Sénégal: [Feuilles d'hivernage] Missirah Niombato - Là où les Sérères d'origine sont devenus des Socés

25 Août 2023

Dans certaines localités du Sénégal, le brassage culturel et ethnique est d'une flagrance de nature à lever toute équivoque. Missirah Niombato est situé à quelque 13 kilomètres de Toubacouta. Dans cette localité dont le nom fera l'objet de quelques éclaircissements plus tard, vit une communauté de pêcheurs qui se consacre également à l'agriculture dans une moindre mesure. Ces hommes et femmes ont presque tous des patronymes sérères. Cependant, aucun mot de cette langue ne franchit leurs lèvres. Ils n'en comprennent rien. Ces Ngom, Ndour, Diouf et Senghor sont Socés. Du moins, ils communiquent à travers cette langue.

Beaucoup de localités portent le nom de Missirah au Sénégal, mais ne sont pas les mêmes. Il y en a une qui se situe dans le Sine-Saloum, dans la commune de Toubacouta. Pour ne pas s'y perdre, il faut retenir le nom Niombato qui, en socé, veut dire « proche de l'eau ». Le nom complet sera donc Missirah Niombato, et c'est là que ça va devenir intéressant. Comment se fait-il qu'un lieu habité essentiellement par des personnes dont les patronymes sonnent sérère tire son nom du socé ? Eh bien ! c'est parce qu'à un moment donné de l'histoire, des Sérères sont devenus des Socés. Le comment du pourquoi, ou inversement, nous est conté par Mamadou Senghor, arrière-petit-fils du fondateur du village, Fodé Senghor.

À partir de Toubacouta, une route cahoteuse mène à Missirah. Par-delà les zones amodiées et les vastes champs parsemés d'anacardiers, se révèle une bourgade. La simplicité et le commerce facile des habitants font ressasser les mauvais souvenirs de la lointaine capitale sénégalaise, située à près de 235 kilomètres. Missirah Niombato n'en est pas pour autant un village dépourvu de toute infrastructure. La localité ne manque de rien. Enfin, elle dispose d'un centre de santé pour éventuellement prendre en charge les courbatures occasionnées par une voirie catastrophique.

Bref, nous sommes tout de même arrivés entiers chez Ismaëla Senghor. Il est le chef du village. Informé de notre mission de découverte de Missirah, il a fait appel à son frère cadet avec une humilité ; ce qui est devenu rare de nos jours. En attendant l'arrivée de celui-ci, il anime la discussion avec sa voix apaisante. Très moqueur, le vieil homme aux pieds nus demande des nouvelles de la capitale et de sa folie politique. Entouré de ses petits-enfants qui courent dans tous les sens dans la cour, il semble comblé par les soins de ses belles-filles. Après une longue discussion, nous rejoignons le quai de pêche où nous allons trouver Mamadou Senghor, légataire de la tradition de Missirah Niombato. Il nous raconte les origines du peuplement de cette contrée coincée entre forêts et mangroves et de la transition éthique dans le sens sérère-socé.

Une terre promise

Ici, l'activité principale qui fait vivre est la pêche. Missirah Niombato et son quai de pêche iconique offrent une vue imprenable sur la mangrove du Sine-Saloum. En cette journée de marée basse, les mouettes rieuses offrent un fond sonore de ricanements désordonnés et intempestifs. Haut perchées, elles semblent se moquer des nombreux crabes sur la berge. Une forte senteur propre aux produits halieutiques embaume les lieux.

En l'absence de vague, cette odeur est assez présente pour servir d'indicateur olfactif à un non-voyant qui devinera aisément la configuration géographique du village. Entre les pirogues abandonnées par les eaux en retrait se trouve un homme aussi vieux que le chef du village. Petite taille, noirceur caractéristique de Sud-soudanais, regard fuyant, Mamadou Senghor, arrière-petit-fils du fondateur du village, raconte son village. Très habile à traverser les bancs de la pirogue, il se pose finalement sous un soleil peu clément pour nous expliquer qu'aux origines ils étaient Sérères originaires de Joal-Fadiouth du matriclan des fata-fata.

« Mon arrière-grand-père a quitté Joal-Fadiouth et s'est lancé dans la quête d'une terre à habiter. Son périple dans les eaux du delta l'a mené à Djinack-Bara, vers la frontière gambienne. Il a trouvé sur place un oncle maternel doté de science. Mamadou Senghor lui a alors expliqué le désir de trouver une terre vierge où élire domicile. Ils ont cherché ensemble à bord d'une pirogue », raconte le vieux Mamadou Senghor, plein de passion et de patience dans ses explications.

Il poursuit en affirmant que c'est ainsi que son arrière-grand-père a trouvé la contrée qu'il appellera Missirah. « Après avoir passé la nuit seul sur cette terre, Fodé Senghor est retourné à Djinack-Bara pour rencontrer son oncle. Il lui a dit que Missirah est le lieu qu'il avait vu dans un songe plein de mystères et qu'il comptait s'y établir définitivement », ajoute l'historien du village avec un wolof assez laborieux.

À l'époque, Missirah était désert. Les voisins immédiats du fondateur du village étaient des animaux sauvages, notamment des hyènes. « Fodé Senghor a éloigné ces bêtes dangereuses par la prière, car en réalité, c'était un grand érudit que nous considérons comme un saint », explique Mamadou Senghor.

Il précise que l'érudition du fondateur de Missirah se concrétisera des années plus tard, après la création du village, lorsque son grand frère utérin Lamine Senghor le rejoignit sur place. Le premier créa une mosquée qui existe toujours, tandis que le second deviendra le chef du village fraîchement créé. Ainsi est né Missirah qui sera peuplé progressivement par les cousins, frères et amis du fondateur du village.

L'énigme d'un passage de Sérère à Socé

Dans un tout autre registre, et pour ceux qui seraient tentés de visiter la localité, il va falloir appuyer sur le « a » de Niombato pour la bonne prononciation en socé. À défaut, vous passerez immanquablement pour les étrangers que vous êtes.

À quel moment s'est faite la transition ? C'est la grande question à laquelle va tenter de répondre Mamadou Senghor. Prudent, il souligne le fait que beaucoup de versions sont données à ce propos. Mais, pour lui, une chose est sûre : « Senghor n'est pas un patronyme socé ». Dès lors, il reconnaît de facto qu'il y a une sorte « d'ellipse » dans l'histoire.

En réalité, le passage d'une ethnie à une autre peine à être expliqué de manière claire. Et cela a des conséquences sur le plan culturel parce qu'en réalité, ils ne sont ni Sérères ni pleinement Socés. « Dans notre calendrier culturel, il n'existe pas de cérémonie initiatique (leul) comme noté chez les Socés de la Casamance et chez les Sérères. Mais, aujourd'hui, nous nous assimilons à des Socés tout de même », détaille Mamadou Senghor sans complexe.

Toutefois, il leur reste une pratique qu'ils tiennent de leurs arrière-grands-parents, Fodé et Lamine Senghor. Lorsqu'en hivernage les pluies se font rares, tout le village se réunit sur la place publique. Suivant le rythme d'un tambour dédié (tabala), ils crient la profession de foi musulmane et se dirigent vers un puits assez spécial afin qu'il pleuve. La source d'eau douce porte le nom de « Mbaaro kolong ». C'est le lieu sacré de Missirah Niombato.

« Mbaaro kolong » ou la source de l'eau bénite

Selon Mamadou Senghor, « mbaaro » désigne en socé une variété de « ditax » (detarium senegalense) non comestible et kolong » veut dire puits dans la même langue. « Mbaaro kolong » désigne ainsi l'arbre sous lequel a jailli une source d'eau douce. Son histoire avec le fondateur de Missirah Niombato date depuis toujours. Après avoir vu ce lieu sacré en songe, Fodé Senghor est allé à la conquête de son rêve. Situé à juste un kilomètre du village, le puits sacré fait l'objet d'un culte.

Un sentier sinueux y mène. Le guide qui n'est autre que le vieux Mamadou Senghor manifeste une maîtrise parfaite de ce vaste tapis herbacé. La démarche rapide, peu s'en faut pour qu'il ne s'échappe d'un peloton de marcheurs du dimanche carrément laissés à la ramasse. Il est le premier à arriver sur place. Derrière un arbre aux graines hallucinogènes appelé « beer » en wolof, se manifeste une étendue d'eau saumâtre recouverte de nénuphars et d'autres plantes aquatiques. Au milieu de cette source d'eau, trône un tronc d'arbre. Il semble mort depuis bien longtemps. Il s'agit de l'arbre aux fruits non comestibles qu'avait vu le fondateur de Missirah Niombato dans son songe. La verdure est dominante. Seuls chantent des oiseaux au loin.

L'atmosphère est lourde, c'est à peine si les feuillages des arbres bougent. Alors que le visiteur non averti se tient à distance de la source, Moussa Diop, habitant de Missirah, s'empresse de s'approcher des eaux sacrées. Avec une vitesse éclair, il se défait de ses lunettes de soleil et de sa casquette. Il oint son crâne luisant de cette eau. L'homme de près de 50 piges murmure des paroles alors qu'il est toujours accroupi, les pieds presque dans l'eau. « C'est une source bénite. Nous venons ici pour prier le Seigneur et nous purifier », explique-t-il.

Tous les habitants de Missirah Niombato connaissent « Mbaaro kolong ». C'est un lieu de prière et de recueillement depuis toujours. « Cependant, nous n'implorons pas le puits en-soi, mais plutôt Allah, car nous sommes des musulmans », précise Mamadou Senghor. Mais, il ajoute un autre point non négligeable : pour qu'une prière ou un voeu soit exaucé, il faut obligatoirement s'accompagner d'une personne qui porte le patronyme Senghor. C'est la condition sine qua non. « Aucune prière n'est acceptée sans la présence d'un membre de la famille du fondateur du village. Et en général, si cette condition est remplie, la prière est acceptée et beaucoup peuvent en témoigner », assure Mamadou Senghor.

En effet, l'eau de « Mbaaro kolong » est très prisée des populations de Missirah Niombato. Elles en connaissent, de toute évidence, les vertus. D'ailleurs, il est prêté à ce puits sacré des propriétés magiques de nature à faciliter l'enfantement et à faire sauter les verrous de l'infertilité chez la femme. « À Missirah Niombato, il est de coutume que toute jeune fille mariée vienne ici laver son premier linge. C'est pour se protéger des mauvais sorts », ajoute le vieil homme. D'ailleurs, une femme porte le nom de « Mbaaro kolong ».

Son histoire est racontée par Mamadou Senghor puisqu'il en est témoin. Le vieux raconte qu'il se souvient, dans sa tendre jeunesse, de l'histoire d'un couple dont la femme était infertile. Après avoir exprimé son souhait d'enfanter, la femme donna naissance à une fille. Le couple a décidé de donner le nom du puits sacré à l'enfant en signe de reconnaissance. « Aujourd'hui, la jeune fille portant le nom de Mbaaro kolong est mère de plusieurs enfants. Elle vivait ici, à Missirah Niombato, mais elle a déménagé en Gambie où elle habite avec son époux », confie-t-il avec une très grande fierté.

En plus de cela, Mamadou Senghor affirme que le puits n'a jamais tari. Il assure que jamais il n'a été rapporté une seule fois où « Mbaaro kolong » s'est asséché depuis qu'il existe.

Autre fait marquant, « Mbaaro kolong » a un gardien. Il s'agit d'un grand crocodile dont la tanière est bien visible. Le trou défriché et assez usité témoigne de la présence d'un grand reptile. Selon les témoignages, c'est un vrai mastodonte. Cela concorde parfaitement avec la taille de la tanière mal camouflée d'ailleurs. « Le crocodile est toujours vivant. Je suis venu ici me recueillir il y a moins d'une semaine. Je l'ai trouvé étendu près de sa tanière. Il est gigantesque et a même du mal à se faire discret. En général, il est visible l'après-midi vers 16 heures. Il fuit un peu la canicule diurne », affirme Moussa Diop.

Mamadou Senghor affirme qu'il ne s'agit pas d'un seul crocodile et que jamais ils ne s'en sont pris à une personne. Aucune attaque n'a jamais été enregistrée de toute l'histoire du village. « Il arrive parfois que le reptile se prélasse sur le tronc de l'arbre, au milieu de l'eau. Mais, dès qu'il voit des personnes s'approcher pour puiser de l'eau, il s'éclipse dans les méandres, laissant les hommes s'abreuver et se recueillir », raconte le sage homme, gardien de l'histoire plein d'assurance. Mais, cela n'a clairement pas été suffisant pour calmer certains qui voulaient vite décamper avant de se retrouver entre l'une des mâchoires les plus puissantes du règne animal. Ça a failli se tordre le cou de peur d'être surpris par un crocodile qui pouvait bien surgir de nulle part.

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Un quai de pêche incontournable, une route cahoteuse

L'accessibilité, c'est le problème principal des habitants de Missirah Niombato. Pourtant, ce beau village est doté d'un débarcadère incontournable. En effet, des quantités innombrables de produits halieutiques transitent par son quai de pêche. Les nombreuses échoppes présentes sur place, le poste de police, la station-service...témoignent d'une vitalité économique qui bat son plein entre 2 heures et 6 heures du matin. Des pirogues à l'infini viennent débarquer leurs prises quotidiennes qui, à partir de Missirah, seront, des fois, acheminées jusqu'à Dakar en passant par Kaolack. Malgré cela, la voie menant de Missirah Niombato à Toubacouta est laissée en l'état, dans un état pour le moins désastreux. Faite de latérite, elle est parsemée de nids de poule et est très boueuse par endroit.

La conséquence immédiate est l'augmentation des tarifs du transport, surtout durant l'hivernage. « Vous avez vu l'état de la route ; elle est impraticable et nous cause énormément de difficultés. Nous demandons à l'État de nous aider à avoir une voirie décente comme il l'a fait avec l'accès au réseau hydraulique et à l'électricité », implore Mamadou Senghor, le légataire de l'histoire du village.

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