Sénégal: Hépatite - Ibrahima Guèye, le long combat d'un greffé du foie

- Ibrahima Guèye vit avec le coeur débordant de gratitude depuis que sa fille, Ngoné, avec laquelle il entretient une relation fusionnelle comme tout bon père, a accepté de lui donner une partie de son foie lors d'une opération de greffe en 2021. Cette générosité agissante, pour ne pas dire ce sacrifice de soi, lui a permis de guérir complètement de l'hépatite B, une maladie dont il a été diagnostiqué positif en 1978. Depuis lors, il a fait de la lutte contre l'hépatite son cheval de bataille, surtout dans le cadre des activités de son association, "Safara Hépatite", fondée en 2011.

Ibrahima Guèye ne peut s'empêcher de verser des larmes, à chaque fois que l'occasion lui est donnée d'évoquer l'histoire de sa maladie, qu'il a contractée en 1978, et la greffe du foie qui s'en est suivie en décembre 2021, à l'hôpital universitaire de Mansoura, en Egypte. Et son émotion est d'autant plus grande que son donneur n'est personne d'autre que sa propre fille aînée, Ngoné. Une preuve de générosité extrême qui a permis au seul greffé du foie connu au Sénégal de guérir complétement de l'hépatite.

"J'avais ma fille aînée Ngoné Gueye comme donneur et mon frère comme accompagnant en Egypte. Nous étions partis pour trois mois. Finalement, nous y sommes restés une année entière", raconte Ibrahima Guèye. Il indique qu'à leur arrivée en Egypte, lui ainsi que sa fille ont été contraints de refaire les tests. Entre temps, poursuit-il, Ngoné souffrait d'une inflammation et d'une anémie sévère.

"Il fallait trouver un autre donneur ou traiter la maladie du donneur initial", raconte le père de famille, qui, un moment, avait cru que la chance de guérir allait lui filer entre les doigts.

Versant de chaudes larmes, il s'empare d'un mouchoir en tissu avant de poursuivre son récit. "La veille de l'opération, je ne cessais de penser à cette mère de famille, ma fille, qui avait laissé son mari et deux enfants pour me donner une partie de son foie."

Heureusement, Ngoné, qui tenait beaucoup à aider son père, sera traitée en trois mois au bout desquels ses soignants la déclarent apte à subir l'opération. Aujourd'hui encore, il se souvient de l'attente poignante, à deux jours de l'intervention chirurgicale. "C'était le stress. Nous étions dans une même chambre et à chaque fois que je la regardais, j'étais pensif, mais c'est elle qui me réconfortait", déclare-t-il.

Selon lui, le plus dur a été le réveil après l'intervention chirurgicale. "Après l'opération, le réveil a été difficile. La nuit vers 20 heures, la première chose que je voulais, c'était de me relever et savoir ce qu'était devenue ma fille. C'était pesant et nous sommes restés quatre jours sans nous voir", s'est souvenu Ibrahima Guèye.

Touché par le don de soi de sa fille, le père de famille est si ému qu'il ne sait pas comment décrire le sentiment qu'il ressent depuis lors. "Je ne cesserai de prier pour ma fille, Ngoné Guèye. Son foie est en moi, je ne sais pas comment exprimer ce que je ressens", dit Ibrahima Guèye, qui, 40 ans durant, s'est battu contre l'hépatite.

"Je suis complétement guéri, il n'y a plus aucune trace de l'antigène de l'hépatite, ni B ni D", assure-t-il. Il indique même avoir repris certaines activités sportives, notamment la marche et la natation.

Même s'il est devenu indemne de cette maladie, il reste que celle-ci et l'opération qu'elle a nécessitée ont complètement bouleversé sa vie. Il doit en effet désormais suivre un régime alimentaire particulier, à raison d'un seul repas par jour et qu'il doit prendre à 16 heures. "Je commence ma journée par la prise de médicaments à 6 h du matin, à 10 h je prends un petit déjeuner léger et je ne prends un repas qu'à 16 heures. Le seul qui m'est permis jusqu'au lendemain", précise-t-il.

1978, année où tout a basculé

Bien que guéri, Ibrahima Guèye n'en a pas encore pour autant fini avec l'hépatite. Et pour cause, il doit suivre un traitement immunodépresseur au coût astronomique. Celui-ci est censé permettre à la greffe de résister à toute attaque.

"La boite de 100 comprimés, je l'achète en Egypte à 80.000 FCFA, contre 130.000 FCFA au Sénégal pour la boite de 50 comprimés", confie l'ancien pensionnaire de l'hôpital universitaire de Mansoura, situé à quelque 100 km du Caire, la capitale égyptienne

Aujourd'hui encore, Ibrahima Guèye se rappelle, comme si c'était hier, cette soirée de l'année 1978 où il vit sa vie basculer, après un match de football. Il venait d'apprendre qu'il était porteur du virus de l'hépatite. "Je me suis réveillé à l'hôpital Le Dantec un soir de l'année 1978, alors que je jouais un match de finale pour les navétanes [championnats populaires d'hivernage]", raconte-t-il. Il garde encore en mémoire cette phrase d'un médecin qui l'a comme presque assommé : "Vous ne pouvez plus donner du sang parce que vous avez le virus de l'hépatite B."

Le temps était comme suspendu quand il apprit la mauvaise nouvelle. Et celle-ci était d'autant plus terrifiante qu'à l'époque, "la maladie n'était pas bien connue, avec une prise en charge pas du tout évidente".

Habillé d'un pantalon bleu assorti d'une chemise de la même couleur, le père de famille affirme que c'est en 1984 pendant son engagement dans l'armée, que sa maladie lui a été confirmée. Il s'apprêtait alors à faire un don de sang lorsque la mauvaise nouvelle lui fut annoncée.

Ibrahima Guèye qui vit au quartier Touba Ouakam, signale qu'il était de nouveau tombé malade en 2010 pendant six mois. Sa situation s'aggrava quand les spécialistes lui notifièrent qu'il souffrait d'une surinfection et qu'il était passé de l'hépatite B à l'hépatite D (Delta).

"Avec l'hépatite B, il y avait moins de problèmes, mais avec l'hépatite D, il fallait désormais une prise en charge adéquate dès l'instant que la maladie commençait à atteindre le foie", déclare-t-il.

En 2017, il avait subi une première opération du foie en Egypte, grâce notamment à une assistance généreuse et bienvenue de l'African Liver Patients Association, une structure d'aide de patients du foie basée en Egypte dont il est membre.

"C'est grâce à cette association dont je suis membre que je n'ai rien payé pour cette première intervention qui devait permettre au foie de résister pendant cinq ans", se félicite-t-il.

Il ajoute que c'est le chef du service des maladies infectieuses de l'hôpital universitaire de Fann (Dakar), Professeur Moussa Seydi, qui l'avait invité à emprunter la voie de la greffe.

"Il m'a dit textuellement : +J'ai vu tous les efforts que vous faites pour les patients membres de ton association, mais pense à toi-même. Pourquoi pas la greffe ?+", s'est-il souvenu.

Convaincu de l'efficacité de la greffe, l'universitaire et infectiologue lui avait dit de ne pas trop penser au coût, mais plutôt au résultat. "C'est la seule chose qui pourra vous permettre d'avoir une nouvelle vie", se rappelle-t-il d'une voix empreinte de gratitude.

Coût exorbitant

Mais quelle ne fut sa surprise lorsqu'il se mit à se renseigner sur les coûts de la greffe de foie selon les pays. "En France, c'était autour de 195 millions FCFA, en Suisse, 180 millions de francs CFA, au Japon, 80 millions FCFA », rappelle-t-il.

Finalement, il opta pour l'Egypte, où l'intervention coûtait 35 millions de FCFA et où il avait auparavant subi sa première opération du genre. "Ce n'était pas aussi donné. C'était à 35 millions à l'hôpital universitaire Mansoura, et finalement, je me suis engagé avec l'aide de toute ma famille et des bonnes volontés", se souvient Ibrahima Guèye.

"Le traitement était difficile et très cher. Le médicament me revenait à 159.000 FCFA par semaine. Je l'ai pris pendant deux ans. Je peux dire que c'étaient les moments les plus pénibles de ma vie", raconte-t-il, les yeux embués de larmes.

Ibrahima Guèye estime que cette opération a été un »étouffement financier" pour lui, car l'ayant obligé à s'endetter pour recouvrer la santé, avec deux lignes de crédits. "Je suis un croyant. Aujourd'hui, je ne regrette rien. C'était un investissement pour rester en vie. Je rends grâce à Dieu", affirme Ibrahima Guèye, l'air stoïque.

Le président de l'Association "Safara" Hépatite se félicite toutefois de l'introduction, depuis 2016, au Sénégal du vaccin contre l'hépatite à la naissance. Il espère que grâce à ce vaccin, "les générations futures ne connaîtront pas la gravité de l'hépatite." Il insiste aussi sur l'importance du don de sang, qui devrait aider à diagnostiquer très tôt la maladie chez les porteurs.

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