Le village traditionnel de Ndiang Khoulé, situé en partie dans la commune de Louga, a une tradition singulière. Partie des rives du fleuve Sénégal, cette famille, d'origine « Soninké », qui est l'une des premières à s'installer à Louga vers le 13ème siècle, quasiment anéantie par une épidémie de peste au 20ème siècle, garde aujourd'hui jalousement l'héritage de ses ancêtres qui se perpétue à travers une organisation familiale bien hiérarchisée.
LOUGA - La création du village de Ndiang Khoulé remonte au 13ème siècle. Originaire du Fouta, sur les rives du fleuve Sénégal, la famille Khoulé, appartenant à l'ethnie Soninké, autrement appelée Sarakhoulé (d'où est issu le patronyme Khoulé), a quitté ses bases originelles au début du 12ème siècle pour aller s'installer dans l'ancien royaume du Djolof du fait de la difficile cohabitation avec les ressortissants mauritaniens sur cette partie nord du territoire sénégalais.
« Nous sommes originaires du Fouta. Mais, compte tenu des relations conflictuelles permanentes avec la communauté maure, notre aïeul avait choisi de quitter les rives du fleuve Sénégal pour aller s'établir dans une zone devenue plus tard Royaume du Djolof en 1200 », explique Baye Dame Khoulé, descendant d'Amadou Khoulé, fondateur du village de Ndiang Khoulé.
Pratiquant l'agriculture et l'élevage, la famille finit par rallier la zone du Ndiambour au 13ème siècle. « Lorsque nos ancêtres s'installaient dans cette zone, le nom de Louga, dans son appellation actuelle, n'existait pas et les espaces étaient quasiment inoccupés », explique Baye Dame Khoulé, qui renseigne, dans la foulée : « Notre arrière-grand-père et tous les membres de la famille qui l'ont accompagné dans ses pérégrinations étaient à la recherche d'espaces où ils pouvaient pratiquer leurs activités agricoles en toute quiétude ». Trouvant les lieux adaptés et propices à l'agriculture et à l'élevage, la famille d'Amadou Khoulé a choisi de s'établir sur ces lieux qui s'étendaient alors de l'actuel village de Ouarack, à l'est de Louga, à celui de Makka Bira Guèye, l'un des rares villages habité de cette zone.
C'est en 1950, sur l'initiative d'un notable de la famille du nom de Galaye Khoulé, que l'Administration coloniale établit le premier Certificat administratif qui attribua au village un espace de 4 kilomètres carrés situé sur la partie est de la ville et qui constitue l'acte de naissance administratif du village traditionnel de Ndiang Khoulé.
Les « miraculés » des épidémies de 1900 et 1930
Le 20ème siècle a été un triste tournant dans la vie des descendants d'Amadou Khoulé. Alors qu'elle se sentait bien dans son terroir du Ndiambour, avec des activités agricoles florissantes, la famille subit un sort mystérieux. Une épidémie d'origine inconnue s'abat sur elle et des centaines de ses membres y ont perdu la vie en quelques jours. « On enterrait les gens à un rythme tel que nos espaces de terre étaient quasiment transformés en cimetières du fait de la cadence avec laquelle les personnes décédaient », raconte Baye Dame Khoulé pour qui : « la seule explication donnée à ce triste phénomène était d'ordre génétique puisque les mariages se scellaient entre membres proches de la famille et les décès n'étaient enregistrés qu'en son sein ». Toutefois, même si cet argument brandi ne reposait sur aucune base scientifique, l'amer constat du nombre élevé de personnes décédées à cette époque était réel.
Mais le mal n'était pas fini. Dans les années 30, alors que la famille peinait à oublier le triste sinistre du début du siècle, survint une autre épidémie de peste qui a eu des effets plus meurtriers et dévastateurs sur la famille Khoulé. Là, elle a presque perdu tous ses membres et, seuls quatre hommes ont survécu à l'épidémie, si on en croit Amadou Khoulé. D'après son récit : « Seuls quatre hommes avaient survécu à cette épidémie de peste qui avait quasiment décimé toute la famille, réduite presque à néant». C'est à partir de ces quatre hommes miraculés qui ont pour nom Modou Bousso, Maniane, Mame Aly, Mbaye Khoulé, tous descendants du fondateur du village, que la famille s'est reconstituée là et s'est élargie au fil des temps pour faire du village de Ndiang Khoulé l'une des localités les plus peuplées de la ville de Louga aujourd'hui.
Une tradition qui défie les temps modernes
Le village de Ndiang Khoulé, à cheval entre la commune de Louga et celle de Nguidileu, garde jalousement certains aspects de la tradition héritée de son passé. Il est placé sous la tutelle directe d'un chef de village désigné sous le double critère d'appartenance à la descendance familiale et à l'âge: « Le choix du chef de village repose sur le critère de l'âge, étant entendu qu'il doit être l'aîné de toute la lignée directe et la personne la plus âgée de la famille Khoulé », précise Amadou Khoulé, qui dévoile le rôle de ce dernier dans le fonctionnement des affaires familiales. Selon lui, toutes les décisions majeures, relatives au fonctionnement de la famille, doivent être approuvées par le chef de village qui a aussi le seul droit de véto à opposer sur la marche des affaires de la famille. À ce jour, le village est dirigé par Abdou Khoulé, âgé de près de cent ans.
Mieux, l'organisation du village et la gestion de ses affaires reposent sur des Groupements d'intérêt économique (Gie) dont le premier est créé depuis 1975 et composé essentiellement de personnes adultes. C'est une sorte d'assemblée consultative pour définir les orientations du village, sans compter celui regroupant les jeunes dont les avis sont recueillis dans les décisions portant des activités et programmes de leur localité. « C'est une démarche inclusive et participative qui est un legs hérité des fondateurs du village que nous avons gardée et en avons fait notre mode de fonctionnement », explique Amadou Khoulé.
Propriétaire d'un vaste espace de terre légué à la famille, cette dernière, sous la conduite du chef de village, interdit toute vente de leur terre, exclusivement destinée à l'exploitation agricole et à usage d'habitation pour les personnes nécessiteuses. Plus explicite, Baye Dame Khoulé révèle : « Depuis nos ancêtres, il est formellement interdit de vendre des terrains appartenant au village. Nous les cédons gratuitement aux personnes nécessiteuses pour usage d'habitation et à titre de prêt ou de location pour tout exploitant agricole ou pour des actions d'utilité publique». C'est pourquoi, selon Cheikh Khoulé, président de la commission familiale : « Nous venons de terminer un lotissement de 1394 parcelles, à usage d'habitation, destinées aux personnes nécessiteuses qui en font la demande car, la vente de terrain est bannie au village de Ndiang Khoulé ».
Dans cette même perspective, renseigne le président de la commission familiale, le village a construit plusieurs mosquées et érigé des Daara (écoles coraniques) de capacités d'accueil variant entre 200 et 300 élèves et où les enseignants et les apprenants sont entièrement pris en charge par les ressources du village, sans compter les activités agricoles qui se perpétuent sur un périmètre de 15 hectares : « Cette exploitation agricole entre en droite ligne dans le respect de la tradition familiale et les recettes générées servent à appuyer des populations nécessiteuses », renseigne Baye Dame Khoulé, le gérant.
C'est dire que le village traditionnel de Ndiang Khoulé, malgré sa présence dans le milieu urbain et les tentations modernes, a conservé ses structures traditionnelles et son organisation classique héritées de ses ancêtres et qui font de ce lieu une référence en termes d'organisation traditionnelle.