Ile Maurice: Fraudes dans l'offshore - La levée du secret bancaire bienvenue

La levée du secret bancaire par le Privy Council dans l'affaire Stanford Asset Holding est abondamment commentée ces jours-ci. Si les spécialistes trouvent en cette démarche une affirmation des autorités d'agir efficacement et avec diligence pour rappeler la primauté du droit à Maurice, on ne peut aucunement occulter le fait que la médiatisation de cette affaire couplée à d'autres qui ont défrayé la chronique ces derniers jours peuvent potentiellement écorner l'image de la juridiction mauricienne.

Au coeur de cette affaire, il y a Stanford Asset Holding, une société de gestion enregistrée aux Seychelles, avec sa filiale Green way PCC, domiciliée dans l'offshore mauricien. Et qui, apprend-on, serait victime d'une fraude de presque Rs 500 millions (USD 11 145 000) sous forme d'un transfert, qualifié d'illégal, de son compte bancaire détenu à AfrAsia Bank vers Keystone Properties.

Pour y voir clair et connaître l'identité des bénéficiaires de ce transfert de fonds, Standard Asset Holding a d'abord frappé à la porte de la Cour suprême, réclamant un ordre pour enlever le secret bancaire. Face au refus de celle-ci, arguant que c'est le devoir d'une banque de protéger la confidentialité des informations sous la loi mauricienne, Stanford Asset Holding s'est tournée vers le Privy Council, qui a renversé le jugement la Cour suprême en l'autorisant à agir en conséquence.

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Dès lors, les choses se sont précipitées avec à la clé la décision de la Cour suprême, le 14 août, de geler les avoirs de 11 personnes et de trois entreprises dans le cadre de l'action engagée par Stanford Asset Holding Ltd. Parmi les concernés, l'avocat-député Khushal Lobine qui s'interroge, dans la presse, sur le timing de ce «freezing order» de la plus haute instance judiciaire de Maurice. Il se défendra, dit-il, prochainement auprès de la juge en Chambre pour s'expliquer sur cette affaire avec preuves à l'appui. Et il se demande comment un homme de loi, qui représente un des protago- nistes, se retrouve aujourd'hui sous le coup d'une injonction. Tout en maintenant que les honoraires versés sur son compte, soit USD 46760 (presque Rs 2 millions) proviennent de Keystone Properties qui a retenu ses services comme avocat depuis 2019. «Tout a été fait de manière transparente après que j'ai envoyé ma facture. Je ne suis ni bénéficiaire ni actionnaire de ces entreprises. C'est extrêmement grave si on commence à geler les avoirs d'avocats qui ont perçu des honoraires en cour», s'exclame-t-il dans la presse ces derniers jours.

Le secteur financier, une proie facile

Pour le moment, certains cherchent à donner une connotation politique à cette affaire alors que d'autres, notamment des avocats indépendants, ont des avis mitigés. À l'instar d'Antoine Domingue, Senior Counsel, qui estime que Me Lobine peut seulement contester le gel des avoirs devant la cour alors que son confrère Sanjeev Teeluckdharry trouve que l'avocat-député a tort d'imputer des motifs à la Cour suprême quant au «timing» de cet ordre de gel des avoirs, précisant que la démarche de la Cour suprême est forcément dictée par l'existence d'une preuve «prima facie» contre l'avocat Lobine.

Me Siv Pottaya, avocat chez Wortels Lexus, apporte un autre éclairage à l'affaire Stanford Asset Holding. Selon lui, les banques se servent du secret bancaire, aujourd'hui, pour ne pas divulguer des informations qu'elles jugent confidentielles. De la même manière, la Cour suprême a suivi le même modus operandi et n'a que dans de très rares occasions ordonné que le secret bancaire soit levé. «À mon avis, il y a une tolérance, voire une certaine méconnaissance, de nos législations bancaires, surtout dans les cas de fraudes par rapport au secret bancaire. J'estime que le Privy Council a eu raison de venir avec ce jugement et de rappeler dans la foulée à la Cour suprême qu'en cas de fraude, cette interdiction liée au secret bancaire ne s'applique pas.» Une opinion que partage d'ailleurs Kishore Pertab en s'appuyant sur les recommandations du GAFI (Groupe d'action financière) et des dispositions légales de la Financial Intelligence and Anti-Money Laundering Act (FIAMLA).

Le gel des avoirs concerne par ailleurs d'autres personnes, dont Patrice Lajeunesse et des proches (Claudia Lajeunesse, Gislain Stephano Lajeunesse et Ilyan Lajeunesse). Patrice Lajeunesse se déclare comme l'unique actionnaire de Keystone Properties, incorporée en septembre 2019 et qui aurait contracté un prêt de USD 11 145 000 pour financer des projets immobiliers, dont la phase 1 de North Point destinée aux étrangers. Mais il y a aussi l'homme d'affaires Hamza Aneel Goolbar, habitant du sud du pays et un des actionnaires d'AL Hisra International Ltd, frappé de ce gel des avoirs ; Frédéric Touati, milliardaire français et promoteur impliqué dans le méga projet de Plaisance City s'étendant sur une vingtaine d'hectares, et Yusuf Ali Maghoo, promoteur immobilier de luxe et ex-candidat de l'alliance PTr-PMSD lors des élections municipales de décembre 2012, entre autres.

Sans doute, cette affaire polarise l'attention des acteurs de cette industrie comme d'autres où le centre offshore est pointé du doigt, plus particulièrement dans la presse internationale. Il y a ainsi le cas allégué d'évasion fiscale impliquant un groupe français de bâtiment et travaux publics (BTP), Fayat, dont les deux filiales seraient soupçonnées d'avoir utilisé le centre offshore pour un montage fiscal illégal en vue d'être exempté d'impôt à Maurice. Ce cas, qui a fait l'objet d'une enquête de Mediapart, journal d'investigation français en ligne, s'ajoute à d'autres comme le scandale du groupe indien Adani du milliardaire Gautam Adani ou encore le gel des fonds libyens en mars, démontre que le centre offshore est loin d'être à l'abri des secousses qui peuvent le fragiliser.

Toujours est-il que les opérateurs ne se sentent nullement inquiétés, sachant qu'il existe un suivi rigoureux par les instances régulatrices des services financiers pour s'assurer que les fraudes ou autres cas de blanchiment d'argent ne refassent surface. «L'affaire Stanford Asset Holding a le mérite de rassurer les opérateurs du Global Business que les autorités seront impitoyables contre les fraudeurs dans ce secteur. Elle montre que nous vivons dans un État de droit et que personne ne peut s'enrichir sur la base d'un transfert de fonds allégué et douteux», insiste Shahed Hoolash, Managing Director de Vistra (Mauritius) Ltd et un des directeurs de Mauritius Finance. John Chung, Managing Partner chez KPMG, abonde dans le même sens, rappelant que le secteur financier doit atteindre un niveau de maturité et que ses transactions ne doivent pas reposer dans l'opacité de ses opérations.

Quoi qu'il en soit, le secteur financier, tiré par le Global Business, demeure une proie facile pour ces opérateurs et financiers milliardaires qui ne reculeront devant rien pour contourner le système et s'enrichir. Il suffit que les autorités renforcent les garde-fous et s'emploient à sévir pour rendre le centre financier crédible, peu importe si l'investisseur se nomme Álvaro Sobrinho ou Gautam Adani.

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