Gambie: Pourquoi, 4 ans plus tard, l'identité des dépouilles exhumées n'est-elle pas connue ?

Quatre ans après l'exhumation médiatisée de sept corps dans un camp militaire près de Banjul, ni la Commission vérité ni aucune institution en Gambie n'a agi pour les identifier. La société civile est restée silencieuse. Et bien que des mesures aient été prises récemment, il est difficile de dire quand les familles des victimes, qui attendent depuis près de 30 ans, obtiendront une réponse. Comment en est-on arrivé là ?

En avril 2019, la Commission vérité, réconciliation et réparations (TRRC) de Gambie s'est lancée dans une fouille et une exhumation très médiatisées à la caserne de Yundum, le plus grand campement militaire du pays, situé à plus d'une heure de route de Banjul, la capitale. S'appuyant sur des témoignages et des témoins oculaires, l'équipe d'enquêteurs a trouvé sept corps. Ils compteraient parmi au moins onze soldats exécutés le 11 novembre 1994, après une tentative de contre-coup d'État contre le chef de la junte militaire dirigée par Yahya Jammeh, qui avait pris le pouvoir le 22 juillet.

Depuis plus de quatre ans, les dépouilles sont conservées à l'hôpital universitaire Edward Francis Small de Banjul. Leur identité est toujours inconnue car aucun test ADN n'a été effectué. "L'exhumation de nos proches laissés quatre ans sans être identifiés, afin qu'ils puissent être remis à leurs familles et recevoir un enterrement digne de ce nom, a de graves répercussions négatives sur moi et ma famille en tant que musulmans", déclare Mamudou M. Sillah. "Lorsqu'on contacte le gouvernement, il n'y a qu'une seule réponse : nous n'avons pas les outils nécessaires pour effectuer le [test] ADN.

"Ne pas faire de prisonniers"

Sillah est le frère de l'élève officier Amadou Sillah, un soldat de l'armée nationale gambienne qui, le 10 novembre 1994, a quitté son domicile pour reprendre ses fonctions à la caserne de Yundum. Le lendemain, il a été arrêté, attaché avec un câble et transféré dans une Land Rover militaire vers le champ de tir de Brikama, où il a été sommairement exécuté. Il a finalement été ramené à la caserne de Yundum et enterré secrètement, selon les conclusions de la TRRC.

"Nous avons également entendu dire que des experts viendraient d'Europe pour identifier les dépouilles et les remettre à leurs familles. Mais c'est la dernière chose que nous avons entendue à ce sujet. Nous ne savons rien parce que personne ne nous dit rien. Depuis que les corps ont été exhumés à Yundum, aucune information", ajoute Awa Njie, veuve d'Abdoulie "Dot" Faal. La TRRC a constaté que son mari avait été le premier tué parmi les soldats abattus. Après son arrestation sur ordre d'Edward Singhateh et de Sanna Sabally, membres éminents de la junte de Jammeh, Fall et d'autres personnes ont été soumis à la torture et emmenés dans l'aile de détention provisoire de la prison centrale de Mile 2, où ils ont subi d'autres tortures. Ils ont ensuite été transportés à la caserne de Yundum. Après l'exécution de Faal, son corps a été jeté dans une fosse, a-t-on raconté à la TRRC.

Dans leurs témoignages devant la Commission, Singhateh et Sabally ont tous deux déclaré que la directive de Jammeh était de "ne pas faire de prisonniers", ce qui signifiait que les soldats devaient être tués. Sabally a décrit l'incident comme une guerre avec "des ennemis, pas avec des soldats capturés à traiter humainement".

"Nous n'avons pas l'expertise nécessaire"

Après les exhumations, un an plus tard, la TRRC a assuré que le processus d'identification était "en cours". Mais en 2023, il n'a toujours pas commencé.

"Lorsqu'il s'agit d'identification", explique à Justice Info Thomas Gomez, directeur général de la police et médecin légiste local qui a dirigé l'équipe d'exhumation en 2019, "ce n'est pas aussi facile que les gens le pensent. Il y a tellement de choses qui entrent en jeu. L'état des corps est une chose et les finances en sont une autre. Nous ne disposons pas de l'expertise nécessaire pour déplacer les éléments de l'endroit où ils se trouvent actuellement. Nous avons affaire à des restes dégradés qui ont été en terre pendant environ vingt-cinq ans".

Le test ADN ne peut pas être effectué en Gambie, admet-il. Et jusqu'à ce qu'il soit effectué, les restes continueront d'être conservés à la morgue. Selon un article publié en 2022 par des experts de l'ONG Justice Rapid Response, cette situation "pourrait avoir une incidence négative sur [leur] valeur probante". La Commission vérité gambienne, lit-on dans cet article, "a été confrontée à d'importants problèmes de capacité dans la recherche des disparus, en particulier dans le domaine de la médecine légale. (...) Appliquant ses priorités en matière d'enquête, la Commission vérité a procédé aux exhumations [à la caserne de Yundum] sans les connaissances techniques requises sur place et avec une préparation et une participation limitées des familles des victimes. Elle n'avait pas de plan détaillé pour procéder à l'analyse médico-légale des restes après l'exhumation."

Décrivant les conditions dans lesquelles les restes sont conservés, Gomez ne se montre pas rassurant : "Pendant trois ans, je n'ai pas été sur place pour vérifier les restes. Peut-être que le toit fuit. Peut-être que les ventilateurs ont été remplacés par des climatiseurs. Si les conditions restent bonnes dans ce dépôt, tout ira bien. Et j'espère qu'ils resteront en bon état parce qu'il existe une morgue."

Des plans pour d'autres exhumations ?

Selon son rapport intérimaire de 2020, la TRRC a découvert jusqu'à cinq sites funéraires présumés, estimant qu'elle pourrait retrouver au moins une centaine de personnes disparues. La Commission prévoyait de rechercher, récupérer, identifier et restituer ces corps à leurs familles. Aucune exhumation n'a toutefois été effectuée depuis 2019.

Justice Info a contacté l'ancien secrétaire exécutif de la Commission vérité, Baba Galleh Jallow, qui nous a suggéré de contacter le ministère de la Justice car "les dépouilles leur ont été remises avec la recommandation de faire le nécessaire à leur sujet". Le mois dernier, deux experts de l'équipe argentine d'anthropologie médico-légale et un juriste de la Global Human Rights Clinic de la faculté de droit de l'université de Chicago se sont rendus en Gambie à l'invitation du Réseau africain contre les exécutions extrajudiciaires et les disparitions forcées (ANEKED), une ONG qui a proposé son aide au ministère de la Justice gambien.

"Il est évident qu'il est extrêmement urgent de mener des enquêtes exhaustives, rigoureuses et crédibles afin d'apporter des réponses aux familles et de rendre la justice. Il y a un manque général d'expertise en termes d'enquêtes médico-légales, d'enquêtes policières, et de la manière dont on effectue la recherche et l'analyse des tombes, l'exhumation, et comment, au niveau des médecins, on effectue les autopsies et les analyses anthropologiques médico-légales au niveau du laboratoire", explique à Justice Info Anjli Parrin, avocate et militante des droits de l'homme enseignant à l'Université de Chicago, après une mission de quatre jours.

Et cela fera bientôt 30 ans

Dans un communiqué de presse publié le 20 juin, ANEKED et le ministère de la Justice espèrent "que les résultats de la mission permettront de combler les lacunes en matière de capacités [...] afin de relancer la recherche et l'identification des dizaines de victimes de violations des droits de l'homme identifiées par la [Commission vérité] qui sont toujours portées disparues".

Pour Gomez, même avec l'expertise requise, des incertitudes entourent le processus d'identification. "Je ne suis pas sûr à 100 % de pouvoir dire qu'ils pourront tous les identifier parce que je connais l'état [des dépouilles]. C'est du 50/50. Il est possible qu'ils n'y parviennent pas, il est possible qu'ils y parviennent."

Suite aux recommandations de la Commission vérité, les poursuites contre les principaux dirigeants de la junte militaire de Jammeh - y compris Jammeh, Singhateh, Sabally et les officiers supérieurs de l'armée qui auraient participé aux tortures et aux meurtres du 11 novembre 1994 - devraient commencer début 2025, selon le plan de mise en oeuvre du gouvernement récemment divulgué. Le gouvernement a déclaré qu'il prévoyait d'établir "un mécanisme pour l'exhumation et l'identification des personnes disparues" vers la fin de l'année. D'ici à ce que des résultats soient obtenus, 30 ans se seront écoulés depuis les tueries.

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