Tunisie: Rentrée scolaire - Face à un dilemme cornélien.. !

24 Août 2023

On est bien décidé à «changer l'école». Très bien, mais il serait heureux que ceux qui seront pressentis pour organiser la consultation aient vécu, ne serait-ce qu'en partie, l'époque où les valeurs tunisiennes héritées de nos aïeuls étaient enseignées.

Ce que les manuels scolaires n'évoquent pas était suscité par des éducateurs qui s'attachent à rappeler, à leurs élèves, ces valeurs de droiture, d'équité, de fidélité, du respect d'autrui, de justice et bien d'autres qualités incontournables, fondamentales pour vivre avec l'autre, le respecter, l'assister et l'aider. Un pays, c'est une grande famille. Les manuels scolaires l'expliquent, les enseignants le confirment par des actions qui marquaient l'élève et le poussent à réfléchir et à tirer des conclusions.

A la veille de cette rentrée scolaire, la tutelle calcule le nombre d'écoles, de collèges et de lycées, de classes, d'enseignants qu'il lui faudra pour assurer à toutes les Tunisiennes et Tunisiens la possibilité de figurer parmi les futures générations sur lesquelles ce pays pourra compter pour reprendre le rythme de formation qui était le sien, il y a quelques années. Ces calculs, hélas, ne sont pas les seuls qui empoisonnent les dernières semaines de vacances des parents. Des milliers de familles sont au-devant d'un dilemme cornélien : pourront-ils encore compter sur une école publique qui a déjà montré les limites de ses soucis pédagogiques, en donnant à ses élèves une image si peu resplendissante de ce qu'est un enseignant ?

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Scolarité à deux vitesses !

Et c'est alors que les calculettes entrent en jeu. Dans le cas où il ne faudrait plus avoir confiance, comment s'en sortir en pliant bagage et en rejoignant ceux qui ont déjà pris leur décision et juré qu'ils ne se feront plus avoir ?

«L'éducation est un droit pour tous les citoyens». Oui, mais comment s'en sortir si ceux qui seront chargés d'éduquer ont bien des choses à se faire reprocher ? «C'est leur affaire, il n'est plus question de revivre les péripéties de l'année dernière. Nous avons décidé de retirer notre fille et de l'inscrire dans le privé. C'est, heureusement, une bonne élève et cela ne posera pas de problème. Elle s'en tirera facilement. Au besoin, nous la pousserons lors des premiers mois, mais je ne pense pas que cela sera nécessaire. C'est une fille brillante. Elle doit être la meilleure», a laissé tomber une mère qui attendait son tour pour entrer dans une école privée. Il y avait du monde. Entre dix et quinze personnes prenaient leur mal en patience, du côté d'El Menzah.

La scolarité à deux vitesses, dira-t-on. Difficile d'arrêter ce convoi plein de personnes ulcérées et qui en veulent à tous ceux qui ont joué avec leurs nerfs des mois durant. De toutes les façons, ce genre de réaction n'est pas seulement motivé par les problèmes qui se sont posés, mais par un désir aussi ferme que profondément ancré dans leurs convictions, que l'avenir sera pour celui qui sera le meilleur. L'élitisme en marche, pour ainsi dire.

Pour ce faire, il n'y a qu'une seule et unique possibilité : tout consacrer pour que l'enfant soit sérieusement pris en main. Le plus tôt possible. Franchement, nous a confié un parent, lorsque l'on voit que nos universités sortent encore des jeunes dans des spécialités qui n'ont plus d'avenir, comment continuer à avoir confiance ? «J'espère que ceux qui seront à plancher sur la reprise en main de la situation y penseront. L'école de papa c'est terminé. Il y a des matières, des spécialités qui ne mènent nulle part».

C'est un autre problème que cette histoire de choix de filières. Elles devraient, en effet, donner des nuits blanches à ceux qui auront la lourde responsabilité de réformer l'école.

Cela coûte cher

Mais s'inscrire dans le privé ce n'est pas donné. La demande dépassant l'offre, chacun y va de ses superlatifs pour vanter la qualité des services que l'on rend. Et cela alourdit le poids des dépenses pour des parents prêts à tout pour «faire arriver» leurs enfants, mais fortement éprouvés par le renchérissement du coût de la vie.

«Nous vivons avec ce que je perçois comme traitement. La mensualité de mon mari va directement vers ce que nous payons pour nos trois enfants. Cela fait deux ans que nous tenons le coup, mais nous voulons absolument qu'ils réussissent. Dans le monde il n'y a plus de place pour les médiocres. Nous avons des parents qui sont au Canada. Nous les enverrons là-bas ! », prévoit- elle. Voilà, c'est clair, ces parents, et d'autres encore, sueront sang et eau pour offrir des cadres tout prêts à l'emploi à des pays nantis qui n'attendent que cela.

Aux côtés des trimestres à payer, les écoles fournissent tout. Du tablier au crayon ou à la gomme dont ont besoin les élèves. Les manuels scolaires sont importés. Et cela coûte horriblement cher. Pour les langues, les programmes sont tout autres. Dans les écoles privées, les langues sont généralement programmées dès la première année. Cela nous donne une idée de ce qui se passe lorsque des enfants du même âge se rencontrent et voudraient discuter de leurs écoles respectives et de ce qu'ils y font.

Nous avons appris que des dispositions ont ou seront prises pour interdire l'obligation de tout acheter auprès de l'école. Encore des problèmes en vue, car il sera difficile de suivre et de savoir ce qui se passe une fois la porte fermée.

La qualité des enseignants en jeu

Toujours est-il que cette histoire de fournitures, si elle arrondit les bénéfices des écoles, ne constitue en rien le problème principal. C'est la qualité des enseignants qui est en jeu. «Les programmes étatiques sont respectés. Nous ne prenons que des enseignants qui ont une bonne expérience et ceux qui sont bien notés pédagogiquement. Nous avons seulement l'avantage d'être beaucoup plus à jour et beaucoup plus proches de nos élèves qui assimilent sans aucun effort supplémentaire ce que nous leur inculquons », nous a précisé une directrice avec un sourire un peu contrit, en raison de la discussion engagée avec ceux qui sont sur le pas de la porte et se préparent à entrer.

Il est vrai que certains haussent la voix et cela finit par déranger l'ordre qui y régnait.

Un balai à la main, la femme de ménage ne tolérait pas un seul bout de papier ou une boule de gum rejetée avant que le sésame ne s'ouvre et qu'on entre pour mettre son enfant sur l'orbite de lancement. Nous sommes loin des cours pleines de crevasses, des portes vacillantes et des toits qui s'effondrent, faute d'entretien...

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