Dakar — Le linguiste, éditeur et économiste sénégalais Pathé Diagne, décédé mercredi, et dont l'inhumation est prévue jeudi, à Dakar, est "un intellectuel audacieux, tenace et courageux", auteur de plusieurs écrits et combats liés aussi bien à la culture qu'à l'économie, notamment sur le développement durable, a témoigné le professeur Babacar Diop Buuba.
"C'est le Sénégal, l'Afrique et le monde qui perdent un grand savant, un homme de courage, un intellectuel audacieux, tenace et qui a le sens de l'humour", a confié à l'APS le professeur Diop, enseignant à l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar.
Pathé Diagne, mort à l'âge de 89 ans, a publié des ouvrages, des articles sur la culture africaine. Cet historien des civilisations a copublié avec Alpha Ibrahima Sow (Guinée), Ola Balogun (Nigeria) et Honorat Aguessy (Bénin) le livre intitulée "Introduction à la culture africaine", édité en 1979 avec l'appui de l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la Culture (Unesco).
Selon Buuba Diop, Diagne possède aussi de grandes qualités en langues africaines, citant son ouvrage intitulé "Grammaire de Wolof moderne" publié en janvier 1971 par la maison d'édition "Présence africaine" à Paris. "Il a traduit en wolof beaucoup d'ouvrages de haute facture à l'image du Saint Coran et de la nouvelle russe +Le manteau+ de Nicholas Gogol publié en 1842 dans le recueil +Les nouvelles de Pétersbourg", souligne-t-il.
Ami de Sembène Ousmane et de Cheikh Anta Diop
Pathé Diagne a traduit le Coran en wolof, en 1997, sous le titre "Al Xuraan ci wolof". Attaché à une Afrique polyglotte et pluriculturelle à laquelle il a consacré de nombreuses publications, il était un ami du cinéaste sénégalais Sembène Ousmane dont on célèbre le centenaire cette année et de l'Egyptologue Cheikh Anta Diop. "Ils se retrouvaient souvent à la bibliothèque de la librairie »Sankore » dont il est le fondateur. Ils ont beaucoup de chose en commun", relève Buuba Diop, rappelant que le linguiste a été la cheville ouvrière du premier journal en langue nationale, "Kaddu".
"Senghor a beaucoup créé de problèmes à Pathé Diagne. Il suffisait d'avoir sa thèse pour enseigner à l'université, mais il a trouvé un prétexte pour l'éjecter comme il l'a fait avec Cheikh Anta et l'empêcher de continuer sa carrière. Senghor ne voyait pas d'un bon oeil Pathé Diagne qui prônait une éducation dans les langues nationales", témoigne l'ancien médiateur de l'Ucad.
Dans son livre "Léopold Sédar Senghor ou la Négritude, servante de la francophonie et le festival panafricain d'Alger", publié en 2006, Pathé Diagne attaque Senghor et la Francophonie qui, selon lui, n'est qu'un "mode de génocide culturel inventé par le général De Gaulle". Pathé Diagne et Sembène Ousmane ont été les invités de marques de l'Algérie en 1969 lors du festival panafricain d'Alger organisé trois ans après le Premier festival mondial des arts nègres (1966), a rappelé Buuba Diop.
L'ami d'enfance de Abdou Diouf
Né le 7 janvier 1934 à Saint-Louis du Sénégal, Pathé Diagne a cheminé dans son enfance au collège comme au lycée avec l'ancien président du Sénégal Abdou Diouf, successeur de Léopold Sédar Senghor, raconte l'enseignant, se rappelant qu'avec l'arrivée au pouvoir de Diouf, Pathé Diagne et Sembène avaient plus de l'attitude. "Il a été un grand ami de Abdou Diouf, de Amady Aly Dieng, Samir Amin...", lance-t-il.
"Avec ce que l'on a appelé la +désenghorisation+ à l'époque, il y a eu une ouverture sur beaucoup de questions avec Cheikh Anta Diop, et Pathé a été la cheville ouvrière pour faciliter les contacts", précise-t-il. Il a enseigné la linguistique aux Etats-Unis. Abdou Diouf a permis à Pathé Diagne d'enseigner à l'Université. mais, précise Buuba Diop, »il va continuer à défendre ses points de vue malgré cette proximité".
Pathé et la contradiction
Le défunt linguiste Pathé Diagne, oncle du philosophe et écrivain Souleymane Bachir Diagne, aimait porter la contradiction, estime Babacar Diop Buuba, qui se souvient des débats entre Pathé Diagne et Amady Aly Dieng sur des questions économiques. "Pathé Diagne a beaucoup écrit sur les politiques nationales, notamment sur le développement durable et a produit de textes sur les barrages", signale-t-il.
Le panafricaniste a démontré dans son livre " Bakary II (1312) et Chistophe Colomb (1492) à la rencontre de Tarana ou l'Amérique" que l'empereur du Mali (Bakary II) a effectué un voyage transatlantique. Pour lui, celui-ci est le précurseur de la mondialisation. Ce livre, selon Buuba Diop, vise à montrer, par des expéditions en mer, que la navigation transatlantique se pratiquait à partir de l'Afrique et de l'Europe bien avant Christophe Colomb.
Babacar Diop Buuba relève que le plus grand débat a été celui relatif à la "désarabisation du Coran", car le linguiste Pathé Diagne a rejeté l'hégémonie islamo-orientale que peut entraîner l'association de l'arabe à l'islam. "Je me souviens du débat qu'il a eu avec Sidy Lamine Niass de Walfadjri sur le sujet de la »désarabisation ». Il y a eu une diversité de perceptions à ce sujet. Pathé Diagne était très courageux, osé et posé", a indiqué Diop.
L'historien Ndiouga Benga cite Pathé Diagne parmi les patriarches des sciences sociales au Sénégal de la trempe des Abdoulaye Ly, Cheikh Anta Diop, Abdoulaye Bara Diop, Fatou Sow son épouse, Amady Aly Dieng Momar Coumba Diop, Boubacar Barry, et Cheikh Ba. »Sa maison d'édition Sankore a été une source d'inspiration pour de nombreux chercheurs. (...) Il s'était beaucoup investi dans Le Mémorial de Gorée », témoigne-t-il.
Pathé Diagne, beau-frère de Serigne Babacar Sy de Tivaouane et de Serigne Abbass Sall de Louga, est un universitaire, chercheur et enseignant qui a mené ses études doctorales en Sorbonne, à Paris. Il a, outre ses nombreuses publications dans le domaine de la linguistique moderne et de l'archéologie linguistique, contribué à l'histoire de l'Afrique écrite par l'Unesco.