Les affrontements entre agriculteurs et éleveurs se multiplient dans les communes du Noun. A Foumbot deux campements mbororos ont été incendiés. Sans réaction efficace des autorités alors que la Constitution révisée du 18 janvier 1996 prévoit que « l'Etat assure la protection des minorités et des populations autochtones ».
Frère cadet et très influent premier adjoint (« Gbètnyi Fon » en langue Bamoun) du sultan des Bamouns, Nji Adamou Pekassa Mbombo Njoya, a convoqué courant mi-aout 2023 quelques dignitaires coutumiers et traditionnels des villages du département du Noun dans l'optique de rappeler les uns et les autres à l'ordre et d'instituer un dialogue pour mettre fin aux affrontements intercommunautaires liés aux affaires foncières avec pour corollaires des destructions et des scènes de pillage. Plusieurs personnalités appelés au palais de Foumban ne s'y sont pas rendus au motif qu'ils sont qualifiés de « chefs de communautés » et non de « chefs traditionnels ».
Une différenciation terminologique qui semble traduire qu'au fil des jours la tension monte dans les localités du département du Noun. Il y a quelques jours, deux campements occupés par des Mbororos depuis de nombreuses années ont été incendiés par des jeunes gens dans l'arrondissement de Foumbot. Les assaillants clament, publiquement, que les Mbororos n'ont pas de droits fonciers dans le département du Noun. Jusqu'ici, aucune mesure n'a été prise par les autorités administratives locales pour établir les responsabilités et réparer le tort.
Pourtant, selon la loi, l'Etat a le devoir d'assurer la protection et la sécurité de cette couche vulnérable camerounaise. Surtout que la Constitution révisée du 18 janvier 1996 prévoit que « l'Etat assure la protection des minorités et des populations autochtones ». Au sens du droit international, les Mbororos et les pygmées du Cameroun sont catégorisés « populations autochtones ». Ce qui implique une protection juridique « renforcée » étant donné que le gouvernement camerounais a ratifié plusieurs textes internationaux qui servent de bases juridiques à la protection des « minorités vulnérables » et des « populations autochtones.»
Le silence des autorités
Une situation similaire prévaut depuis quelques semaines dans les villages installéssur la Rive Gauche du fleuve Noun.Indignés, les membres du collectif des chefs traditionnels de ce espace ne savent plus où se plaindre en cette première décade du mois d'aout 2023. Suite aux violences dont sont victimes depuis des semaines des paysans qui y travaillent, ils ont saisi le commandant de la légion de gendarmerie de l'Ouest pour demander que les présumés délinquants soit recherchés et auditionnés. Mais plus de 21 jours après cette plainte, aucun acte de procédure n'a été posé. « C'est un sujet délicat. On ne peut s'y lancer comme ca », laisse entendre une source proche de la gendarmerie.
Egalement informé des actes de violences qui se répètent sur la rive gauche du Noun, le patron de la région de l'Ouest ne s'est pas mobilisé pour convoquer les protagonistes de cette crise. « Nous avons remis, depuis mi-juillet, aux autorités une liste des présumés agresseurs des paysans. Rien n'a été fait. Les numéros de téléphones des personnes que nous avons vu agresser et piller dans les plantations ont été communiqués à la haute hiérarchie de la gendarmerie. Plus de trois semaines après, aucune audition des suspects n'a été menée. Nous sommes tentés de croire que notre droit à la dignité et à l'égalité devant la loi a été bafoué.
On pille , on vole, on agresse et on demande à certains Camerounais de rentrer chez eux », se plaint un membre du collectif des chefs traditionnels de la rive gauche du Noun. Reste que certains originaires du département nuancent. « Les actes de quelques délinquants ne doivent pas être imputés sur le dos d'une communauté. Il faut beaucoup de discernement et de prudence lorsqu'il s'agit de traiter des cas de violences ou de pillages sur la rive gauche du Noun », conseille une source proche du sultanat de Foumban, chef-lieu du département du Noun. Henri Fotso, journaliste à la réputation établie a, le 14/08/202314 août 2023, signé un article publié sur le site d'informations en ligne (https://www.dw.com/fr), un article qui retrace l'inquiétude des populations Mbororos dans le département du Noun, notamment à Didango, village où ils se sont sédentarisés depuis environ un siècle.
« A Didango dans le Noun, dans l'ouest du Cameroun, les surfaces cultivables réduisent chaque jour un peu plus les espaces de pâturages, ce qui alimente des conflits entre éleveurs et agriculteurs », écrit-il. Et de poursuivre en situant cette chefferie de 3e degré peuplée en majorité d'éleveurs Mbororos et noyée en plein coeur du sultanat Bamoun, une autre chefferie de Ier degré basée à Foumban et dominée par des artisans et agriculteurs : « Au milieu des vastes terresvolcaniques du sultanat bamoun, sur les hautes terres de l'Ouest-Cameroun, Didando, un village de 450 hectares est coiffé par un chef de troisième degré. On y trouve des plantations de maïs, de tomates, de haricots, de pommes de terre et autres cultures saisonnières. »
Conflits agropastoraux
Interrogés par Henri Fotso, Garga Moussa et Njoupou Aminch Abdou, deux cultivateurs, parlent de « la situation critique qui prévaut dans cette localité ». "J'ai eu à faire un champ d'un hectare et demi dans lequel j'ai mis le haricot et le maïs. Mais les boeufs ont tout dévasté ce champ-là. Je n'ai rien récupéré", dit Garga."Le boeuf nous gêne. Vous avez vu comment on se bat ici avec la clôture avant de faire un champ. Quand on travaille comme ça, le boeuf vient entrer dans la plantation. Nous qui sommes le bas peuple, on ne peut pas aller devant avec celui qui a le boeuf-là", explique Njoupou. Les Mbororos constituent une communauté d'éleveurs traditionnellement nomades que redoutent ces agriculteurs. Pourtant, souligne le rédacteur dehttps://www.dw.com/fr, de leur côté, les éleveurs s'estiment spoliés de leurs pâturages, selon Adam Saïd, berger mbororo. "En tant qu'éleveur, les difficultés que nous avons ici avec les agriculteurs sont énormes. Actuellement, les agriculteurs ont envahi l'espace réservé à l'élévage."
Dans les autres localités agro-pastorales du Noun, comme au Mont Mbapit, à Kouden et à Kouchankap, des agriculteurs sont aussi accusés d'avoir envahi les zones pastorales, portant régulièrement atteinte à l'intégrité physique des bovins. Il s'ensuit généralement des affrontements violents entre les membres des deux communautés. Et ces hostilités s'enchaînent depuis des années du fait de l'impunité consacrée par les autorités judiciaire et administrative du département du Noun. Plus simplement, la Déclaration des nations unies pour les droits des peuples autochtones n'est nullement validée par les autorités administratives locales.
L'article 7. 2 de ce texte énonce : « les peuples autochtones ont le droit, à titre collectif, de vivre dans la liberté, la paix et la sécurité en tant que peuples distincts et ne feront l'objet d'aucun acte de génocide ou autre acte de violence, y compris le transfert forcé d'enfants autochtones d'un groupe à un autre. » Du côté de la ligue des droits et des libertés, la question de l'impunité se trouve au centre des préoccupations. Et Charlie Tchikanda soutient que ceux qui persécutent les membres de la minorité mbororo ou celles des autres communautés installées dans le département du Noun doivent être recherchés et punis conformément à la loi.
D'où l'exhortation de l'Etat du Cameroun à suivre les orientations de article 8.2 du texte Onusien qui déclare que « les états mettent en place des mécanismes de prévention et de réparation efficaces visant : a) tout acte ayant pour but ou pour effet de priver les autochtones de leur intégrité en tant que peuples distincts ou de leurs valeurs culturelles ou leur identité ethnique; b) tout acte ayant pour but ou effet de les déposséder de leurs terres, territoires ou ressources.»
La démission de l'Etat
Amadou Rouphai est le Chef Mbororo de Didando depuis 2007. Contacté par Henri Fotso, il dit : "Nous nous retrouvons obligés de réduire notre cheptel, ce qui est vraiment insuffisant pour nourrir toute la nation. C'est pour cela que je demande à l'administration publique de revoir ce problème afin que l'élevage perdure dans notre pays .» »Au fil du temps, nous avons peur des affrontements. Si l'Etat ne regarde pas cette affaire à la loupe, et dans les délais requis pour que le vivre ensemble perdure, pour que les autres communautés puissent comprendre que nous ne sommes pas des étrangers, nous sommes des Camerounais, nous devrions nous respecter mutuellement", accuse ce chef traditionnel.
Il plaide pour le respect du principe de « l'égalité des citoyens » et pour une « considération » de tous les habitants du Noun » qu'ils soient Bamoun ou pas. Ce discours est aussi tenu du côté de la rive gauche du Noun où sévissent des affrontements réguliers entre deux communautés qui discutent des espaces pour l'agriculture. Ces hostilités sont marquées par des scènes de pillage et de destruction des biens. Et la spirale négative semble se prolonger.