cette idée, une nouvelle aventure a commencé pour Mme Koita et les deux autres animatrices. Ensemble, elles vont quitter le projet pour se lancer dans la vente de lait. C'est avec quelques petits matériels à savoir un congélateur de seconde main appelé communément « France au revoir » que les trois femmes ont commencé leur travail dans un local modeste. Pasteurisé et conditionné dans des sachets, le lait frais et le yaourt étaient vendus à 50 FCFA l'unité.
Pour le premier jour, les trois dames ont obtenu la somme de 7 500 FCFA, donc un bénéfice de 2 500 FCFA. « Au fur et à mesure, nous avons augmenté le nombre de litres de lait à traiter au quotidien. Après un mois de vente, notre bénéfice a atteint 75 000 FCFA », relate Mariam Koita le visage jovial. Le lait traité était vendu à travers la ville de Dori dans des glacières que les trois femmes portaient sur la tête. Avec l'évolution de leur commerce, les trois dames ont sollicité en 2013 auprès de la mairie de Dori, l'utilisation de la laiterie communale qui ne fonctionnait plus. La mairie a accédé à leur requête. «
Ce fut une aubaine puisque nous ne payions ni le local ni l'eau. La quantité de lait de vache traité par jour variait entre 30 et 40 litres. A un moment donné, nous avons dû quitter la laiterie communale du fait du mécontentement de certaines personnes au sein de la mairie », se souvient Mariam Koita. Après l'expérience de la laiterie communale qui n'a duré qu'une année, les trois dames avec désormais une équipe forte de 20 femmes, ont trouvé un autre local, une concession de type F3 qu'elles ont louée à 75 000 FCFA le mois au secteur 5 de Dori. Outre Mariam Koita, l'une des deux autres dames est devenue la trésorière de la laiterie tandis que la deuxième, titulaire du diplôme du baccalauréat, a intégré la Fonction publique suite à son admission au concours de sage-femme. En plus du lait frais et du yaourt, d'autres produits se sont ajoutés à la vente à savoir le lait pasteurisé, le gapal liquide et solide, le dêguê et le fromage à base de lait.
Une production boostée grâce au PAM
Dans le nouveau local, la laiterie « Kossam Saye Seno » a été sélectionnée par le bureau du Programme alimentaire mondial (PAM) de Dori pour servir des pots de yaourt de 250 grammes à plus de 3500 élèves des écoles primaires d'une vingtaine de villages de Dori. Un protocole d'accord a été signé entre les deux parties. A en croire Mariam Koita, ce contrat a énormément contribué à booster la production du lait qui a atteint entre 1000 et 1200 litres par jour pour la transformation. Ce partenariat a aussi permis à la laiterie « Kossam Saye Seno » de bénéficier d'un nouveau local : une cour de type F4 avec toutes les commodités répondant aux normes hygiéniques exigées par le PAM, à la Cité des forces vives de Dori. Le coût du loyer, 150 000 F CFA le mois, a été pris en charge pendant une année par le PAM.
En plus de cet accompagnement, le PAM a fait un don de matériels d'une valeur de 22 millions de FCFA, composés d'un groupe électrogène, trois congélateurs, 10 foyers à gaz de grand diamètre avec 12 bouteilles de gaz de 12 kilogrammes, des équipements pour le contrôle de la qualité du lait, des réfrigérateurs et deux tricycles améliorés. « Tous ces matériels ont fortement contribué au renforcement de notre capacité de production. En deux ans de collaboration avec le PAM, nous avons épargné de l'argent pour acheter une chambre froide d'une valeur de 7,5 millions F CFA parce que les réfrigérateurs ne pouvaient plus contenir toutes les quantités de produits commandés. Avec l'amortissement des deux tricycles de livraison, nous avons également acheté deux véhicules en vue d'honorer nos commandes », a révélé la fondatrice et présidente de la laiterie.
Elle a en outre indiqué que la laiterie a bénéficié par mois d'une formation sur le contrôle-qualité, la gestion du personnel et du cadre. Dans le but de mettre en oeuvre les nouvelles connaissances acquises, le PAM a exigé de la laiterie le recrutement d'un technicien agro-alimentaire, un comptable et un coordinateur. Dans la même lancée, l'assistant technique à la laiterie Amidou Niang a révélé que le contrat avec le PAM a permis à la laiterie d'être une vitrine au plan national et international dans le domaine du lait. En effet, il a fait savoir qu'en 2019, la laiterie « Kossam Saye Seno » a été primée lors des 72 heures du lait local organisées par l'union nationale des mini laiteries et des producteurs de lait local du Burkina. Hormis cela, la fondatrice et présidente a bénéficié de plusieurs voyages d'études en Angleterre, en France, en Belgique et en Allemagne. En plus de ces voyages à l'étranger, d'autres responsables de laiteries du Sénégal, du Mali, de la Guinée et de la Mauritanie sont venus s'imprégner des expériences de sa laiterie.
L'importance du GIE
Dotée de matériels modernes pour la transformation du lait, la laiterie « Kossam Saye Seno » sera confrontée à une difficulté notamment la non disponibilité à temps plein de la matière première qui est le lait. En effet, ses fournisseurs en lait de vache n'arrivaient plus à lui livrer la quantité dont elle avait besoin pour honorer ses commandes qui étaient devenues importantes. Entre mars et juillet de chaque année, l'aliment à bétail se fait rare, les vaches deviennent faméliques et produisent peu de lait. Pour résoudre ce problème, la laiterie « Kossam Saye Seno » a mis en place en 2020 avec les autres acteurs de la chaine de production du lait, un Groupement d'intérêt économique (GIE). Il s'agit des producteurs de lait (propriétaires de vaches), des collecteurs de lait, des marchands d'aliments à bétail ou sous-produits agro-alimentaires (SPAI) et des producteurs de fourrages.
Dans le cadre de ce groupement, Mme Koita achète à crédit au profit des propriétaires des vaches, des aliments à bétail et du fourrage auprès des commerçants et producteurs pendant la période difficile. Les vaches bien nourries produisent alors du lait en quantité et en qualité, indispensable pour la transformation par la laiterie « Kossam Saye Seno » en vue de leur livraison aux clients. Lorsque Mme Koita rentre en possession de son argent après la livraison du lait traité, elle paye d'abord les commerçants et producteurs des aliments à bétail, ensuite les propriétaires de vaches. Dans le cadre du groupement également, il a été prévu la mise en place de 30 champs-écoles pour la production du fourrage, a ajouté Mme Koita.
A l'issue des récoltes, les membres du GIE ont convenu que les fourrages soient stockés de sorte que pendant la période de soudure notamment entre mars et juillet, les collecteurs de lait viennent les chercher pour ravitailler les producteurs de lait (propriétaires de vaches). Pour Mme Koita, avec la création du GIE, chaque groupe se tire à bon compte dans la mesure où la production du lait est pérenne, du coup, les produits laitiers sont disponibles à tout moment au grand bonheur de la clientèle. A en croire l'assistant technique Amidou Niang, la création de la chaine de valeurs a rendu la laiterie plus fiable, crédible et lui a également permis d'avoir des subventions et autres aides de divers partenaires.
Moments difficiles certes, mais l'espoir est permis
A cet effet, l'agent du développement rural Denis Bonzi dit avoir été impressionné par un cadre moderne et hygiénique avec un personnel accueillant lors de sa toute première visite à la laiterie. Cela exhorte, a-t-il indiqué, la clientèle à fréquenter les lieux en plus de la bonne qualité des produits vendus. Pour sa part, Clotilde Onadja, une fidèle cliente depuis 2017 a confié que les produits de la laiterie sont très bien faits en ce sens qu'ils sont bien conditionnés, propres et surtout succulents. Depuis la création de son entreprise, Mme Koita bénéficie du soutien de son mari « Si vous voyez une femme réussir dans tout ce qu'elle entreprend, c'est qu'elle a un bon époux. Mon époux, c'est mon complice », a-t-elle expliqué.
Aux dires de son époux Hamadou Koita, les débuts de son épouse dans cette activité ont été très difficiles, mais il a su l'épauler moralement et financièrement ainsi qu'en termes de conseils afin qu'elle puisse surmonter les obstacles qui se dressaient devant elle. Aujourd'hui, la laiterie de Mme Koita a un effectif de 48 personnes dont neuf employés rémunérés mensuellement et le reste sont les membres de la laiterie qui se partagent les bénéfices des ventes. Parmi ces 48 agents, dix sont des veuves et 6 des déplacées internes. Malheureusement, la pandémie du COVID-19 apparue en mars 2020 au Burkina Faso et la situation sécuritaire difficile du pays depuis 2015 qui ont occasionné l'arrêt des cours dans les écoles.
Il y a eu d'abord la suspension, ensuite la fin « prématurée » du contrat entre le PAM et la laiterie. Du coup, la laiterie perd annuellement 100 millions de F CFA. « A Ouagadougou, j'avais une représentante à qui je livrais par semaine les produits laitiers estimés à un million de FCFA. Elle à son tour les déposait dans les alimentations. Du fait de l'insécurité, nous avons suspendu la livraison sur Ouagadougou », a déploré Mme Koita. Pire, le contexte sécuritaire difficile entrave énormément les activités de la laiterie dans la mesure où les animaux de la plupart des producteurs de lait ont été emportés par des groupes armés.
C'est la raison, selon elle, qui a fait que la quantité de lait traité a baissé et varie aujourd'hui entre 500 et 600 litres par jour. Cependant, malgré le contexte actuel difficile, Mme Koita reste néanmoins optimiste et croit en des lendemains meilleurs. Pour cela, elle a acquis une parcelle de 600 m2 à la Cité des forces vives avec l'accompagnement financier de certains partenaires. 300 m2 ont été utilisés pour bâtir la laiterie et le reste pour un bâtiment R+1 qui aura une salle de formation au rez-de-chaussée et l'administration de la laiterie au-dessus. Outre la laiterie, Mme Koita fait des prestations dans le cadre de la restauration à la société minière IAMGOLD/Essakane S.A qui lui rapporte près de 130 millions annuellement.